Fin de la pax americana, volteface de l’Allemagne: nouvelle ère de croissance pour les actions européennes?

Nicolas Bickel, Edmond de Rothschild

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Sur le long terme, les valeurs de défense européenne devraient bénéficier d’une nouvelle ère de réarmement, qui exige des investissements afin de modifier la logique des armées européennes.

Ces derniers jours ont été le théâtre d’une accélération de l’Histoire: l’ère de la pax americana, ou paix dans le monde garantie par la défense américaine, semble reléguée au passé au profit d’une protection américaine tarifée, ou du moins conditionnelle.

Cela s’applique évidemment tout d’abord à l’Ukraine, suite aux tensions exprimées en direct entre le président et le vice-président des Etats-Unis d’une part, et le président ukrainien Volodymyr Zelensky de l’autre, après que ce dernier a refusé la proposition de cessez-le-feu de Donald Trump, qui exigeait des contreparties importantes de ressources minières ukrainiennes.

Mais dans une plus large mesure, l’Amérique semble désormais vouloir conditionner toute aide financière et militaire. Face à cela, les gouvernements européens ont immédiatement réagi. L’Union européenne a proposé un plan majeur pour soutenir sa défense avec un budget allant jusqu’à 800 milliards d’euros, suite à l’isolationnisme croissant des Etats-Unis et au risque géopolitique lié à la Russie. L’Europe montre le désir de se réarmer face à la moindre volonté des Etats-Unis de défendre ses alliés, et va jusqu’à proposer une exception budgétaire pour les dépenses de défense des pays européens.

L'Allemagne va même plus loin avec une volteface historique de son prochain chancelier Friedrich Merz qui choisit de délaisser la prudence budgétaire au profit du principe de «quoi qu’il en coûte» pour stimuler sa défense et ses infrastructures. L’Allemagne pourrait ainsi investir entre 200 et 400 milliards d’euros supplémentaires dans sa défense sur 5 ans, contre 92 milliards dépensés en 2024. A cela s’ajoute un plan d’infrastructure de 500 milliards d’euros sur 10 ans. La fin du «frein à l'endettement» de l’Allemagne, datant de 2009 et qui interdit un déficit annuel de plus de 0,35% du PIB, en sera le vecteur de financement. L’Allemagne pourrait donc connaitre un déficit budgétaire plus important, pour doper sa défense et son industrie.

Suite à ce nouveau paradigme, les rendements des obligations allemandes et européennes ont grimpé en flèche, et se sont pentifiées (hausse plus importante du rendement de long terme par égard aux dépenses appelées à durer). Nous prévoyons que les rendements des obligations souveraines se négocieront dorénavant dans une fourchette plus élevée en raison de ce nouvel environnement de déficits accrus. Les actions de défense européenne ont réagi avec des performances importantes. Sur le long terme en effet, elles devraient bénéficier d’une nouvelle ère de réarmement, qui exige des investissements afin de modifier la logique des armées européennes. Les armées européennes sont en effet actuellement qualifiées par certains observateurs d’«échantillons» avec des corps d’armée disposant de très bonnes technologies mais de taille limitée, et avec de faibles réserves de munitions. Leur logique était ces dernières décennies d’intervenir dans des conflits à faible durée et avec le soutien d’armées étrangères. Elles doivent évoluer vers une structure des forces armées capables d’affronter seules un ou plusieurs ennemis sur une longue période, avec des approvisionnements et des moyens technologiques européens, et non plus américains. Cela suppose des hausses de commandes non seulement pour les prestataires de défense, mais également les sociétés de semi-conducteurs européennes, les sociétés de logiciels de cryptage, etc.

Les actions allemandes devraient en outre profiter des programmes du nouveau chancelier, notamment les sociétés industrielles et de matériaux. Les banques européennes pourraient aussi profiter de la pentification de la courbe des taux, car une banque s’endette traditionnellement à court terme pour prêter à long terme. De plus, les flux d’achat des investisseurs en actions semblent se positionner sur un grand nombre de sociétés cycliques européennes depuis janvier, aux dépens des titres américains. Cela fait suite à de meilleures perspectives de croissance pour l’Allemagne et l’Europe au sein d’un marché actions faiblement valorisé, face à une déception des premières mesures de Donald Trump, centrées sur l’isolationnisme et non les baisses d’impôts, comme cela était tant espéré jusqu’en décembre. Les actions américaines fortement valorisées semblent ne pas supporter cette nouvelle incertitude. Tant que Donald Trump ne changera pas sa communication et ne se repositionnera pas sur les baisses d’impôts, la dynamique des flux acheteurs devrait se poursuivre sur l’Europe, au profit des sociétés européennes dépendantes de la croissance, soit les industrielles, les financières, les matériaux.

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