Le 6 juin, la BCE aura toutes les données en mains pour prendre une décision

Yves Hulmann

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Pascal Gilbert, stratège chez DNCA, s’attend à des baisses des taux directeurs totalisant 100 points de base en l’espace de quelques mois.

Les premières baisses de taux des banques centrales tant escomptées par les investisseurs se font attendre. Alors que très peu d’experts anticipent désormais une première réduction des taux directeurs de la part de la Fed ou de la BCE en mars, l’attention se concentre toujours davantage sur la période de la fin du printemps. Comment se positionner en vue d’une possible baisse des taux lorsque l’on investit dans les obligations? Et pourquoi le franc suisse devrait-il interrompre sa phase de hausse vis-à-vis de l’euro et du dollar? Le point avec Pascal Gilbert, économiste chez DNCA Investments.

Lors d’une présentation effectuée fin février, vous estimiez que l’inflation n’était plus le problème à court terme mais qu’il y a un risque que le renchérissement se maintienne à un niveau plus élevé à moyen ou à long terme. Pourquoi?

Nous allons vers un choc d’offre permanent. Cela signifie que l’offre restera inférieure à la demande dans de nombreux domaines. Il manque par exemple du personnel dans toutes sortes de métiers actuellement en raison du vieillissement de la population et en raison du fait que des cohortes importantes de gens sont partis à la retraite ou vont bientôt se retirer du marché du travail. Ce n’est pas seulement le cas chez les médecins et les dentistes mais aussi dans toutes sortes de professions. Beaucoup de municipalités manquent désormais de maîtres-nageurs et doivent fermer leur piscine certains jours.

«Concernant la Roumanie, la perspective est positive alors qu’on s’attend plutôt à une possible dégradation de la note de la France par les agences de notation.»

Outre les aspects liés à la démographie, il faut aussi tenir compte d’autres facteurs comme la déglobalisation ainsi que, dans une certaine mesure, la décarbonation de l’économie qui renchérit les coûts de certains biens et services. Si vous voulez construire une maison plus efficiente sur le plan énergétique, cela vous coûte aussi plus cher. Pour toutes ces raisons, on ne reviendra probablement pas de si tôt à une inflation proche de zéro ou négative comme on l’avait connu dans certains pays industrialisés avant la pandémie de Covid-19.

Vous anticipez aussi une reprise «poussive et contrainte» dans les pays industrialisés. Pourquoi la croissance du PIB devrait-elle rester faible au cours des prochaines années?

C’est aussi lié aux facteurs déjà mentionnés précédemment. Même aux Etats-Unis, il est peu probable que la croissance du PIB s’accélère à nouveau aux alentours de 4% à moyen terme. L’agence CBO, le Bureau du budget américain, anticipe une croissance à moyen terme de l’ordre de 1,8% par an. Le lancement de nouveaux plans de relance, à l’exemple de l’Inflation Reduction Act, n’y changera pas grand-chose. Un plan de relance peut aider une économie à sortir d’une phase difficile mais il ne modifie pas fondamentalement le niveau de la croissance d’une économie donnée sur le long terme.

En matière de politique monétaire, vous mentionnez le 6 juin comme «date butoire» pour que les banques centrales fournissent des indications plus précises sur leur calendrier de baisse des taux. Pourquoi cela devrait-il être le cas à ce moment là?

A compter du 6 juin, la BCE disposera de toutes les données nécessaires pour prendre une décision – en particulier, elle connaîtra les chiffres relatifs aux salaires négociés pour le premier trimestre dans la zone euro. A cette période, la Fed se réunira aussi le 12 juin. C’est pourquoi ces deux banques centrales disposeront de tous les éléments pour savoir comment agir durant la première moitié du mois de juin.

Nous nous attendons à des baisses des taux directeurs totalisant 100 points de base en l’espace de quelque mois. Peut-être que les banques centrales décideront de frapper un grand coup en abaissant leurs taux de 50 points de base, suivi de deux réductions de 25 points de base. Ou alors, il s’agira de quatre baisses de 25 points échelonnées sur quelques mois. Dans tous les cas, la direction que prendront les taux sera mise en place avant le milieu de l’année. Après cette phase de baisse, les taux se maintiendront probablement à un niveau inchangé pendant une longue période. On revient ici à la question de l’évolution du marché du travail: selon l’enquête JOLT aux Etats-Unis qui porte sur le nombre d’emplois à repourvoir, il y a actuellement environ 9 millions de postes ouverts dans l’économie américaine alors qu’il y a environ 6 millions de chômeurs aux Etats-Unis. Il suffirait de 80'000 emplois créés chaque mois pour que la situation finisse par se rééquilibrer. Or, en janvier, il y a encore eu 300'000 emplois créés.

«Nous préférons attendre que le franc suisse baisse un peu à nouveau avant de revenir en acheter!»

Si l’on s’intéresse à votre portefeuille de titres, vous sous-pondérez les emprunts allemands et français alors que vous préférez investir dans la dette émise par l’Italie, la Roumanie et le Mexique. Ne s’agit-il pas d’obligations plus risquées?

Bien sûr, on peut penser que la dette roumaine est plus risquée que celle de la France. Toutefois, concernant la Roumanie, la perspective ou «watch» est positive alors qu’on s’attend plutôt à une possible dégradation de la note de la France par les agences de notation. En investissant dans de la dette roumaine, vous prenez un peu plus de risque mais au moins vous êtes nettement mieux rémunéré pour cela.

Autre sujet très commenté actuellement à l’approche des élections aux Etats-Unis en novembre, que pensez-vous de la situation de la dette américaine?

La dette américaine se situe aux environs de 105% du PIB des Etats-Unis, comparé à un ratio d’environ 110% concernant la France. Or, aux Etats-Unis, vous avez toujours une croissance plus élevée et les prélèvements fiscaux sont nettement plus bas, environ 20% aux Etats-Unis contre plus de 50% en France. Sur cette base, il est à mon avis toujours plus sûr d’investir dans de la dette US que française. En outre, et cela demeure le principal atout des Etats-Unis, le dollar reste la valeur de réserve mondiale et cela n’est, à mon avis, pas près de changer.

En termes d’exposition pas devises, le franc suisse est la seule monnaie que vous sous-pondérez actuellement dans votre fonds obligataire. Pourquoi?

Pendant longtemps, le franc suisse a servi de valeur refuge. A partir d’octobre et novembre 2023, la BNS a commencé à réduire une partie des réserves qu’elle avait accumulé pendant longtemps. La BNS a arrêté aussi de laisser la devise helvétique continuer de s’apprécier – ce qui l’arrangeait bien pendant la période où l’inflation était élevée. De plus, elle voit que l’industrie suisse d’exportation souffre de la force du franc. Pour toutes ces raisons, je pense que le franc suisse ne va pas continuer à s’apprécier au cours des prochains mois. Nous préférons attendre que le franc suisse baisse un peu à nouveau avant de revenir en acheter! 

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