Le droit suisse s’adapte aux cryptoactifs

Vaïk Müller, Tavernier Tschanz

2 minutes de lecture

Vers une équivalence avec les papiers-valeurs traditionnels: la sécurité juridique des registres distribués se renforce.

Le 10 septembre 2020, le Conseil des Etats a approuvé le projet de loi relatif à l’«adaptation du droit fédéral aux développements de la technologie des registres distribués» (Loi DLT). L’adoption définitive du projet par le Parlement devrait intervenir d’ici fin 2020. Une entrée en vigueur pour 2021 est donc envisageable. La Loi DLT vise à adapter plusieurs domaines du droit, en particulier le droit privé (Code des obligations, CO), le droit de la faillite avec une modification de la loi sur la poursuite et faillite (LP), la loi sur les banques (LB), de même que le droit des marchés financiers et plus spécifiquement la loi sur l’infrastructure des marchés financiers (LIMF). D’autres législations sont concernées par cette adaptation, mais cet article se concentrera avant tout sur les modifications des textes précités.

Le CO va être modifié avec l’introduction d’une nouvelle notion juridique: les «droits-valeurs inscrits». Avec cette nouvelle définition, certains droits tokenisés pourront avoir la même fonction que les papiers-valeurs traditionnels et leur transfert, aux conditions de la loi, se verra pourvu de la même sécurité juridique. Cette modification du CO est importante pour les acteurs actifs dans la tokenisation d’actions et autres instruments (financiers). Il devrait ainsi à l’avenir être possible de créer des droits-valeurs inscrits tant pour les jetons d’investissement, les jetons d’utilité que pour des jetons hybrides, voire des «stable coins». En revanche, les jetons de paiement ne devraient pas pouvoir être émis sous la forme de droits-valeurs inscrits. Le registre devant servir à l’inscription de ces droits pourra revêtir la forme d’un système ouvert (permissionless), comme la blockchain Bitcoin ou Ethereum, voire fermé (permissioned). La loi autorisera également, à certaines conditions, la conversion de droits-valeurs inscrits en titres intermédiés (détenus sur des comptes de titres d’une banque par exemple). 

Les marchés animés par ces nouveaux acteurs ne seront pas exclusivement
réservés aux investisseurs institutionnels réglementés.

La LP et la LB vont également être modifiées pour prévoir expressément la restitution à un tiers d’actifs digitaux et de cryptoactifs sur lesquels le failli a un pouvoir de disposition à l’ouverture de la faillite. Plus spécifiquement, dans le cadre de la conservation de cryptoactifs par un dépositaire, ces actifs seront distraits de la masse en faillite du dépositaire à certaines conditions. D’une part, le failli (dépositaire des cryptoactifs) devra avoir tenu en tout temps à disposition les cryptoactifs à disposition du tiers. D’autre part, leur distraction ne sera possible que si ces derniers peuvent être attribués individuellement au tiers ou à une communauté et que la part qui revient au tiers est clairement déterminée. Dans ce cadre, l’acceptation de cryptoactifs à titre professionnel nécessitera l’obtention d’une autorisation FINMA (autorisation dite «Fintech»). Selon le Conseil fédéral, la limitation à 100 millions de francs des dépôts (du public) aujourd’hui fixée dans la LB ne s’appliquera pas aux cryptoactifs détenus hors bilan et pouvant être distraits.

L’adaptation du droit en vigueur a également conduit le législateur à modifier la LIMF pour introduire une nouvelle catégorie d’infrastructure des marchés financiers: le «système de négociation pour les valeurs mobilières fondées sur la TRD» (TRD pour «technologie des registres distribués»). Cette nouvelle catégorie autorisera la négociation multilatérale de valeurs mobilières TRD (e.g. actions tokenisées) fondées sur des règles non-discrétionnaires, ainsi que la conservation centralisée ou encore la compensation et règlement d’opérations sur ces valeurs. Les marchés animés par ces nouveaux acteurs ne seront pas exclusivement réservés aux investisseurs institutionnels réglementés, mais pourront également être accessibles aux personnes morales ou physiques (y compris retails), pour autant qu’elles déclarent participer en leur nom propre et pour leur propre compte. Les exigences en matière d'autorisation sont largement calquées sur les exigences des infrastructures existantes (bourses et MTF) tout en tenant compte de certaines spécificités comme par exemple l'admission d’investisseurs retails. Des allègements pourront également être octroyés pour les «petites» infrastructures. Enfin, outre la négociation multilatérale de valeurs mobilières TRD, ces infrastructures pourront également proposer la négociation d'instruments qui ne sont pas considérés comme des valeurs mobilières TRD (e.g. jetons de paiement).

L’adoption prochaine (attendue) du projet de Loi DLT est une excellente nouvelle pour l’écosystème suisse et ses différents acteurs. Si certaines questions pratiques liées à la mise en œuvre des modifications ne manqueront pas de se poser, la visibilité du droit et la sécurité juridique des opérations en sortiront renforcées.

A lire aussi...