La géopolitique qui amplifie les risques environnementaux du transport maritime

Marc Anis Hanna, Crédit Mutuel Asset Management

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Des carburants plus respectueux de l’environnement commencent à émerger malgré des réalités opérationnelles qui rendent leur usage moins rentable pour le moment.

Le transport maritime représente 90% du volume des échange mondiaux et génère 3% des émissions de gaz à effets de serre. Bien que cela reste le moyen de transport le moins polluant rapporté à la tonne de marchandise transportée (6x moins que le transport routier), les émissions pourraient doubler d’ici 2050 en raison de l’augmentation constante des volumes de fret.

La géopolitique internationale redessine les flux maritimes

Jusqu’à récemment, 20% du commerce conteneurisé mondial transitaient par le Canal de Suez. Or, depuis l’éclatement du conflit au Moyen Orient en Octobre 2023, la multiplication des attaques houthis en provenance du Yemen a grandement impacté le transport maritime sur ce passage, en net recul de 67% en 2024. En effet, les grandes compagnies de fret ont dérouté une partie de leur marchandise vers le cap de Bonne Espérance (Afrique du Sud), rallongeant ainsi le trajet d’environ 6000 km, soit 10 à 15 jours supplémentaires. Cette décision a eu pour conséquence une hausse des tarifs de fret ainsi qu’une hausse des émissions de CO2 que l’ONG Transport & Environnement estime à 45% en moyenne par trajet.

Un autre évènement géopolitique majeur est la guerre commerciale. Depuis l’investiture du Président Trump, les menaces de droits de douane se concrétisent avec, par exemple, la mise en place de tarifs de 25% pour les importations de véhicules depuis le 3 avril 2025 et sur les équipementiers automobiles à compter du 3 mai 2025. L’escalade est encore plus prononcée entre les Etats-Unis et la Chine. La Directrice générale de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a prévenu le 9 avril 2025 que les échanges commerciaux entre ces deux pays pourraient diminuer de 80%, et provoquer une vague de réorganisation profonde de la chaîne logistique et de surstockage, entrainant un fort accroissement des volumes sur le premier semestre 2025 et des émissions de CO2 plus importantes à court terme.

De plus, le gouvernement américain étudie la possibilité d’imposer des taxes de $120 par conteneur soit environ $1-3 millions pour chaque navire de transport d’origine chinoise qui accosterait aux Etats-Unis. Les chantiers Chinois représentant 39% de la production mondiale et 70% des nouvelles commandes, il est à redouter que le trafic mondial soit perturbé, ce qui engendrerait un phénomène de contournement. Les porte-conteneurs déchargeraient leurs marchandises dans des pays limitrophes, congestionnant au passage leurs ports, avant que les marchandises soient acheminées via des camions dont les émissions sont six fois plus importantes. 

Réchauffement climatique et transport maritime: un cercle vicieux

Bien que ces chocs puissent avoir un effet positif sur le climat à long terme grâce notamment à la relocalisation d’usines, ils entraineront sur le court terme une accélération du réchauffement climatique, impactant d’autres routes de navigation: c’est le cas du Canal de Panama. 
Celui-ci représente environ 6% du trafic maritime mondial, soit environ 14'000 bateaux par an et surtout 40% du fret conteneurisé américain. A lui seul, il permettait d’éviter l’émission de 16 millions de tonnes de CO² par an. Alimenté par l’eau douce, il utilise un système complexe d’écluses permettant de hisser les navires à la hauteur du lac Gatun. Les sécheresses devenant récurrentes, l’eau douce n’est plus suffisante pour permettre une utilisation optimale de ce passage, ce qui a contraint les autorités à réduire le trafic de 40% en 2023 et les navires à adopter des routes alternatives, beaucoup plus longues. 

Mais ce réchauffement permet aussi l’apparition d’un nouvel axe maritime qui permet de relier l'Asie à l'Europe et de réduire les distances de 40% en moyenne. Rendue accessible par la fonte des glaces, la route maritime du Nord suscite des convoitises économiques. De fait, le nombre de navires empruntant ce trajet a augmenté de +37% entre 2013 et 2023 amplifiant ainsi les risques environnementaux. Les écosystèmes polaires sont menacés par les risques de pollution: les rejets de carbone noir qui se déposent sur les glaces et accélèrent leur fonte, les dégazages sauvages ou encore les marées noires. Face à ces enjeux environnementaux, certaines sociétés de fret ont d’ores et déjà refusé d’emprunter cette voie. 

Nouvelles énergies et réglementation pour accompagner la transition

Les objectifs climatiques établis par l’Organisation Maritime Internationale (OMI) consistant à être net zéro de gaz à effet de serre d’ici 2050 sont donc menacés. Il existe cependant deux axes majeurs qui pourraient aider à limiter cette contribution climatique négative. Le premier axe concerne la réglementation. Afin d’accélérer la sortie des énergies fossiles, l’Union Européenne a mis en place une taxe carbone qui a pesé pour 2% à 5% des coûts de fret en 2024 et qui pourrait doubler en 2025. De son côté et afin de réduire les émissions en CO2 de 30% d’ici 2035 (vs 2008), l’OMI a décidé de la mise en place dès 2028 d’un mécanisme obligeant tout navire, ne parvenant pas à réduire l’intensité de ses émissions chaque année (base de référence 93gCO2/MJ), à payer sur la différence des pénalités équivalentes à $380 par tonne de CO2,. De plus, malgré une forte pression géopolitique, l’OMI avait renforcé la régulation en interdisant l’usage de fioul lourd en Arctique dès 2024 (avec de nombreuses exceptions jusqu’en 2029).

Le second levier concerne le renouvellement de la flotte mondiale dont 94% a consommé de l’énergie fossile en 2024. Des carburants plus respectueux de l’environnement commencent à émerger malgré des réalités opérationnelles qui rendent leur usage moins rentable pour le moment. Plus de 50% des commandes des chantiers navals concernent des navires capables de fonctionner avec des carburants alternatifs avec, en premier lieu, le gaz naturel liquéfié (38%), suivi du méthanol (9%). Le spécialiste du secteur Clarksons, estime même que 20% de la flotte mondiale pourrait utiliser des carburants alternatifs d’ici 2030 contre seulement 8% en 2024. Un motif d’espoir. 

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