DoubleLine Capital est un gérant d’actifs spécialisé en obligations. La société, basée en Floride, a été créée durant la crise financière, en 2009, par Jeffrey Grundlach. Ce dernier est une personnalité réputée sur le marché obligataire. L’asset manager gère 96 milliards de dollars d’actifs. Bill Campbell, portfolio manager de DoubleLine, répond aux questions d’Allnews:
Quelle est votre analyse de la hausse du rendement des Bons du Trésor?
Après les élections américaines, le rendement des Bons du Trésor à 10 ans s’est accru dans l’anticipation de la politique économique qui sera menée sous la présidence de Donald Trump. Les nominations de la future équipe dirigeante se succèdent. La nomination de Scott Bessent au poste de secrétaire au Trésor a apaisé les inquiétudes des marchés obligataires concernant les droits de douane et les dépenses budgétaires, ce qui a permis aux rendements des obligations du Trésor américain de baisser récemment. Bien que nous saluions le choix de Scott Bessent, nous pensons qu'il sera très difficile de remédier à la situation budgétaire des Etats-Unis et que la mise en œuvre de solutions prendra plus de temps que ne le prévoient les acteurs du marché.
Quel est votre scénario à moyen terme?
L’incertitude est encore très élevée à la veille d’un tel changement politique. La politique extérieure sera très différente des 4 dernières années. La grande question porte sur le calendrier et l’étendue des droits de douane imposés à l’Europe, à la Chine et au reste du monde.
En ce qui concerne la politique commerciale, Howard Lutnick et Jamieson Greer seront responsables de la mise en œuvre des politiques commerciales et tarifaires de la prochaine administration. Les deux hommes semblent avoir une approche un peu plus «faucon» qu'il faudra surveiller de près, si on la met en rapport avec la rhétorique plus modérée de Scott Bessent. La mise en œuvre de tarifs douaniers à l’arrivée de l'administration Trump nous donnera une première indication sur les perspectives d'inflation. Le niveau des droits de douane devra également être surveillé pour évaluer son impact sur l'activité économique.
«Le Japon devrait réduire ses achats, même si ses positions resteront significatives».
L'administration Trump mettra en œuvre plusieurs nouvelles politiques. Une partie des mesures provoquera une hausse des rendements obligataires et d’autres une diminution.
Nous pensons que la nouvelle administration adoptera une politique favorable à la croissance qui pourrait réduire la tendance à la désinflation. Sur le plan réglementaire, si le gouvernement abandonnait l’idée d’imposer les règles de Bâle III, cela signifierait une libération de fonds propres bancaires, ce qui renforcerait la croissance mais aussi les pressions inflationnistes. Le resserrement de la politique migratoire pourrait aussi augmenter les salaires et potentiellement l’inflation. Mais les politiques énergétiques qui visent à augmenter la production d'énergie aux Etats-Unis et à réduire les coûts contribueront à contrer l'impact des politiques précédentes sur l'inflation.
Après les dernières déclarations de Jerome Powell, le marché n'attribue plus qu'une probabilité de 50% à une baisse des taux de la Fed en décembre. Comme on le constate, le marché s’est sensiblement ajusté au changement d’administration.
Est-ce que le plancher de l’inflation sera revu à la hausse?
Il sera difficile d’avoir une inflation inférieure à 2%. Je m'attends à ce que l'inflation se situe entre 2 et 3% et la croissance économique entre 2 et 3%. Ces chiffres satisferaient la nouvelle administration. Mais le degré d’incertitude est très élevée.
Le gouvernement essaiera de mettre en oeuvre son agenda de croissance et de réduire les pressions inflationnistes par des mesures budgétaires. Nous pensons que cela sera difficile en raison des contraintes qui existent sur d’importants postes du budget. Il en résultera des pressions à la hausse sur la courbe des taux.
Est-ce que vous pensez qu’Elon Musk et Donald Trump réduiront massivement les dépenses?
Les suppressions d’emplois dans l’administration qui ont été évoquées sont significatives, mais moins qu’on pourrait l’attendre. Le gouvernement réduira le nombre de fonctionnaires et modifiera l’attribution des marchés publics. Ce sont les deux points les plus probables. Nous devrons attendre de voir exactement quelles mesures seront prises. Il ne sera pas aisé de compenser l’effet provenant de la prolongation des baisses d’impôts et, si elle intervient, de la diminution du taux d’imposition des entreprises à 15%, ou plus probablement vers 18%.
L’exercice d’équilibrage s’annonce périlleux. Pour les marchés, il faudra prendre garde au calendrier des mesures budgétaires. Malheureusement, cela devrait entraîner une hausse des taux d'intérêt, en particulier à l'extrémité longue de la courbe des taux d'intérêt américains.
Est-ce que les deux plus grands acheteurs de Bons du Trésor américain, le Japon et la Chine, poursuivront leurs achats dans un environnement d’«America First»?
La Chine, qui est alliée de la Russie, cherche à se sortir d’un système basé sur le dollar. Le Japon se trouve dans une situation plus compliquée. La détention de Bons du Trésor lorsque le yen baisse n’est pas un problème. Si la Banque du Japon relève ses taux l’an prochain et si l’inflation augmente, cela sera moins facile. Le Japon devrait réduire ses achats, même si ses positions resteront significatives, et les coûts de couverture deviennent préoccupants.
«Nous sommes acheteurs de titres de qualité aussi bien sur le segment CLO que MBS ou CMBS».
Dans un environnement marqué par des hausses de droits de douane, le Japon peut être tenté de dévaluer le yen, mais cette réponse ne doit pas provoquer un mouvement qui risquerait d’être incontrôlable. Il est possible d’imaginer une approche mixte, dans le sens où le secteur privé augmenterait ses positions à l’inverse de la banque centrale. La question cruciale sera celle de l’évolution de l’inflation au Japon.
Après l’élection de Trump, nous avons vu que les investisseurs étrangers ont continué d’acheter les Bons du Trésor aussi bien que les obligations d’entreprises américaines. Attendons l’année prochaine pour analyser la réalité de la demande.
Quelle est votre stratégie face à ces incertitudes?
Notre stratégie privilégie une pentification de la courbe de taux. Nous achetons les échéances rapprochées et à moyen terme et nous vendons les échéances les plus longues en raison des incertitudes sur l’inflation et le budget.
Nous sommes acheteurs de titres de qualité aussi bien sur le segment CLO que MBS ou CMBS. Dans l’anticipation d’une dérégulation bancaire qui devrait amener ces dernières à acheter des titres hypothécaires, nous considérons que ce secteur est attractif. Le but est d’obtenir un rendement au-dessus du marché dans le contexte d’une politique économique qui tend à renforcer la croissance.
Quelle est votre opinion sur les marchés émergents?
Dans les marchés émergents, nous privilégions les obligations en dollars. Des opportunités existent par exemple au sein des entreprises capables de se développer en dépit d’une politique commerciale agressive de la part du nouveau gouvernement américain. Nous privilégions certains pays asiatiques dont les caractéristiques sont défensives, comme l’Indonésie, moins exposée aux tarifs américains que la Chine.
La Chine a déçu en termes de taille du plan de relance, mais les autorités feront tout leur possible pour stabiliser l’économie et empêcher un effondrement de l’économie. La Chine tente aussi de soutenir sa monnaie pour éviter des sorties de capitaux.
Plus généralement, nous recherchons des pays dont les perspectives de croissance sont solides, notamment grâce à une forte demande interne, et qui ne dépendent pas d’une reprise économique chinoise.
Certains marchés d’Amérique latine offrent aussi des opportunités. Même si de nombreux investisseurs craignent pour le Mexique, ce dernier a des atouts à faire valoir dans une négociation avec l’administration Trump. A court terme, la prudence est toutefois de mise.
Si l’inflation augmente, que pensez-vous de l’investissement dans les TIPS, soit des obligations qui protègent contre l’inflation?
C’est une option intéressante. Une hausse de l’inflation n’est toutefois pas garantie, dans la mesure où nous pourrions aussi assister à une dérégulation du secteur de l’énergie. Il faut attendre les contours de la future politique économique. Le pragmatisme est de mise avant d’investir notre capital. C’est d’autant plus vrai que la situation géopolitique est de plus en plus tendue. Ces tensions pénalisent davantage les actions que les obligations, mais elles nous obligent à rester prudents. Personne ne sait si Donald Trump s’attaquera aux problèmes géopolitiques en même temps qu’il augmenterait les droits de douane. Il est possible que la situation géopolitique soit prioritaire à ses yeux.
Quel serait l’impact de tensions internationales encore plus fortes sur la courbe des taux?
Nous pourrions assister à une fuite des investisseurs vers la qualité. Les Etats-Unis profitent aussi de leur souveraineté énergétique. Nous devrions alors assister à un rallye obligataire, même il faudrait anticiper les effets secondaires de ces événements.
Quel est votre scénario sur les taux de la Fed?
Jerome Powell a réduit les attentes de baisse des taux en décembre. Je pense que la Fed est, comme Powell le dit lui-même, dépendante des futures statistiques conjoncturelles et en particulier sur l’inflation. Peu importe ce qui se passe en décembre, je m’attends à une pause après sa réunion de décembre afin d’attendre les mesures que prendra la nouvelle administration.
Etes-vous dans le camp des personnes qui prévoient un atterrissage en douceur?
Oui. La question se pose en termes d'inflation et de politique de la Fed, dans l'attente de mesures restrictives sur l'immigration (et donc sur l'emploi), couplées à une politique fiscale accommodante qui soutiendra la croissance. L’attention est en train de passer des préoccupations sur l’emploi à une attention centrée sur l’inflation.
Nous prévoyons une dynamique d'inflation sous-jacente assez favorable, compte tenu d'indicateurs tels que le coût du logement et d'autres indicateurs avancés. Sur le marché de l’emploi aussi, les tendances structurelles vont dans le bon sens. La croissance des salaires devrait continuer de diminuer.