Clé de voûte des placements collectifs de capitaux étrangers

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

«Le représentant de fonds de placement étrangers est en mesure d’observer l’évolution des nouveautés proposées sur le marché suisse» explique Antoine Royer de Banque Heritage.

La Suisse reste le numéro un mondial de la gestion de fortune privée. La richesse médiane y est la plus élevée au monde (soit plus de 685'000 dollars par personne adulte en 20221 ) et, selon une étude de Deloitte publiée en 2021, aucun autre pays n’attire autant de capitaux privés internationaux. En bref, la place financière suisse présente les plus grands attraits pour les fonds de placement étrangers. Pour pouvoir être autorisé à la distribution en Suisse à certaines catégories d’investisseurs, un fonds de placement de droit étranger doit y être représenté par un établissement habilité par la Finma. Ce représentant sert de point de contact entre la société de gestion ou la direction du fonds et les investisseurs basés en Suisse ainsi qu’entre la société de gestion et la Finma. Les catégories d’investisseurs pour lesquelles un représentant de fonds doit être nommé avant de commencer la distribution sont les clients privés (non-qualifiés) et ceux qui peuvent demandés à être considérés comme qualifiés par opting-out: les individus fortunés (HNWI) et les family-office non-professionnels... Avec l’arrivée d’Antoine Royer il y a deux ans, la Banque Heritage a choisi de représenter des fonds étrangers en Suisse, une activité qui est venue se positionner en complément du rôle déjà existant d’agent payeur qu’elle exerçait depuis 2015. Banque Heritage représente aujourd’hui plus d’une centaine de fonds et est l’agent payeur de plus de cinq cent fonds. Quelques questions à Antoine Royer.

Quelles sont vos activités autour des fonds étrangers?

La Banque jouait déjà le rôle d’agent payeur depuis 2015 et y a ajouté l’activité de représentant fin 2021 à mon arrivée. Il nous a fallu quatre mois pour obtenir la licence correspondante de la Finma et nous offrons nos services depuis début 2022. Au bout de deux ans, nous représentons plus d’une centaine de fonds. Notez que, s’il n’est pas nécessaire d’avoir une licence bancaire pour représenter des fonds étrangers, il est en revanche indispensable de la détenir pour être agent payeur. Les représentants qui n’ont pas de statut bancaire doivent opérer en partenariat avec une ou plusieurs banques.

«La règlementation suisse n’est pas plus complexe que le droit européen dont chaque pays peut adapter l’application et elle nous parait même plus souple.»

Quel est le type de fonds que représente la Banque Heritage et quelle est votre clientèle?

Nous représentons des fonds destinés à des investisseurs qualifiés, généralement des hedge funds ou des fonds de private equity et/ou de dette privée, et travaillons avec des gérants qui adoptent ce type de placements dans leur stratégie.

Quelle est l’origine de ces fonds?

Vraiment très diverse. Ils peuvent par exemple être domiciliés dans le Delaware ou aux Iles Cayman mais pour l’Europe les sociétés de gestion créent plutôt des véhicules luxembourgeois ou parfois irlandais, même dans le cas de hedge funds ou de private equity. Paradoxalement, nous avons même des sociétés de gestion suisses qui, pour avoir accès au marché européen, ont ouvert des fonds au Luxembourg… que nous représentons en Suisse.

Pourquoi ne pas représenter de fonds de retail?

Parce que c’est un marché plus exigeant et relativement mature où de nombreux compétiteurs sont déjà établis. Les fonds destinés au marché retail doivent être enregistrés auprès de la Finma. Ils font face à des obligations supplémentaires par rapport aux fonds réservés aux investisseurs qualifiés comme celles de faire approuver leur prospectus et leurs futurs changements par un organisme reconnu par la Finma, de publier ces prospectus et de publier les valeurs nettes d’inventaire (VNI) des fonds. De plus, Banque Heritage a une longue expérience des fonds alternatifs et c’est assez naturellement que l’idée est venue de représenter, au moins dans un premier temps, ce type de fonds réservés aux investisseurs qualifiés.

La réglementation suisse qui régit la représentation de fonds est-elle complexe?

Elle demande un travail en amont des textes relatifs à LSFin et à LPCC pour y distinguer ce qui s’applique spécifiquement à la distribution de fonds. La règlementation suisse n’est pas plus complexe que le droit européen dont chaque pays peut adapter l’application et elle nous parait même plus souple.

Quelles sont alors les tâches d’un représentant?

Le représentant doit être en mesure de fournir à un investisseur qui les lui demande les documents de base du fonds qu’il représente. Il s’assure également que ces documents contiennent les informations obligatoires à fournir à des investisseurs en Suisse. Pour cela, il peut proposer des modèles de disclaimers suisses. Nous poussons ces obligations plus loin en adaptant ces modèles au cas particulier de chacun de nos clients. Comme mentionné, un représentant de fonds destiné à des investisseurs non-qualifiés (marché retail) a des tâches supplémentaires liées à des obligations d’annonce, de publication et d’information.

«Depuis 5 ou 6 ans, nous avons constaté le glissement de l’intérêt pour les hedge funds vers celui pour les actifs privés.»

Le représentant devant respecter la loi suisse, nous devons également vérifier que le gérant qui commercialise son fonds en Suisse la connait également et qu’il s’engage envers nous à la respecter. Nous proposons à cette fin des services complémentaires à nos clients pour les assister sur leurs obligations liées à la LSFin et à la LPCC (affiliation à un Ombudsman des services financiers, enregistrement de leurs commerciaux dans un registre des conseillers à la clientèle, formation de ces commerciaux sur le Code de conduite de la LSFIN). Nous structurons une solution sur mesure pour chaque cas.

Quelles sont les procédures que vous appliquez pour représenter un fonds?

Les règles sont précises. Il nous faut toute la documentation juridique et commerciale existante sur le fonds et sur le gérant ainsi que les rapports financiers audités (une fois disponibles, si le fonds a plus d’un an d’existence). Nous vérifions si la société de gestion a une licence et est supervisée dans son pays. Nous conduisons ensuite une due diligence approfondie sur les fournisseurs de services du fonds: avocats, fiduciaire, dépositaire, administrateur, custodian et  prime broker... pour estimer s’ils sont connus et respectés dans leurs industries respectives. Nous recherchons également d’éventuels antécédents criminels ou judiciaires des responsables du fonds et de sa société de gestion. Nous vérifions enfin que le nom du fonds ne porte pas à confusion. Chaque fonds est approuvé par le comité de représentation des fonds et l’ensemble de ces procédures est audité annuellement. Nous sommes dans l’obligation d’avoir à disposition la toute dernière version de la documentation de chaque fonds représenté.

Menez-vous une veille pour surveiller les fonds que vous représentez?

Oui. Si nous avons le moindre doute, nous devons interroger immédiatement le gérant pour pouvoir répondre aux questions des investisseurs et en cas de non-respect de la loi par le fonds ou son gérant nous devons en avertir la Finma. En cas de manquement au droit suisse, nous pouvons mettre fin immédiatement à notre mandat de représentation.

Quel est, à votre sens, le plus grand intérêt de cette activité?

Au-delà de l’intérêt financier, il existe un véritable intérêt intellectuel. Le représentant est positionné au départ de la chaine d’offre et peut ainsi observer toutes les nouveautés qui sont proposées sur le marché suisse. Il est aussi aux premières loges pour étudier la dynamique du marché. Depuis 5 ou 6 ans, nous avons ainsi constaté le glissement de l’intérêt pour les hedge funds vers celui pour les actifs privés, qu’il agisse de private equity, de dette privée ou d’immobilier et à tous les facteurs liés à la démocratisation de ces classes d’actifs.

 

1 UBS Global Wealth Report 2023

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