De la multiplication récente des crises sanitaires, géopolitiques ou économiques se dégage une orientation majeure qui, si elle n’a rien de nouveau, semble enfin avoir pris la place qui s’impose. Après des années de délocalisation, il est urgent de reconstituer un patrimoine industriel propre sur le continent européen, lequel se dépouille année après année de ses outils de souveraineté économique. Mais la relocalisation, comme la transition écologique, ne se décrète pas. Elle exige un changement de comportement et de priorités pour se matérialiser. Pour éviter cet écueil trop fréquent, il nous semble utile de rappeler ce qui devrait être une évidence: de la même manière qu’on ne construit pas de château sur le sable, on ne pourra pas relocaliser une industrie si elle n’a pas pour fondations un écosystème solide.
Qu’entendons-nous par écosystème? Un tissu solide, compétitif et suffisamment dense de fournisseurs et de sous-traitants, de sociétés de maintenance et de distribution, de bureaux d’études et de conseils et tous les autres services indispensables pour faire fonctionner une industrie de manière pérenne. Ces entreprises, agiles et garantes d’un savoir-faire, ne sont pas des géants. Ce sont des PME beaucoup moins visibles et attrayantes que les start-ups faisant la une des journaux malgré des business modèles qui restent souvent à démontrer. Ces sociétés régionales, souvent premiers employeurs locaux, fournissent des produits et prestations de première qualité à leurs clients. Même si elles sont souvent dépourvues d’avance technologique majeure, elles innovent elles aussi à leur manière, se réinventent et détiennent des savoir-faire humains bien réels, eux.
Si l’on souhaite réussir le mouvement de relocalisation annoncé, il y a aujourd’hui urgence à réinvestir dans ces PME, clés du maillage économique européen, mais paradoxalement délaissées. Ce constat peut paraitre étonnant à l’heure où les fonds d’investissement de Private Equity du monde entier détiennent des sommes colossales à investir. Mais c’est là que le bât blesse: un certain nombre de ces investisseurs se détourne des PME au profit des start-ups lancées dans une course folle à la croissance, dans l’espérance d’atteindre le tant convoité statut de licorne, ou aux sociétés les plus développées, les ETI ayant franchi le cap des 50 millions de chiffre d’affaires, pour investir au plus vite les larges sommes levées.
L’urgence est d’autant plus grande que les crises successives de ces dernières années ont sévèrement alourdi les bilans de nombreuses PME européennes. Elles doivent désormais rembourser les dettes accumulées, réduisant d’autant les investissements nécessaires pour automatiser les appareils productifs, digitaliser les processus, décarboner leur processus de production et ainsi assurer compétitivité et développement à long terme. Tout cela dans un contexte de guerre des talents et où la réussite de la transmission managériale des dirigeants fondateurs de ces PME devient un sujet brulant. A moins de faire du renforcement des fonds propres de nos PME une priorité, c’est le terreau de notre économie qui va s’appauvrir, mettant définitivement en péril tout effort futur de relocalisation.
Nous sommes convaincus que les investisseurs financiers ont un rôle majeur à jouer pour rétablir la cohérence entre l’importance de nos PME pour notre économie et l’attention qui leur est portée. Il faut cesser de ne lire l’avenir de nos économies qu’à travers le prisme du mythe de la Licorne. Cela revient à ignorer la réalité d’un grand nombre de PME innovantes, essentielles au fonctionnement de notre économie, qui ne sont pas des jeunes pousses du digital. Soyons clairs: investir dans les technologies de demain est une nécessité évidente, mais si cela se fait au détriment du financement de l’écosystème économique actuel, ces start-ups n’auront plus grand monde à qui vendre leurs services! Il est également crucial de s’interroger sur la pertinence d’un système qui conduit à favoriser l’accroissement de la taille des fonds d’investissement à travers l’action des régulateurs, lesquels alourdissent les contraintes, et des grands investisseurs, désireux de concentrer leur portefeuille d’investissement. En pénalisant les petits fonds d’investissement en faveur des géants, ce sont les financeurs historiques des PME que l’on pénalise.
Notre appel est simple: n’oublions pas, dans nos efforts d’investissement, que tout effort de relocalisation ne sera viable que s’il repose sur des fondations solides. Celles-ci sont avant tout constituées de nos PME, tous secteurs confondus. Elles sont certes parfois éloignées du monde des hautes technologies mais sont toujours riches de leurs savoir-faire humains et absolument indispensables au bon fonctionnement d’une économie.
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