L’Asset Management suisse: dans le Top 4 européen

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

Le secteur est en plein essor malgré enjeux et défis. Avec Regis Martin et Aurélia Fäh de l’AMAS.

Avec environ 3’000 milliards sous gestion à fin juin 2023, la Suisse occupe la quatrième place en Europe en matière d’asset management, après le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne. L’activité a gagné en importance ces dernières années, en particulier dans le domaine de la prévoyance vieillesse; il est estimé que depuis 2004, un tiers de la croissance des actifs sous gestion des fonds de pension a été généré par la performance des marchés. Chargée de représenter la branche, l’Asset Management Association Switzerland (AMAS) regroupe l’essentiel des acteurs suisses avec 179 membres dont 62 Asset Managers. Très ouverte à l’innovation, l’Association se veut exemplaire en matière de durabilité et, début octobre, lançait le Swiss Stewardship Code de concert avec Swiss Sustainable Finance. Point de situation avec Regis Martin, président du comité d’experts Investissements alternatifs et Aurélia Fäh, Senior Sustainability Expert.

Yves Mirabaud disait il y a quelques années qu’en Suisse, la prédominance de la gestion de fortune fait ombre à la gestion d’actifs Est-ce toujours le cas?

Regis Martin: Le modèle d’architecture ouverte est de plus en plus répandu. Il y a davantage de transparence dans les rémunérations et commissions et la situation du secteur s’est donc améliorée mais le soutien reste faible au niveau politique. L’asset management est souvent mis dans le même panier que les banques et, depuis la crise financière et la fin du secret bancaire, cela n’a pas contribué à faire progresser son image.

Dans d’autres pays, l’asset management bénéficie d’une politique de place. En est-il question en Suisse?

RM: Il n’existe pas chez nous de politique de place comme en France ou au Luxembourg. Malgré l’importante contribution de la place financière au PIB et aux emplois, il n’en a jamais été question. Si c’était le cas, les petits gestionnaires de niche ou les fonds débutants pourraient bénéficier, comme c’est le cas en France, de seed money fourni par les investisseurs institutionnels. En Suisse, les barrières à l’entrée sont significatives; pas de track-record? peu de volume? les chances de percer avec les institutionnels sont faibles Et c’est dommage, car le marché domestique dans la gestion d’actifs est très important. De plus, la Suisse est très attractive en termes d’infrastructure financière, de règlementation et de système éducatif notamment.

«Le passeport européen est théoriquement attribuable aux Etats tiers qui appliquent une règlementation équivalente à celle de l’UE et, techniquement, la Suisse aurait dû l’obtenir depuis longtemps.»
N'y-a-t-il pas aussi un problème de taille critique que l’absence de passeport européen vient accentuer?

RM: Le passeport européen est théoriquement attribuable aux Etats tiers qui appliquent une règlementation équivalente à celle de l’Union européenne et, techniquement, la Suisse aurait dû l’obtenir depuis longtemps. L’UE se montre protectionniste, comme les USA ou les pays asiatiques, alors qu’en Suisse, tous peuvent venir offrir leurs services si les conditions réglementaires sont respectées. Ceci dit, la situation pourrait encore empirer si l’UE interdisait la gestion par délégation. Mais il ne s’agit pas de s’apitoyer sur notre sort. Il faut plutôt miser sur nos atouts et saisir les opportunités, comme par exemple, dans la finance durable.

Le droit de timbre est un sérieux obstacle au développement d’émission de fonds en Suisse. Pourquoi son abolition n’a-elle pas rencontré la faveur populaire l’année dernière?

RM: Le droit de timbre est effectivement un obstacle de poids qui rend économiquement difficile de gérer certains mandats à partir de la Suisse et n’est évitable que si les actifs sont gérés à l’étranger. Mais dans l’esprit des gens, l’abolir serait faire une faveur aux «financiers suisses», un «cadeau aux banques» qui ne sont pas toujours perçues favorablement par le public. Il serait toutefois possible d’étendre la liste des clients exonérés, ce qui est déjà le cas pour des fonds de pension étrangers par exemple.

L’association est-elle ouverte aux acteurs du monde crypto?

RM: Oui absolument. Les gestionnaires d’actifs digitaux sont présents. De tête, je citerais L1 Digital et Crypto Finance. Ils appartiennent d’ailleurs à l’univers alternatif dont j’ai la charge.

L’AMAS et Swiss Sustainable Finance viennent de publier le Swiss Stewardship Code. De quoi s’agit-il et quels en sont les objectifs?

Aurélia Fäh: Il existe de nombreux codes au niveau international mais la Suisse n’avait pas de critères uniformes pour orienter les investisseurs et les asset managers dans cette approche d’investissement qui a un fort impact dans la transition vers des actifs durables. Ce code établit ainsi une série de normes en matière de droits des actionnaires et de transparence et vise à améliorer le cadre pour une finance durable afin d’éviter le greenwashing dans ce domaine. Il est applicable sur une base volontaire et sert de recommandation et de guide pour intégrer le stewardship dans le processus d'investissement.

Quels sont ses modèles et sur quels principes se base-t-il?

AF: Il s'inspire des principes de l'International Corporate Governance Network (ICGN), des Principes pour l’investissement responsable (PRI) et du UK Stewardship Code. Construit en collaboration avec des gérants d’actifs et des propriétaires d’actifs, il est fondé sur 9 principes qui posent les bases des bonnes pratiques en matière de vote, d’engagement, et d’escalade quand l’objectif de durabilité n’est pas atteint. Il peut servir aussi bien de «manuel du débutant» pour les acteurs les moins engagés, que d’outil ambitieux pour les asset managers qui mettraient en place toutes et chacune des recommandations.

Quel suivi entendez-vous donner à cette initiative?

AF: Le code sera révisé au fil des ans en fonction de l’évolution de la pratique et son application sera soutenue par des études de cas, des séminaires et d’autres compléments de formation.

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