L’action Julius Baer a été sévèrement sanctionnée par les marchés lundi, terminant la séance en baisse de 12,69% à 56,14 francs suite à la publication de ses résultats en 2024, présentés pour la première fois par Stefan Bollinger, le nouveau CEO de la banque zurichoise qui a pris ses fonctions début janvier.
Julius Baer a pourtant réalisé un solide exercice en 2024. Le produit d’exploitation a bondi de 19,2% à 3,86 milliards de francs et le résultat avant impôts a été multiplié par deux à 1,05 milliard. Grâce à une forte baisse de la charge fiscale, le bénéfice net (selon la norme comptable IFRS) a, lui, plus que doublé à 1,02 milliard, après avoir vu sa performance 2023 alourdie par une perte sur crédits de 606 millions de francs liée à l’affaire Signa, du nom de l’empire immobilier de l'investisseur autrichien René Benko entretemps mis en faillite.
En matière de coûts, le nouveau CEO a annoncé de nouvelles économies de charges à hauteur de 110 millions de francs, qui s'ajouteront aux réductions annuelles de 140 millions déjà communiqués en 2024. Ces économies de coûts impliqueront une réduction des effectifs d'environ 5%, ce qui pourrait entraîner la suppression de 300 à 400 emplois, comme l'a précisé Nic Dreckmann, le directeur opérationnel (COO) de Julius Baer lors d’une conférence téléphonique.
«La vérification accrue des profils de risque, notamment en raison de l’affaire Signa, a eu pour conséquence que Julius Baer a eu plutôt tendance à presser sur le frein en matière d’évaluation des risques.»
Du côté des actifs, les avoirs sous gestion de Julius Baer ont crû à 497 milliards de francs, en hausse de 16% sur un an. L’établissement basés à Zurich a aussi enregistré des afflux d’argent nouveau de 14,2 milliards de francs sur l’année écoulée, après 12,5 milliards en 2023. De leur côté, les actionnaires recevront un dividende inchangé de 2,60 francs par action.
L’absence d’annonce au sujet du lancement d’un éventuel nouveau programme de rachat d’actions a été fraîchement accueilli par les investisseurs lundi. Une correction justifiée ou exagérée? Le point avec Andreas Venditti, analyste spécialisé dans les valeurs du secteur financier chez Vontobel.
Malgré des résultats jugés solides dans leur ensemble durant l’exercice 2024, l’action de Julius Baer a perdu jusqu’à plus de 14% lundi en cours après-midi. Comment expliquer la réaction très négative des marchés?
Je mentionnerais trois raisons à cela. Premièrement, les bons chiffres que vous évoquez ne sont plus tout aussi favorables lorsque l’on regarde le bénéfice avant impôts qui a été inférieur de 3% aux attentes du consensus. De même, l’évolution de la marge brutte a été quelque peu décevante.
Deuxièmement, un aspect encore plus important concerne les indications ou «guidance» pour l’exercice 2025. Lors de la conférence avec les analystes lundi matin, la direction de Julius Baer a indiqué que la croissance des afflux nets de nouveaux fonds devrait s’établir aux environs de 3%, ce qui est inférieur aux plus de 4% qui avaient été escomptés par le consensus.
Troisièmement, Julius Baer a indiqué que le rapport entre les coûts et les revenus restera à peu près stable cette année. Et cela alors que le consensus escomptait une amélioration à 68% (ndlr: le ratio cost/income a atteint 70,9% en 2024).
Beaucoup de commentateurs ont aussi évoqué l’absence d’annonce de programme de rachat d’actions. Est-ce un facteur clé d’explication?
Les marchés attendaient une annonce concernant un programme de rachat d’actions – et Julius Baer n’a rien annoncé à ce sujet. Cela, d’une part, parce que l’impact des règles de Basel III a été plus important que ce qui avait été indiqué auparavant. Et d’autre part aussi, vraisemblablement, parce que la Finma n’en a pas encore terminé avec l’enquête sur l’affaire Signa. Pour toutes ces raisons, Julius Baer a dit qu’il n’y aurait pas d’annonce au sujet du programme de rachat d’actions. Le fait que tout cela ait été annoncé un jour où les marchés des actions, en général, ont ouvert en forte baisse lundi n’a certainement pas aidé.
«Cette baisse du cours de l’action Julius Baer doit être replacée dans le contexte de la forte hausse enregistrée par le titre durant les mois précédents.»
Lors de ses présentations avec les analystes ou les médias, la direction de Julius Baer a souvent fait référence lundi à la présentation d’un «Strategic Update» avant l’été. Le fait devoir encore attendre trois ou quatre mois des annonces stratégiques importantes n'explique-t-il pas aussi la réaction négative des marchés?
Non, je ne vois pas les choses de cette façon. Il aurait été plutôt surprenant que Julius Baer annonce déjà lundi des éléments concernant ses futurs objectifs avant son Strategic Update. Cela aurait même pu être contreproductif. Stefan Bollinger a pris ses fonctions de CEO il y a un mois seulement. Il n’a pas encore eu la possibilité de mettre en œuvre sa stratégie et ses projets. S’il avait déjà présenté de tels objectifs lundi, certains investisseurs auraient pensé que ces idées viennent encore de l’ancien managementk sans qu’il ait eu vraiment le temps de marquer son empreinte.
Comment expliquer que certains facteurs positifs, comme l’afflux net d’argent frais de 14,2 milliards de francs en 2024, supérieur aux attentes du consensus (13,8 milliards) et sensiblement plus élevé que l’an précédent (12,5 milliards), n’aient pas été davantage pris en compte par les marchés lundi?
En tant que tel, l’afflux net d’argent frais n’a pas été décevant. Durant le second semestre, le taux de croissance de l’afflux net d’argent frais a dépassé les 4%, c’est en soi positif. En revanche, les indications pour 2025, mentionnant un taux de croissance d’environ 3% cette année, ont été plutôt décevantes. Plusieurs raisons expliquent ici la relative prudence de la direction de Julius Baer à ce sujet. D’une part, les conseillers à la clientèle (relationship managers) engagés par Julius Baer au cours des dernières années qui n’auraient pas atteint leurs objectifs devront quitter l’entreprise. Si elles quittent Julius Baer, ces personnes repartiront aussi avec une partie des avoirs de leurs clients. D’autre part, il y a l’aspect du levier : Julius Baer dépend en partie du crédit lorsqu’il s’agit de l’évolution de l’afflux net d’argent frais, notamment en ce qui concerne sa clientèle en Asie. De plus, étant donné que la situation en matière de taux n’est pas si attrayante, il manque un moteur supplémentaire pour soutenir les afflux nets d’argent frais.
Enfin, comme déjà évoqué, la vérification accrue des profils de risque, notamment en raison de l’affaire Signa, a pour conséquence que Julius Baer a eu plutôt tendance à presser sur le frein en matière d’évaluation des risques. Il en résulte un ralentissement des afflux d’argent frais.
En conclusion, la réaction des marchés lundi a-t-elle été exagérée ou justifiée?
Le fort recul de l’action Julius Baer en cours de séance apparaît spectaculaire. Cette baisse du cours de l’action Julius Baer doit être replacée dans le contexte de la forte hausse enregistrée par le titre durant les mois précédents. Tous ces facteurs ont joué un rôle dans la réaction des marchés lundi.