«Nous voulons rendre l’investissement plus aisé»

Emmanuel Garessus

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Martijn Rozemuller, CEO de VanEck Europe, distingue un changement au sein des régulateurs afin de faciliter l’accès du client «retail» au marché des capitaux.

 

La croissance du gérant d’actifs VanEck spécialisé dans les ETF s’est accélérée ces derniers mois. L’entreprise familiale américaine, créée en 1955, a des racines néerlandaises. Jan van Eck, l’actuel CEO du groupe est le fils du fondateur qui est lui-même fils d’un Néerlandais qui a migré aux Etats-Unis. L’entreprise a franchi la barre des 15 milliards de dollars d’actifs en Europe en ce mois de février (120 milliards au plan mondial), après avoir franchi le cap des 10 milliards en avril 2024. Sur le plan des effectifs, en Europe la croissance est de 30%. 

«Nous sommes souvent les premiers à lancer des ETF ciblés sur des thèmes innovants, comme nos ETF sur la défense ou sur l’industrie du Gaming – nous jouons ainsi un rôle de pionnier sur le marché des ETF», indique jeudi Martijn Rozemuller, CEO de VanEck Europe dans un communiqué. VanEck compte aujourd’hui plus de 50 produits. 

Martijn Rozemuller qui s’est intéressé à la finance lorsqu’il étudiait dans une université technique, a débuté sa carrière comme trader, chez un spécialiste du trading à haute fréquence. Il dit avoir rapidement compris que la seule façon de réduire le risque passait par la diversification et que pour améliorer la performance la réduction des coûts était cruciale. Les ETF répondaient à ces besoins. Pour satisfaire ces besoins, «et non pour gagner de l’argent», il a créé sa propre entreprise d’investissement en ETF en 2008, rachetée ensuite par VanEck. Martijn Rozemuller répond aux questions d’Allnews:

Vous avez débuté dans le trading avant de vous lancer dans l’investissement. Mais le marché des ETF ne devient-il pas de plus en plus un instrument de trading à court terme, avec le lancement d’ETF thématiques à bas coût qui répondent à des besoins à très court terme?

Effectivement. De nombreux investisseurs ont un horizon à trop court terme et espèrent faire un profit immédiat avant de s’intéresser à d’autres placements. En général le résultat est décevant. Les gens doivent comprendre que l’investissement est un engagement à long terme. Le temps sur le marché importe beaucoup plus que la recherche du bon moment pour être investi sur le marché. L’investisseur à court terme finit par être pénalisé par les frais de trading. Une stratégie «Buy and Hold» fonctionne mieux à long terme. Cela signifie aussi que l’investisseur doit comprendre ce qu’il achète. S’il achète un ETF thématique, il peut gagner de l’argent, mais il lui est recommandé de ne pas exagérer ses capacités. Un nouveau thème peut être performant après une longue période d’attente. Par exemple, nous avons lancé un ETF sur l’industrie de la défense il y a deux ans qui a produit une excellente performance en peu de temps. Et je pense qu’il continuera probablement de bien performer à long terme. Mais d’autres thèmes n’ont pas été rentables à court terme. Il faut parfois cinq ans pour que les entreprises présentes sur un thème augmentent nettement leur rendement. C’est toute la différence entre le trader et l’investisseur. 

«Le temps sur le marché importe beaucoup plus que la recherche du bon moment pour être investi sur le marché».

Le trader ne fait pas que de l’argent à court terme. Il crée de la valeur ajoutée en établissant un marché et en mettant en relation un acheteur et un vendeur dans de bonnes conditions. L’investisseur doit, lui, être patient. Warren Buffett a déclaré: «Le marché des actions est un endroit où l’argent est transféré de l’impatient au patient».

Pour quelles raisons vos actifs sous gestion en Europe ont-ils bondi de 50% en un an?

Nous le devons à nos services de marketing, de vente et à nos excellents produits, mais surtout au travail accompli ces dernières années. Pour faire croître une entreprise, la stratégie ressemble à un investissement à long terme. Il n’y a pas de formule magique. Il faut être patient dans la construction d’une marque. En 2018, VanEck n’était pas très connue. Depuis, nous avons amélioré la notoriété de notre marque et nous continuerons à faire des progrès. C’est aussi le résultat d’une attitude qui combine la transparence, l’honnêteté et une gestion correcte des attentes. Nous ne promettons pas aux investisseurs qu’ils seront riches dans un an. Notre approche est équilibrée et met en garde face aux risques encourus. Ce message nous aide beaucoup en cas de baisse des bourses. Les clients sont préparés aux aléas du court terme. Ils savent que s’ils vendent durant une baisse ils bloquent leur perte plutôt que de profiter d’un possible rebond ultérieur. 

Nous avons aussi été chanceux en 2024 dans le sens où nous avions les bons produits et les bons thèmes au bon moment. C’est vrai pour la défense comme pour les semi-conducteurs. Le moment de la hausse est toujours incertain. Personne ne pouvait dire quand le secteur des semi-conducteurs tirerait profit de l’intelligence artificielle.

Est-ce que ces derniers sont les deux plus grands ETF de VanEck?

Oui, ce sont nos deux principaux produits, chacun avec approximativement 2,5 milliards de dollars d’actifs. Certains de nos ETF plus génériques se sont aussi bien comportés, par exemple notre ETF sur les actions internationales, qui existe depuis plus de 12 ans et qui se base non pas sur l’indice MSCI Monde mais sur  un indice équipondéré, structuré par Solactive, et qui comprend 250 titres ayant la même pondération. Ce produit comporte aussi un plafond par régions et évite ainsi d’avoir les deux tiers du portefeuille en actions américaines. Le plafond est une capitalisation maximale de 40% par région. L’investisseur qui vise un investissement global diversifié ne devrait pas avoir les deux tiers de ses placements aux Etats-Unis. Cet ETF s’approche du milliard d’actifs. 

Notre ETF sur les actions à haut dividende, sur la base d’un indice développement par Morningstar, avec 100 sociétés internationales à fort dividende, atteint près de 1,5 milliard. Nous avons donc plusieurs ETF traditionnels et de nombreux ETF thématiques.

L’année 2024 a été compliquée par la concentration extrême sur les Etats-Unis et sur les «7 magnifiques». Comment un émetteur de produits de diversification tels que des ETF peut-il y répondre?

Ce processus de concentration a posé plusieurs problèmes y compris à des ETF basés sur des indices aussi larges que le S&P 500 ou le MSCI Monde. Les 10 premières valeurs peuvent représenter près de 20% du total de la capitalisation. Ce n’est pas problématique si l’investisseur en est conscient et s’en satisfait, mais il l’est s’il l’ignore. Personnellement, j’apprécie beaucoup la diversification. Je préfère un indice équipondéré à un indice soumis au «mag 7». Sur les cinq dernières années, le rendement de l’indice qui a pleinement subi les effets des «mag 7» a toutefois été le plus performant. Pour l’avenir, je préfère l’ETF équipondéré parce que les valorisations peuvent changer.

«Ces cinq prochaines années, nous tenterons de croître en investissant dans l’offre existante».

A quelle étape de son développement se trouve VanEck?

Ces cinq dernières années, nous avons amélioré notre marque, notre gamme de produits et notre présence locale -si nous voulons être actifs en Europe, mieux vaut y être présents-. C’est pourquoi nous avons des bureaux à Amsterdam, Francfort, Zurich et Milan. Et nous avons des spécialistes de chaque nationalité et de chaque langue.  Nous pourrions à l’avenir être présents dans d’autres endroits.

En termes de produits, nous entrons dans une période plus mature. La plupart des nouvelles idées sont déjà présentes dans nos ETF. Ces cinq prochaines années, nous tenterons de croître en investissant dans l’offre existante. Nous entrons dans une nouvelle phase de développement, mais sans procéder à de grands changements stratégiques.

Est-ce que d’une entreprise du B2B2C vous pourriez être davantage une société du B2C?

C’est possible. Les nouvelles technologies facilitent le contact direct avec le client. Nous sommes déjà en partie dans le B2C depuis que nous avons débuté, il y a plusieurs années, à nous concentrer sur le client «retail» davantage que d’autres émetteurs. Dans l’industrie, le mandat «execution only» deviendra de plus en plus important. Les clients ayant ce mandat n’obtiennent pas de conseils de leur banquier ou de leur courtier et doivent gérer leurs investissements eux-mêmes. C’est pourquoi nous avons développé une académie des ETF sur notre site internet pour former et aider les investisseurs dans leurs décisions. Plutôt que de vendre nos produits, nous voulons surtout montrer comment fonctionne l’allocation de portefeuille, la gestion des risques et des attentes. Nous voulons rendre l’investissement plus aisé.

Qu’en est-il des régulateurs?

Les régulateurs européens modifient leur regard. Il y a cinq ans, il se concentraient sur l’avertissement aux investisseurs sur les risques de certains placements. La discussion porte davantage sur l’intégration et la participation des investisseurs retail. Les régulateurs et les autorités politiques notent que trop peu d’investisseurs européens, à la différence des américains, sont conscients du besoin de participer au marché des capitaux. Il serait préférable pour les épargnants et pour l’Europe elle-même qu’ils investissent davantage. Si nous le faisons correctement, et si les épargnants utilisent les bons produits et la méthodologie adéquate, leur avenir financier s’en trouverait grandement amélioré. De plus, les écarts entre riches et pauvres se resserreraient. L’augmentation de l’accès au marché fait partie de la mission de notre industrie et cette politique améliorera la compétitivité de l’Europe.

La contribution de la fintech fait partie de ce mouvement, ainsi qu’en témoignent l’émergence des plans d’épargne en actions en Allemagne.

Comment vous développez-vous en Suisse?

Très bien. La Suisse, avec un bureau à Zurich, fait partie des 2 ou 3 principaux marchés en Europe. La dynamique y est favorable sous l’effet de la concurrence qui y règne entre les institutions financières et de sa capacité d’innovation. Une plus grande concurrence conduit à une plus grande adoption des ETF, parce que ces instruments représentent un bon moyen d’améliorer le rapport rendement/risque du client. La concurrence est moindre par exemple en France, en Belgique, en Espagne, et les ETF y sont moins représentés, au détriment du client puisque ce dernier doit supporter davantage de coûts.

Allez-vous vous lancer des ETF actifs?

Nous n’avons pas d’ETF actifs, mais c’est peut-être une question de définition. Il y a une décennie, on opposait les fonds de placement, qui étaient gérés activement, aux ETF, gérés passivement. En réalité, il existait des fonds indiciels présentés sous la forme de fonds de placement. J’aimerais dire que la première question porte sur «l’emballage», le fonds ou l’ETF.  De ce point de vue, l’ETF est la meilleure solution parce qu'il offre davantage de flexibilité de trading, de transparence et de protection dans l’exécution (par la capacité de donner un ordre avec une limite de prix). C’est aussi pourquoi des gérants actifs commencent à utiliser la structure de l’ETF. 

La 2e question concerne la gestion active. La vraie différence n’est pas entre active ou passive mais entre une gestion fondée sur des règles et une gestion discrétionnaire. Une gestion passive suit une indice lequel est fondé sur des règles. Le fait que ce soit moi qui suive les règles ou quelqu’un d’autre n’a pas d’importance. La question n’est pas celle de la personne mais des règles. 

L’avantage de suivre les règles consiste à éviter de dépendre d’émotions, lesquelles conduisent à des biais comportementaux bien connus. Je suis un fan des investissements basés sur des règles. Il n’est toutefois pas nécessaire de se baser sur un indice très connu. Qu’il suffise de penser à un indice équipondéré: il est basé sur des règles mais diffère de l’indice imaginé par le public. Je pense aussi à notre ETF sur les dividendes élevés.

Vous avez lancé des ETF cryptos. La performance impressionne mais la taille est très modeste. Qu’en pensez-vous? Et quand fermez-vous un petit ETF?

Nous gérons 15 milliards de dollars en Europe, dont presque 10% en ETF cryptos. Ce n’est pas si modeste. 

La question de la fermeture d’un ETF n’est pas aisée. Une zone grise existe entre 25 à 50 millions d’actifs. Un volume de 25 millions ou moins n’est pas très attractif pour nous. Mais à l’image du supermarché, aux yeux du client, il n’est guère intéressant d’avoir moins de 10 produits à choix dans un magasin. Il faut offrir suffisamment d’options, même celles qui temporairement peuvent être peu populaires mais qui pourraient le devenir. Nous devons donner 3 à 5 ans à un produit pour qu’il fasse ses preuves. Et parfois plus longtemps. Ces 10 dernières années, nous n’avons pas fermé plus de 2 ou 3 produits.

Quels sont vos objectifs en 2025?

Le premier objectif est de croître. La progression devrait se poursuivre, mais il ne sert à rien de promettre un taux précis. Il y a de fortes chances que le taux diffère des attentes. Il est plus important de viser le meilleur taux de croissance possible en fonction des conditions de marché. Si les actions chutent, les investisseurs sont moins intéressés à investir. Je dépense davantage pour le marketing si les actions montent que si elles baissent. Il n’en reste pas moins que le taux de croissance de nos affaires en Europe devrait dépasser celle des Etats-Unis parce que ce dernier marché est plus mature. La participation du «retail» est encore modeste en Europe et la part de ETF croît plus vite que celle des fonds actifs. 

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