
Qu'y a-t-il de plus étrange que d’écrire une chanson et la musique qui l’accompagne sur le thème du «son du silence»? Visiblement, le duo de rock folk américain Simon & Garfunkel n’était pas du genre à se laisser démonter par les problèmes oxymoriques. Et tant mieux, car leur tube lancé en 1964, «The Sound of Silence», est devenu un hymne qui résonne encore dans nos têtes soixante ans plus tard. Les oxymores, les silences qui en disent long, et les bruits que l’on aimerait faire taire, c’est devenu le quotidien des investisseurs ces derniers temps.
Les banquiers centraux ne parlent plus, les politiciens prêchent…la «forward guidance» (tactique utilisée par les banques centrales, qui consiste à donner des indications sur l’orientation future de la politique monétaire afin d’ancrer les attentes des investisseurs) a changé de camp. Et c’est un problème pour les investisseurs qui ont besoin d’éléments tangibles pour établir leurs stratégies. «Obscurité, ma vieille amie, je suis venu te parler à nouveau», c’est sur ces mots que Simon & Garfunkel entament leur célèbre chanson.
Le S&P 500 enregistre une performance négative depuis le 1er janvier, la Chine continue sur la pente descendante.
L’année a commencé de manière houleuse. La plupart des indices boursiers sont dans le rouge. Le S&P 500, indice phare américain, enregistre une performance négative depuis le 1er janvier, la Chine continue sur la pente descendante. Seules l’Europe et la Suisse semblent encore garder la tête hors de l’eau.
Les spéculations sur les prochaines actions de l’administration Trump n’aident pas. Nous en sommes revenus à l’analyse des tweets du président américain. Je ne sais pas vous, mais ça ne m’avait pas manqué. Et mauvaise nouvelle, si TikTok venait à vendre sa branche américaine à Elon Musk – rumeur pour le moment démentie – il faudra ajouter la plateforme à nos sources de recherches macroéconomiques.
Bon, quelques points ne font pas une tendance, surtout en janvier. Nous aurons bientôt plus de données à nous mettre sous la dent avec la nouvelle saison des résultats qui commence. Dans cette cacophonie, on en oublie presque que les entreprises sont les organes des économies. Les premiers chiffres publiés par les banques ont l’air solides en tout cas.
Côté marchés obligataires, il y en a pour tous les goûts. La montée des taux longs aux États-Unis pèse sur les portefeuilles, tandis qu’en Europe et en Suisse, le cycle de baisse des taux est bien amorcé, poussant le prix des obligations à la hausse. Les banquiers centraux, qui avaient pour habitude de guider les investisseurs avec leurs paroles (la fameuse «forward guidance»), jouent désormais à l’oreille.
Ce changement d’attitude se traduit de manière différente de chaque côté de l’Atlantique. Côté Etats-Unis, la guidance de la Fed est au compte-gouttes car les décisions se prennent un point de données à la fois. Le suspense entre chaque chiffre d’inflation en devient intenable. En Suisse, on est dans l’effet inverse. J’agis d’abord, je parle après.
Quelque chose ne me revient toujours pas dans la dernière décision de la Banque nationale suisse. Pourquoi une décision si rapide? Si nous écartons la possibilité d'une erreur de politique - notre rôle en tant qu’investisseurs est de nous adapter, pas de critiquer - d’autres explications émergent: soit la BNS a un agenda différent, soit elle perçoit des risques que nous ne voyons pas. Est-ce un effort agressif pour affaiblir le franc suisse? Les fissures dans notre économie se propagent-elles? Et le calme apparent dans les secteurs immobilier et bancaire qu’augure-t-il?
En tout cas, à côté du communiqué de presse qui accompagnait la dernière décision de la BNS, le silence fait un bruit d’enfer. Heureusement que Christine Lagarde, la patronne de la Banque centrale européenne, est plus volubile sur l’orientation de la politique monétaire européenne. Le calendrier des prochaines baisses de taux a pratiquement été télégraphié. Malgré ce manque de guidance, on retiendra que, pour les investisseurs suisses, il ne faudra pas compter sur les comptes épargne pour faire croître leur patrimoine en 2025. Quant à savoir si nous devrions nous tourner vers les obligations étrangères pour un effet de rattrapage ou miser encore sur les obligations suisses, la profondeur du champ des possibles prône plutôt pour la diversification à ce stade.
Un mot sur le dollar et les cryptos pour terminer cette revue. Le premier semble instoppable, les dernières perdent haleine après une belle hausse en 2024. Mais ils partagent un point commun : leur sort devient de plus en plus politique. Comme en témoigne l’initiative populaire fédérale «bitcoin» en Suisse, la proposition du sénateur Lummis aux Etats-Unis, ou bien la bataille de Trump sur les tarifs. Pas étonnant que les banquiers deviennent taiseux.
Pour conclure, il faut composer en ce début d’année avec le bruit et le silence. Dans ce contexte, la meilleure stratégie est de ne pas trop s’éloigner de nos stratégies long-terme en attendant plus de visibilité… ou d’audibilité devrais-je dire pour rester dans le thème.