Pas du tout sûr que Trump soit négatif pour les émergents

Emmanuel Garessus

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De l’Argentine, d’où il rentre, à la Chine, dont il apprécie les valeurs de consommation, en passant par l’Inde et la Corée, Xavier Hovasse, du fonds Carmignac Emergents, présente ses choix.


Les actions des marchés émergents sous-performent à nouveau en 2024. L’élection de Donald Trump n’a rien arrangé, du moins pour l’instant. La promesse électorale de droits de douane supplémentaires réduit les perspectives bénéficiaires. Mais le pessimisme est-il excessif et les valorisations sont-elles trop bon marché? De retour d’un voyage en Argentine, Xavier Hovasse, gérant du fonds Carmignac Emergents, répond aux questions d’Allnews sur ses choix pour 2025:

Vous rentrez d’Amérique latine, où l’Argentine de Javier Milei s’avère le seul marché du continent à avoir bien performé en bourse. Quelles sont vos impressions?

Nous avons deux titres argentins en portefeuille, MercatoLibre, dans le commerce sur internet, et le groupe financier Galicia. 

L’Argentine est un petit miracle. Nous y avons cru sur le plan obligataire, mais sur le plan des actions, initialement, je n’étais pas convaincu. Comme notre fonds est à l’article 9, nous n’investissons pas dans les actions pétrolières. Or le marché coté argentin se résume à des titres des énergies fossiles et aux bancaires. 

J’étais réticent à acheter des bancaires au moment où les obligations souveraines argentines se traitaient à 26 cents, ce qui correspondait à accorder une probabilité de plus de 90% à un défaut de paiement. La dette argentine est passée de 26 à 63 cents, si bien que la probabilité de défaut est tombée à 19%. 

Javier Milei a fait un travail miraculeux. Beaucoup le traitent de fou, mais seul un fou pouvait s’attaquer à la crise argentine. Les syndicats sont trop forts. Les résistances aux coupes dans les dépenses publiques sont exacerbées. Les péronistes sont présents partout. Du fait de sa «folie», les péronistes n’ont pas compris comment contrer Milei. L’Argentine est ainsi passée immédiatement d’un déficit colossal à un excédent budgétaire. Il a coupé les coûts avec sa tronçonneuse.

«Beaucoup le traitent de fou, mais seul un fou pouvait s’attaquer à la crise argentine».

Nous avons rencontré Javier Milei il y a deux semaines et vu sa tronçonneuse sur son bureau. Cet économiste de formation nous a beaucoup impressionné. Son travail est exceptionnel parce qu’il est parvenu à éviter tous les intermédiaires, lesquels appelaient aux blocages du pays. Le gouvernement distribuait l’argent non pas aux individus mais aux intermédiaires.

Les bancaires argentines sont-elles devenues attractives?

Nous avons maintenant une petite position dans Galicia, qui vaut plus de 8 milliards actuellement, et qui a l’avantage d’être la plus forte Fintech du pays. Galicia et MercadoLibre représentent l’ensemble de la Fintech argentine. Or le marché valorise généreusement la Fintech.

Qu’en est-il du risque sur la devise?

L’Argentine connaît un cours officiel et un cours réel. Ce dernier est en train de converger vers le cours officiel. L’écart n’est plus que de 7%, contre 14% il y a 3 semaines et 20% en septembre. Nous allons bientôt assister à la levée des contrôles de capitaux, probablement en 2025. Le peso se dépréciera certes, mais pas davantage que l’inflation. C’est un régime qu’acceptent les investisseurs. C’est l’hyperinflation qu’il faut éviter. La convergence de l’inflation avec le niveau des pays industrialisés est tout à fait possible si Javier Milei était réélu pour un deuxième mandat.

Comment gérer un fonds et sélectionner les valeurs lorsque deux risques contradictoires doivent être intégrés dans un portefeuille émergent après l’élection de Donald Trump, celui d’une guerre commerciale et celui d’accords qui conduisent à des droits de douane moindres que prévus?

Peu importe les circonstances, d’une forte variation du pétrole à un mouvement sur les taux, il y a toujours des gagnants et des perdants. L’élection de Donald Trump est globalement négative pour les actions émergentes, comme l’ont montré ces marchés au cours du dernier mois. Cette réaction est logique puisque le programme de Donald Trump s’appelle «America First». Le marché considère aussi que le gouvernement mettra effectivement en œuvre cette politique. 

Deux positions sont possibles à l’égard de Donald Trump, celle qui promet le déclin des Etats-Unis, de la démocratie et du dollar et celle qui anticipe la fin du wokisme et une remise en ordre des finances publiques. Le marché se positionne plutôt sur le deuxième scénario.

«L’industrie d’exportation de la Chine s’est énormément diversifiée si bien que les Etats-Unis ne représentent que 3% du PIB chinois».

Qui seront les perdants? 

Il semble clair que la Chine fait partie des perdants à la lumière des nominations aux postes clés de l’administration Trump. Marco Rubio, Mike Waltz, Peter Navarro s’inscrivent dans la lignée des personnalités qui entendre traiter la Chine comme un paria.

Quelle est votre avis sur l’avenir des marchés chinois?

Nous pensons qu’il en résultera une dépréciation de la monnaie chinoise. Nous avons d’ailleurs couvert toute notre exposition à la Chine. Et notre exposition aux actions chinoises se limite à 23%, y compris Hong Kong. Mais il faut savoir que si l’économie chinoise atteint 18 trillions de dollars et les exportations chinoises 4 trillions de dollars, seul un demi-trillion est destiné aux Etats-Unis. Il n’y a plus qu’un huitième des exportations chinoises qui prennent le chemin des Etats-Unis. L’industrie d’exportation de la Chine s’est énormément diversifiée si bien que les Etats-Unis ne représentent que 3% du PIB chinois. 

L’économie chinoise, capable de présenter des excédents commerciaux de 100 milliards de dollars mois, sera malmenée mais elle ne subira pas de «hard landing».

Les conséquences portent avant tout sur la devise et la croissance économique. D’ailleurs, depuis l’élection de Trump, le marché chinois résiste bien. D’Alibaba à Tencent, ses sociétés cotées sont très domestiques. BYD exporte, en Asie du Sud-Est ou ailleurs, mais pas aux Etats-Unis. 

La Chine va compenser la baisse de croissance économique en stimulant la demande interne. Avec l’hypothèse d’une hausse probable des droits de douane de 20% en moyenne -plus bas que les 60% avancés par Donald Trump dans son programme-, ce qui les porterait à 36%, la croissance chinoise diminuerait de moitié, donc de 2,5 points de pour-cent.

Quel sera le type de relance en Chine?

Les taux d’intérêt baisseront, comme l’a promis le Politburo. Ce dernier prévoit 5% de croissance, ce qui nécessite un fort soutien fiscal et monétaire. Pékin considère une baisse du yuan à 7,5 vis-à-vis du dollar. Le gouvernement devrait aussi mettre en œuvre une relance de la consommation, ce qui représente un changement de cap idéologique. 

En Occident, par exemple lors du covid, en cas de ralentissement économique, les autorités distribuent de l’argent à la population pour relancer la croissance. Les Chinois y voyaient un signe de décadence. La Chine a plutôt coutume de soutenir les infrastructures et accorde des subventions aux secteurs qui exportent pour gagner des parts de marché.

Pourquoi changer de modèle si les Etats-Unis ne représentent que 12% des exportations?

La raison est à chercher dans les difficultés persistantes de l’immobilier chinois, marquées par un excès d’invendus et une démographie défavorable, avec un recul de la fécondité en dessous de 1.

Le gouvernement est conscient des mesures à prendre pour atteindre les 5% de croissance envisagés, à travers une stimulation de la consommation même si cela n’entre pas dans son ADN.

Quelle est la particularité de votre première action chinoise en portefeuille, Vipshop, une société de consommation à bas coût?

L’action est très bon marché. Personne ne s’intéresse à la consommation chinoise. Vipshop génère plus de 1 milliard de dollars de cash-flow par an et vaut 5,4 milliards.  De plus, c’est une société qui utilise son cash-flow pour racheter ses actions. 

Nous avons des titres de consommation en portefeuille, par exemple une société dans l’hôtellerie, au bénéfice d’une valorisation très basse. Le risque de baisse est extrêmement faible.

Quelles sont les perspectives des autres marchés émergents d’Asie, où seule l’Inde et Taïwan se sont bien comportés en 2024? Qu’attendez-vous de la Corée du Sud, aujourd’hui en pleine tourmente?

L’Inde et Taïwan représentent aujourd’hui environ 40% de l’indice émergent. En Corée, les derniers événements ont rappelé qu’il s’agissait d’un marché émergent, même si le quotidien de la Corée ne le laisse nullement imaginer. L’incertitude politique est élevée en Corée, à l’image de certains pays européens. 

La Corée est un pays cyclique centré sur l’industrie d’exportation, tournée vers la Chine, et marquée par diverses surcapacités. Samsung et Hynix auraient dû très bien performer du fait de l’IA. Mais la Chine commence à produire des biens concurrents, sans atteindre, à part Hynix, la sophistication de Nvidia. Nous avons récemment acheté Hynix qui a un quasi-exclusivité sur certains produits de Nvidia utilisés pour l’IA. 

Nous avons depuis peu de temps également Hyundai, notre seul titre de l’industrie automobile, qui est bon marché. La société détient le quart du marché automobile en Inde et elle est très présente en Amérique latine, notamment dans les voitures hybrides.

«Notre exposition à l’Inde est de 20% mais un tiers du portefeuille indien porte sur des REITS immobiliers»

L’Inde est-elle devenue trop chère?

L’Inde présente la meilleure performance des marchés émergents sur 12 ans, parce que le climat créé par Modi est favorable aux affaires et que la croissance y est assez forte. 

Les valorisations sont assez élevées mais nous prenons garde. Notre exposition à l’Inde est de 20% mais un tiers du portefeuille indien porte sur des REITS immobiliers, du fait de leur dividende élevé et d’une valorisation attractive. 

Nous avons également des banques et des assurances. Les grandes banques indiennes se traitaient à plus de 4 fois la valeur intrinsèque et celle-ci est tombée à 2. 

La bulle existe toutefois dans les petites et moyennes capitalisations. L’impression d’une hausse excessive est trompeuse. La performance de l’Inde correspond à celle des pays industrialisés et elle est nettement moindre que celle du Nasdaq. Il n’y a pas de bulle.

Quelle est votre approche sectorielle?

Si nous avons un biais croissance, l’approche sectorielle diffère d’un pays à l’autre. Au Brésil, nous avons des services aux collectivités, dont le profil est proche des obligations, du fait des taux élevés. Au Mexique, nos préférences vont aux cycliques qui bénéficient des relocalisations, partant de l’observation que ce qui est mauvais pour la Chine est bon pour le Mexique. En Inde, nous avons beaucoup de financières et une société de e-commerce.

Est-ce qu’après des années de négligence, l’attrait pour les émergents est en train de rebondir?

La classe d’actifs est peu aimée des investisseurs. Elle sous-performe depuis 15 ans et nous paraît réservée aux braves et aux «contrarians». 
Je ne fais pas la promotion des émergents, mais si une solution de paix intervenait en Ukraine, les perspectives devraient nettement s’améliorer. Le conflit a fortement pénalisé les émergents en créant un monde divisé en deux blocs. 

A l’inverse du consensus, nous ne sommes pas du tout sûrs que Trump sera négatif pour les émergents. En 2016, les actifs mexicains s’étaient effondrés après son élection, mais en fait la bourse mexicaine a été la meilleure performance au monde durant son mandat. L’expérience peut se renouveler. Cela commence d’ailleurs très bien, avec une discussion récente entre Trump et Scheinbaum qui semble s’être très bien passée. Une grosse saisie de drogue vient d’être annoncée et les passages de migrants ont chuté. Il ne faut pas trop s’inquiéter.

Que peut-il se passer en cas de paix en Ukraine? L’Inde ne devrait-elle pas souffrir?

La Chine devrait en profiter en premier. Si le baril devait baisser de quelque 10 dollars, en supprimant la prime géopolitique, on devrait observer un marché haussier en Asie.

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