Trump Fiction

Fredy Hasenmaile, Raiffeisen

3 minutes de lecture

Le vent a totalement tourné sur les marchés financiers. Mais les épisodes autour de la politique douanière ne devraient constituer que le début.

Le film culte «Pulp Fiction» de Quentin Tarantino sorti en 1994 raconte sous forme épisodique l’univers très particulier de quelques gangsters à Los Angeles. Actuellement, nous assistons à «Trump Fiction» – le monde dans lequel vit Donald Trump, où ceux qui pensent visionner le mauvais film sont nombreux. L’analphabétisme économique du président Trump est à peine croyable, mais il s’agit malheureusement d’une réalité. Tardivement, très tardivement, les investisseurs commencent également à comprendre les dégâts causés par le vandalisme économique de D. Trump.

Le vent a totalement tourné sur les marchés financiers. Mais les épisodes autour de la politique douanière ne devraient constituer que le début. Il est donc d’autant plus important de révéler les erreurs de D. Trump et les raisons pour lesquelles son expérience à haut risque ne peut pas fonctionner.

Notre prospérité repose sur le libre-échange

Avec ses opinions confuses concernant le libre-échange, D. Trump se dresse contre 200 ans de doctrine économique. Dès 1817, David Ricardo a jeté les bases avec sa théorie des avantages comparatifs: les pays doivent produire les biens et les services pour lesquels ils sont particulièrement efficaces et échanger ceux-ci avec d’autres pays. Les grandes exportations de services des banques américaines et des géants de la tech en sont un bon exemple, mais D. Trump les passe sous silence, car elles ne correspondent pas à son narratif.

La division du travail et le libre-échange accroissent l’efficacité mondiale. Tous les pays impliqués peuvent ainsi produire et consommer plus de biens et de services que s’ils vivaient en autarcie. La prospérité s’en trouve améliorée, tout comme le niveau de vie mondial. Selon la Banque mondiale, seuls 8,5% de la population mondiale vivaient encore dans une pauvreté extrême en 2024 – un plus bas historique. D. Trump veut en revanche revenir en arrière et recommencer à produire un maximum de biens aux Etats-Unis. Or nous expérimentons au quotidien combien la spécialisation dans certaines activités spécifiques accroît la productivité. Le libre-échange fonctionne sur le même principe, sauf que c’est au niveau mondial.

Le protectionnisme ne crée pas davantage d’emplois

Presque toutes les études scientifiques concernant les droits de douane et les mesures protectionnistes dans l’histoire des Etats-Unis concluent qu’ils n’ont pas permis de créer un excédent net d’emplois. Ils ont en revanche entraîné des pertes d’emplois dans les secteurs exposés aux mesures de rétorsion ou dans des secteurs de production en aval des secteurs protégés par les droits de douane. Olivier Blanchard, qui se situe dans le Top-20 des économistes mondiaux, commente la volonté de compenser chaque solde de la balance commerciale avec un exemple personnel: «J’ai un déficit de la balance commerciale avec mon épicier et un excédent avec mon employeur. A des fins de compensation, je pourrais à présent travailler pour l’épicier. Cela réduirait les soldes, ne créerait pas de nouvel emploi, mais réduirait fortement la productivité.» Il rappelle ainsi l’idée que la compétitivité d’une économie nationale ne se mesure pas au solde du commerce extérieur mais à sa productivité.

Les conditions de la réindustrialisation ne sont pas réunies

La réalité plaide contre le romantisme industriel trumpien. Une étude de Deloitte estime la pénurie de main-d’œuvre pour cause démographique dans l’industrie manufacturière à 1,9 million de travailleurs d’ici 2033. La main-d’œuvre supplémentaire requise pour la renaissance souhaitée de l’industrie américaine n’y est même pas encore prise en compte. Dès à présent, des projets de fabrication de TSMC et d’Intel dans l’industrie des semi-conducteurs sont retardés aux Etats-Unis, à cause des difficultés pour recruter la main-d’œuvre qualifiée nécessaire. Il manque quelque 300'000 travailleurs qualifiés, ne serait-ce que pour mener à bien les projets engagés. Sans compter que les entreprises ont besoin d’une sécurité de planification pour relocaliser les capacités de production aux Etats-Unis, une opération qui nécessitera de gros investissements. La politique économique totalement imprévisible de l’administration Trump engendre cependant l’exact contraire.

La guerre douanière favorise l’inflation

De nombreux Américains ont élu D. Trump parce qu’il leur promettait une baisse de l’inflation. Or, sa guerre douanière va fortement stimuler l’inflation. Différentes études empiriques montrent par exemple que les consommateurs américains ont supporté le poids des droits de douane introduits par D. Trump en 2018 au travers d’une hausse des prix. La part des importations de biens représente 7% dans le panier de marchandises américain. Si le niveau tarifaire moyen augmente d’un point de pourcentage, l’inflation progresse de 0,07%. En tenant compte des droits de douane fallacieusement qualifiés de «réciproques», le niveau tarifaire moyen passe de 2,5% à 23%. Sans même tenir compte des effets de second tour, la hausse de l’inflation devrait nettement dépasser un point de pourcentage de ce seul fait. Les frais bureaucratiques massifs déclenchés par le chaos douanier ne sont pas encore intégrés dans cette hausse. Les droits de douane constituent en effet des impôts, plus précisément des impôts régressifs. En d’autres termes, ils impactent plus durement les ménages à faibles revenus.

Un risque pour le financement de la dette

Les consommateurs ne sont pas les seuls à être menacés. Les Etats-Unis ont besoin d’un flux de capitaux constant pour financer la dette américaine. Or, les flux de capitaux sont le reflet des déficits commerciaux. Si l’on étouffe le commerce, la circulation des capitaux dont les Etats-Unis ont besoin pour financer leurs dettes en est également affectée. Les Américains auraient donc tout intérêt à commencer par corriger leur déficit budgétaire avant d’éliminer les déficits commerciaux. En cette matière aussi, l’équipe d’amateurs qui entoure le président Trump ferait bien d’écouter les conseils des économistes américains hautement qualifiés.

«Trump Fiction» ne sera assurément jamais un film culte. Le film «From dusk till dawn» de Robert Rodriguez sur un scénario de Quentin Tarantino nous livre une histoire plus appropriée. Le film commence comme un road movie raffiné et vibrant, avant de culminer de façon inattendue en un festival gore totalement décomplexé.

A lire aussi...