Avec une performance annuelle de 6,3% sur cinq ans, DNCA Alpha Bonds, est un fonds obligataire de référence qui parvient à surperformer l’indice (3,6%). Pascal Gilbert, qui en est le responsable, avait particulièrement bien performé en 2022 à l’époque de la hausse des taux. En 2024, le rendement est resté légèrement inférieur à l’indice en raison du dernier trimestre. Ce petit revers a été plus que compensé en janvier et février 2025. Il faut savoir que ce fonds de plus de 15 milliards d’euros a pour objectif de surperformer de 2 points l’indice obligataire de référence (STR). Pascal Gilbert répond aux questions d’Allnews:
Avez-vous été surpris par les mouvements obligataires de ce premier trimestre?
Nous n’avons guère été surpris par les développements intervenus en janvier et février. Donald Trump a effectivement essayé de mettre en œuvre son programme. Certes, ses décisions fluctuent au jour le jour mais le cadre général est connu. Par contre le grand plan de relance allemand, portant sur les infrastructures et la défense, a surpris, même s’il était attendu que les Etats-Unis limitent dorénavant leur effort militaire en Europe.
Est-ce que l’inflation repart dorénavant à la hausse aux Etats-Unis?
A court terme, non. Le ralentissement économique américain est inéluctable à la lumière du programme de Donald Trump, à travers la réduction de l’immigration et la hausse des droits de douane. A long terme, ces mesures réduisent aussi le potentiel de croissance.
La baisse du rendement à 10 ans des Bons du Trésor est justifiée parce que la croissance a été supérieure à 2% ces dernières années et qu’elle a dépassé les attentes. La perception que la croissance américaine serait durablement élevée a impacté les taux réels. La perception est inverse aujourd’hui en réponse aux mesures contre l’immigration, à l’effort de réduction de la dépense publique (DOGE) et au relèvement des droits de douane. Si la croissance se réduit aux alentours de 1,5%, je ne crois pas du tout au scénario d’une récession américaine.
Les investisseurs utilisent souvent un seul mot pour caractériser une tendance. Passe-t-on des «7 magnifiques» en 2924 à la «stagflation» en 2025?
Non, je ne parlerais pas de stagflation mais plutôt d’une respiration de l’économie américaine. Certes, les statistiques de PIB devraient être mauvaises initialement. L’incertitude actuelle des marchés accompagne une période qui devrait durer au premier trimestre et une partie du second, peut-être avec des effets de rattrapage du commerce extérieur. Mais ce qu’accomplit Donald Trump me paraît assez sain, s’il réussit. Il vise une réduction des dépenses publique et tente d’attirer des nouvelles entreprises, ce qui serait positif à moyen terme pour la croissance américaine et la dette publique. Si la croissance est molle un ou deux trimestres, les marchés réagiront à divers «bruits» tels que les résultats du commerce extérieur, en fonction des droits de douane annoncés. Par contre le passage d’une croissance à 2,5% à une hausse du PIB de 1,5% pourrait pénaliser le marché des actions.
«Le passage d’une croissance à 2,5% à une hausse du PIB de 1,5% pourrait pénaliser le marché des actions.»
Quelles sont les marchés obligataires qui vous attirent en ce moment?
Restons humbles face aux trois principales inconnues du moment: les barrières douanières, la résolution du confit en Ukraine et la mise en place du plan de relance allemand couplée à l’abandon possible du frein à l’endettement et à l’éventualité de dépenses militaires supplémentaires qui ne seraient pas prises en compte dans le ratio de déficit. Ces trois critères majeurs peuvent donner lieu à de profondes surprises ces prochains mois, et à de la volatilité à court terme sur les marchés. Une résolution du conflit en Ukraine n’aurait pas les mêmes conséquences sur le dollar et les taux que si elle ne concrétisait pas.
Qu’attendez-vous de la relance allemande massive et de la fin du frein à l’endettement?
Ce serait un changement de paradigme pour un pays à la politique budgétaire traditionnellement vertueuse. Cela incite beaucoup d’autres pays à faire moins d’efforts. La perspective d’une augmentation des emprunts allemands a conduit à un «re-pricing» de la dette allemande, ce qui a produit d’autres phénomènes de «re-pricing» dans le monde.
J’observe aussi que le rendement de la dette publique augmente plus vite que le taux swap. La question consiste à savoir s’il s’agit d’une prime de risque ou de liquidité. Mais la demande de capitaux augmentera davantage que prévu. Et comme le retrait américain pourrait se répéter dans d’autres régions du monde qu’en Europe, le même phénomène d’augmentation des dépenses militaires pourrait se répéter ailleurs. Un nouvel équilibre est donc à trouver entre l’épargne et l’investissement.
Qu’en résultera-t-il?
Nous avons connu des années de pléthore d’épargne. Dorénavant une demande d’investissement considérable devra être financée par une demande d’épargne correspondante. Le nouveau taux d’équilibre devrait être plus haut, ainsi que l’affirme Isabel Schnabel, membre du directoire de la BCE. Cela signifie que toutes les courbes de taux doivent être «re-pricées».
Il est possible que le marché prenne progressivement conscience du risque étatique. Nous reprenons cette thèse depuis un an. En tous les cas, il en résulte une pression croissante sur les Etats dont les finances sont très déséquilibrées. J’espère que cela ne traduira pas par un changement de tendance durable. Mais une époque est terminée, celle où la dette d’Etat était considérée comme une valeur refuge et se négociait avec une décote par rapport au taux sans risque (taux swap).
La dette allemande se traite 13 à 15 points au-dessus du taux swap à 10 ans, la dette européenne entre 50 et 100 points de base et la dette américaine entre 50 et 100 points de base sur les parties longues des courbes. Ce sont des rémunérations significatives. En tant qu’investisseur, c’est une bonne chose, mais il faut s’interroger sur les causes de ce rendement supplémentaire, donc de ce risque supplémentaire. A mon avis, ce spread ne diminuera pas et il est même possible qu'il augmente. En réalité, seul un élément extérieur majeur, tel qu’un assouplissement quantitatif de la BCE semblable à celui qui a été réalisé lors du covid, peut diminuer le spread.
Les banques centrales distinguent entre une inflation transitoire et une inflation permanente. Est-ce que les tarifs douaniers ne produiront des effets que transitoires?
Les droits de douane produisent, par leurs effets récessifs, des facteurs désinflationnistes. Mais nous ne sommes pas certains que le schéma habituel s’applique aujourd’hui, parce que ce ralentissement est lié à des barrières tarifaires. Nous pensons plutôt que, sans nécessairement relancer une tendance inflationniste, l’effet désinflationniste sera absent de ce ralentissement. Pour le moment, le marché reprend plutôt le schéma traditionnel.
Il faut surtout comprendre que la géopolitique est devenue prépondérante dans les évolutions des marchés. Malgré ma longue expérience des marchés, cette prépondérance est un élément nouveau. De plus, la géopolitique peut changer rapidement, que cela soit à l’égard du conflit en Ukraine ou d’autres événements.
Les trois éléments nouveaux sont. -je le répète- les barrières douanières, la prépondérance de la géopolitique et la relance en Allemagne. A court terme, je pense que le marché n’est pas stabilisé. A court ou moyen terme, nous pouvons imaginer que la dette d’Etat restera sous pression et que le spread restera élevé. Il y a aujourd’hui une forte demande de capitaux par rapport au PIB, peut-être plus forte que dans les années 1980. Par un effet de contagion, le spreads augmenteront aussi dans les autres pays.
«Dorénavant une demande d’investissement considérable devra être financée par une demande d’épargne correspondante».
Sans accord avec les Verts pour disposer d’une supermajorité, l’Allemagne ne pourra pas lancer l’ensemble de son plan de relance. Le marché n’a-t-il pas anticipé la situation la plus extrême?
Mon expérience de marché me permet d’établir un parallèle avec 1989, à l’époque de la chute du mur de Berlin et de la réunification. Helmut Kohl avait approuvé, contre l’avis de la Bundesbank, l’idée de fixer une parité entre le DMark et l’Ost-Mark. A l’évidence, aux yeux de l’Allemagne, le niveau du taux n’importait pas. II fallait attirer les capitaux pour financer l’objectif de réunification. Aujourd'hui aussi, l’important ne se situe pas dans le taux, qu’il soit à 2,6 ou 2,9%, l’enjeu, c’est la relance des infrastructures et de la défense.
Faut-il éviter les obligations européennes?
Le marché s’attend à une croissance accrue en Europe et davantage d’inflation à court terme. Il est donc possible que la BCE ne baisse pas ses taux autant que prévu (vers 1,75, ou même jusqu’à 1,5%). La marché l’attend maintenant plutôt à 2% ou 2,25%. Et pour 2028-2029, après une stabilité des taux à ces niveaux, le marché anticipe une plus forte croissance. Il ne serait pas surprenant qu’il ajoute une prime de risque sur les taux courts. Il a déjà relevé de 0,3% ses attentes de taux courts. Pour un gérant obligataire, c’est une opportunité.
Est-ce que les obligations d’entreprises sont plus attractives que celles des Etats?
Depuis l’automne dernier, notre discours souligne la bonne santé du secteur privé, des entreprises aux ménages. Sur le plan obligataire, la visibilité de la dette des entreprises est presque meilleure que celle de la dette publique. Les entreprises profiteront aussi du plan de relance allemand, donc d’une croissance supérieure. Il est possible que le spread sur les entreprises américaines, ou européennes, soit plus bas que sur la dette publique.
Quelles sont vos principales convictions de marché?
Nous avons adapté nos choix aux derniers événements. Dans une optique à 5 ans, l’investisseur commence à être rémunéré vers 3% sur une dette d’Etat européenne, sans que n’existe un fort risque d’inflation d’ici 2026. Si les taux courts s’établissent à 2,25% ou 2%, il est possible que cette situation perdure quelque temps. Le marché offre aussi une petite prime de risque à 3 ans. Nous essayons de la capter. Ce n’est pas un achat absolu, mais nous disposons d’une certaine protection avec ce rendement de 3%. En revanche, je reste prudent sur la dette à long terme face à l’augmentation de la demande de capitaux nécessaire au programme de relance.
L’analyse des courbes révèle une hausse des taux réels en Europe. Mais ils restent assez bas dans un scénario où la croissance s’accélère et la demande de capitaux augmente. Les taux réels à court terme (0,3% à 3 ans, 0,67% à 5 ans et 0,46% à 10 ans) ne me paraissent pas suffisants pour investir massivement sur le long terme.
A quel rendement seriez-vous intéressés par des obligations européennes communes pour financer une Europe de la défense?
Le spread s’élève déjà 80 points de base à 10 ans, au dessus du taux swap, en raison de l’absence de garanties. C’est une question de confiance. Je constate que le programme d’émission de la dette européenne est plus élevé que celui qui était imaginé il y a trois mois. Cela exige une prime de risque accrue. Pour nous, la volatilité restera encore élevée à court terme. Une accalmie devrait se mettre en place par la suite, mais je crains surtout les effets de la hausse de la demande de capitaux. Nous avons changé de régime, comme l’annonce Isabel Schnabel.
Est-ce que les obligations profiteront de la nervosité des marchés d’actions?
C’est un mécanisme qui existe en théorie, mais nous n’avons pas assisté à une vraie fuite vers la qualité, ni en Europe, où les actions ont peu consolidé, ni aux Etats-Unis.
Est-ce que vous achetez de la diversification dans les obligations émergentes?
Nous essayons de nous diversifier, un peu dans les titres émergents et à travers le spread. Les fondamentaux de certains marchés émergents sont parfois meilleurs que les nôtres. Nous nous intéressons à certains pays d’Amérique latine (Mexique, Brésil) et d’Europe (Roumanie, Hongrie, Pologne).
Nous cherchons aussi des titres de pays dont la situation monétaire est saine, les finances publiques visibles, qui offrent des opportunités sur la partie longue de la courbe et qui ont subi les contre-coups de la relance allemande. Nous les trouvons par exemple en Océanie.
Et en matière de devises?
J’ai coutume de dire que si nous ne nous trompons pas sur le dollar, nous ne nous tromperons pas sur les marchés de taux. Je reste persuadé que la cohésion européenne reste compliquée avec 27 participants autour de la table. Le dollar reste une devise forte car l’Europe se construit, mais dans la douleur. Les Etats-Unis sont en phase de ralentissement, mais ce qu’essaie de réaliser Donald Trump (réduire le déficit commercial et attirer les entreprises) laisse supposer que le billet vert restera fort. A moyen terme, il n’est pas certain que son action soit positive, mais quelle autre monnaie offre davantage de valeur refuge? Seul un écroulement de l’économie américaine fera baisser le dollar, mais ce n’est pas notre scénario.
Avez-vous des obligations suisses en portefeuille, avec 0,7% de rendement à 10 ans?
Non. Le rendement est de 0,7% avec une volatilité de 5%. Notre objectif est de chercher un rendement attractif par rapport à la volatilité. Pour l’investisseur à long terme, la dette suisse est attractive par sa protection, mais la protection n’est pas vraiment bon marché.