L’heure de la customisation des articles de luxe a-t-elle sonné?

Serge Fasel, FBT Avocats

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Le Tribunal fédéral remet les pendules à l’heure quant au droit à la personnalisation des articles de luxe, en particulier des montres.

La plus haute cour suisse aborde pour la première fois la question de la licéité des services de customisation (personnalisation) de produits de luxe, qu’il s’agisse de montres ou, par exemple, de voitures.

Le litige oppose la maison Rolex à Artisans de Genève, une société dont l’activité consiste à changer certaines pièces et ainsi «customiser» la montre appartenant au client en fonction des souhaits de ce dernier. Afin de promouvoir ses services, la société affiche de surcroît sur son site internet les montres fabriquées par Rolex ainsi que ses diverses marques. 

Le point essentiel réside dans la détermination de savoir si l'objet customisé est demeuré en possession de son propriétaire ou s'il a été réintroduit sur le marché, ce qui constitue une infraction au regard du droit des marques.

Le Tribunal fédéral a déjà eu l'occasion de préciser que l'usage d'une marque à des fins privées n'est pas prohibé, sous réserve de l'exception visée par l'article 13 al. 2bis de la loi sur la protection des marques (LPM) (ATF 146 III 89 consid. 4.1). La fonction essentielle de la marque est en effet de distinguer les produits ou les services d'une entreprise de ceux d'autres entreprises, de manière à ce que le consommateur puisse retrouver un produit ou un service qu'il apprécie.

En d’autres termes, pour que le titulaire d'une marque puisse se prévaloir d'une violation de la loi sur la protection des marques, en particulier de son article 13, il faut dès lors que l'usage de ladite marque vienne causer des interférences «dans ses affaires». Cela veut dire qu’il faut impérativement que l’usage de la marque se retrouve dans le marché, et ce sans l’approbation de son titulaire.

La personnalisation d'un objet de marque, effectuée à la demande et pour le compte de son propriétaire en vue de son usage personnel, ne porte en principe pas atteinte à la fonction distinctive de la marque.

Tant que l'utilisation d'une marque se limite à des fins privées, il n'y a aucun risque de confusion, car il n'y a pas de proposition sur le marché des services concernés. L'utilisation d'une marque de grande renommée à des fins personnelles ne contrevient pas non plus à l'article 15 de la LPM.

La personnalisation d'un objet de marque, effectuée à la demande et pour le compte de son propriétaire en vue de son usage personnel, ne porte en principe pas atteinte à la fonction distinctive de la marque, car l'objet modifié est destiné à un usage privé et n'est pas réintroduit sur le marché. Lorsqu'elle personnalise un objet de marque sur requête de son propriétaire, l'entreprise concernée ne fait en réalité pas usage de la marque d'un tiers sur le marché pour offrir ses propres services, mais ne fait que modifier un bien à des fins privées. 

La situation est toutefois différente lorsqu'une entreprise ne se contente pas d'offrir des services de personnalisation d'articles de marque pour répondre aux souhaits de leurs propriétaires, mais commercialise aussi des objets de marque customisés, sans l'accord du titulaire de la marque concernée.

Partant, le Tribunal fédéral, pour la première fois, affirme que la commercialisation de produits modifiés après leur première mise en circulation qui continuent à revêtir la marque de l'article d'origine est en principe illicite. Il opère une distinction entre les deux modèles d’activités en lien avec la personnalisation de montres de marque. Il considère que la commercialisation de montres personnalisées sur lesquelles apparaît toujours la marque figurant sur l’objet d’origine, en l’occurrence Rolex, est en principe illicite à défaut du consentement du titulaire de la marque. Dans ce cas, la marque est en effet utilisée de telle manière que le marché puisse y voir un signe propre à identifier le produit commercialisé comme étant celui du titulaire de la marque d’origine, raison pour laquelle celui-ci peut s’opposer à ce que des produits, modifiés sans son autorisation et arborant sa marque, soient remis sur le marché.

En revanche, la fourniture de services de personnalisation de montres de marque sur requête du propriétaire est en principe licite. En effet, la personnalisation d’une montre de marque ou de tout autre objet de marque, effectuée à la demande et pour le compte de son propriétaire en vue de son usage personnel, ne porte en principe pas atteinte à la fonction distinctive de la marque, car l’objet modifié est destiné à un usage privé et n’est pas remis sur le marché.

Le Tribunal fédéral conclut donc que le modèle d’affaires de la société en cause n’apparaît ni contraire au droit des marques ni incompatible avec les règles de la loi sur la concurrence déloyale (LCD), ce qui nous conduit aujourd’hui à la situation suivante:

  • Oui à la personnalisation des objets de marques destinés à usage privé.
  • Non à la revente d’articles de marque personnalisés ou modifiés.

Enfin, la cause a été renvoyée en instance cantonale pour que soit examinée encore la licéité ou non de la publicité effectuée par l’entreprise de customisation. Il se peut dès lors très bien que cette affaire parvienne une seconde fois au Tribunal fédéral… Affaire à suivre.

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