Christian Hintermann, expert chez KPMG, anticipe la disparition d’une quarantaine d’instituts supplémentaires dans la gestion de fortune.
Diminution du nombre d’établissements, érosion des marges, profitabilité en baisse. Le tableau brossé année après année par KPMG dans son étude sur les banques privées suisses n’apparaît pas très encourageant à prime abord. Durant les 18 derniers mois, on a assisté au retrait de huit banques privées en Suisse, comparé à l’arrivée d’un seul nouvel institut ayant reçu une licence bancaire – la banque zurichoise MBaer –, ce qui porte à 101 le nombre de banques privées en Suisse. En 2018, la hausse des afflux nets de capitaux s’est limitée à 0,2%, contre 0,3% un an plus tôt (valeur médiane). Si le ratio coûts/revenus s’est amélioré pour les plus grandes banques privées à 79,1% en 2018 (81,9% en 2017), il s’est détérioré pour les plus petites banques à 86,3% (82,4%). Pourtant, tout n’est pas négatif dans la branche, soulignent les auteurs de l’étude. Ainsi, un groupe d’une vingtaine d’établissements, décrits comme les «strong performers» sont parvenus à tirer leur épingle du jeu. Quelle évolution attendre durant ces prochaines années? Le point avec Christian Hintermann, spécialiste des questions liées à la transformation des services financiers («Head of Financial Services Transformation responsable Advisory Financial Services») chez KPMG Suisse et auteur de l’étude annuelle sur la performance des banques privées suisses réalisée par la société de conseil en collaboration avec l’Université de Saint-Gall (HSG).
avec laquelle il est possible de gagner de l’argent.»
Notre étude présente à la fois des aspects positifs et négatifs. Nous sommes positifs à propos des perspectives concernant la branche dans son ensemble. La taille du marché continue de croître à travers le monde. La gestion de fortune reste une activité avec laquelle il est possible de gagner de l’argent. En revanche, nous sommes plus négatifs quant aux perspectives pour certains acteurs du marché – décrits comme les «weak performers» dans l’étude – qui n’ont pas réussi à adapter leur modèle d’affaires jusqu’ici. Parmi les 30 établissements (ndlr: comparé à 20 en 2017) que nous attribuons à cette catégorie actuellement, on trouve typiquement des banques privées «old style» comptant beaucoup de clients offshores et en plus issus de nombreux pays différents, ce qui leur complique la tâche sur le plan réglementaire. Ces instituts sont souvent encore présents sur de nombreux marchés mais ils n’ont ni les capacités, ni les ressources nécessaires pour y être actifs. Parmi les 30 établissements qui font partie des «weak performers», 16 d’entre eux ont subi des pertes opérationnelles en 2018.
Il y a évidemment toujours des situations qui sont à la limite entre deux catégories. Toutefois, cette répartition des 101 banques privées suisses en quatre groupes d’instituts (ndlr: soit 19 banques «strong performers», 19 «upper mid performers», 19 «lower mid performers» et 30 «weak performers») correspond à des profils réels d’établissements. Dans le premier groupe, on trouve souvent soit des grands établissements disposant d’actifs sous gestion de 100 milliards de francs ou davantage, des filiales suisses de banques issues des marchés émergents mais aussi des établissements, parfois de plus petite taille, qui se concentrent sur le seul marché helvétique onshore et qui réussissent sur ce segment.
entre petits établissements.»
L’option la plus radicale serait de fermer l’établissement, en négociant néanmoins un prix pour la reprise de la clientèle. Ensuite, on peut opter pour une fusion ou une acquisition d’un établissement qui ne peut plus continuer d’être actif en solo. Mais, ici aussi, il faut s’interroger sur le sens d’une fusion entre petits établissements: si l’on fusionne une banque qui a 1 milliard de francs d’actifs sous gestion avec une autre qui en a 2 milliards, cela ne fait pas une grande différence par rapport à la situation initiale.
Ici aussi, c’est un pas à envisager avec prudence. Car, si une telle mesure permet effectivement d’abaisser les coûts, cela entraîne aussi une transformation importante de la nature de l’établissement. Mentalement, c’est une évolution importante à la fois pour le management et les collaborateurs.
Cette question va certainement se poser davantage à l’avenir. Car si fusionner deux banques ayant chacune 1 milliard de francs d’actifs sous gestion ne change pas grand-chose à la situation de ces instituts sur le marché, il en va autrement si un établissement doté de 30 milliards d’actifs sous gestion en rachète un autre avec 20 milliards. Jusqu’à présent, il n’y a pas eu beaucoup de rachats ou de fusions entre instituts de taille moyenne – mais si ça devait être le cas, je considérerais de tels rapprochements comme tout à fait sensés.
de changements à la tête des banques privées suisses.»
C’est une condition préalable, et qui constitue une bonne base de départ. Mais ce n’est évidemment pas en soi une garantie de succès.
Nous avons été nous-mêmes surpris par ces chiffres. En fonction de l’évolution de la situation au sein de certains établissements, je suis étonné qu’il n’y ait pas eu davantage de changements à la tête des banques privées suisses. Cela d’autant plus qu’il y a de nombreux défis à relever actuellement – comme l’amélioration de l’efficience des processus, la numérisation, etc. – qui nécessiteraient justement de pouvoir compter sur de nouvelles forces.
Bien sûr, les attentes évoquées il y a quelques années concernant l’arrivée de solutions de gestion entièrement automatisées ont certainement été exagérées. Néanmoins, la technologie déployée et les idées développées par ces nouveaux acteurs auront un impact important sur le secteur et continueront de le transformer ces prochaines années. On ne peut plus simplement se dire: la gestion de fortune est une activité basée avant tout sur l’attention portée à la relation avec la clientèle et ignorer l’évolution technologique.
En 2025, il ne restera à mon avis pas plus de 60 banques privées en Suisse, ce qui correspondrait à la disparition d’environ 40 établissements. Ce dernier nombre peut paraître élevé mais cela n’est pas exagéré si l’on tient compte des 30 établissements considérés comme des «weak performers» sur le total de 101 banques privées.