Rétrocessions en matière de gestion de fortune

Julien Dif, The Governance Law Firm

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Lors de la refonte récente du droit des marchés financiers en Suisse, la mise en place d’un régime relatif aux rétrocessions était l’un des objectifs majeurs.

Au cours des deux dernières décennies, le Tribunal fédéral a dégagé un certain nombre de principes concernant les rétrocessions. Une partie non négligeable de cette jurisprudence a été intégrée en droit de la surveillance sous forme de la Loi sur les services financiers (LSFin), qui est en vigueur depuis 2020. Après avoir procédé à deux clarifications terminologiques, nous nous attachons à présenter quelques règles relevant du droit privé et public régissant la matière. 

Quant à l’investissement, la gestion de fortune est l’une des trois formes que les relations entre le prestataire financier et son client peuvent revêtir (à côté des conseils en placement et de l’execution only). Dans son cadre, le prestataire administre les actifs du client conformément à une politique d’investissement déterminée. Sur la base d’une procuration, il prend seul les décisions de placement au sein de la stratégie convenue avec l’investisseur. La gestion de fortune est soumise au droit du mandat. Dès lors, le gestionnaire doit «rendre [au client] en tout temps compte de sa gestion et lui restituer tout ce qu’il a reçu de ce chef».

Par le terme de «rétrocessions», il faut entendre des paiements et d’autres avantages pécuniaires dans une situation où un prestataire verse à un autre prestataire une part de la rémunération qu’il a obtenue du client final. S’agissant de la gestion de fortune, les rétrocessions correspondent aux commissions que le gestionnaire perçoit de certaines banques dépositaires en contrepartie du dépôt d’actifs de clients.
En 2006, la cour suprême helvétique pose la règle selon laquelle les rétrocessions dont bénéficie un gestionnaire de fortune indépendant doivent être restituées au client (ATF 132 III 460). Elle estime toutefois possible de déroger contractuellement à ladite obligation à condition (a) que le client ait été informé, au préalable et de façon complète et véridique, de l’existence de tels avantages et (b) qu’il ait accepté expressément que le prestataire retienne les sommes en question.

Vu les risques de conflits d’intérêts auxquels les rétrocessions donnent lieu, toute renonciation au droit à la restitution suppose un consentement éclairé de la part du client (ATF 137 III 393). Autrement dit, celui-ci doit disposer des informations suffisantes concernant les paiements intéressés. Plus concrètement, il s’agit d’informer le client des paramètres clés sur lesquels le calcul des rétrocessions repose ainsi que du montant prévisible de celles-ci. Une telle estimation peut se concrétiser sous forme de marge de pourcentage que les rétrocessions représentent par rapport à la fortune sous gestion. Lesdits renseignements ont vocation à procurer au client une vision globale sur la rémunération du prestataire. Il doit être en mesure de comprendre les répercussions des avantages indirects sur la bonne exécution du mandat. Dans le même temps, le détail de l’information fournie doit correspondre à l’expérience du client dans le secteur financier. 

Lors de la refonte récente du droit des marchés financiers en Suisse, la mise en place d’un régime relatif aux rétrocessions était l’un des objectifs majeurs. Dans la LSFin, le législateur a créé des règles visant à garantir une transparence complète concernant toutes les compensations reçues de tiers, sans toutefois introduire une interdiction générale de celles-ci. La solution helvétique se distingue donc de l’approche très restrictive dans l’Union européenne où la MiFID II interdit la perception de tels avantages (à l’exception de ceux non monétaires mineurs susceptibles d’améliorer la qualité du service rendu au client).

Ainsi, conformément à la jurisprudence précitée, le nouveau droit de la surveillance subordonne la faculté du prestataire d’accepter des rétrocessions à deux conditions alternatives : soit les clients sont informés expressément de cette rémunération et y renoncent, soit la totalité de celle-ci leur est transférée (art. 26 LSFin). La loi exige également que l’information des clients intervienne avant la fourniture de la prestation ou la conclusion du contrat. Elle prévoit aussi que les renseignements incluent le type et l’ampleur des rétrocessions, tout en précisant qu’il faut communiquer les critères de calcul et les ordres de grandeur au cas où le montant ne peut être déterminé à l’avance. De plus, le gestionnaire est tenu de divulguer, sur demande, les montants qu’il a effectivement reçus. Enfin, sous l’angle pénal, une violation de ces obligations se voit sanctionnée d’une amende maximale de 100’000 francs (art. 89 LSFin). De surcroît, elle peut entraîner une condamnation du prestataire pour gestion déloyale, infraction passible d’une peine pécuniaire ou privative de liberté de cinq ans au plus (ATF 144 IV 294). 

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