Faillite et revendication – modernisation d’un vieil outil en 2021

Serge Fasel, FBT Avocats

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Pour tenir compte de la dématérialisation croissante, plusieurs lois fédérales seront prochainement modifiées. Zoom sur les modifications de la LP.

Ces dernières années, la (r)évolution numérique est rapide. Elle a accéléré depuis 2008 avec la technologie des registres distribués et de la blockchain. De ce fait, le législateur a souhaité adapter plusieurs lois fédérales pour tenir compte des nouvelles technologies dont la popularité ne cesse de croître et ainsi garantir l’attractivité de la Suisse tout en assurant une forte sécurité juridique. Le parlement fédéral a ainsi adopté, le 25 septembre 2020, un «pack» de modifications législatives pour s’adapter aux registres distribués.

Parmi ces lois adaptées figure la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP), modifiée afin de régler deux problématiques «immatérielles»: (i) la revendication de cryptoactifs dans une faillite et (ii) l’accès aux données (sans valeur patrimoniale) détenues par un failli.

L’action en revendication n’a de sens
que si la masse de la faillite est en possession des biens.

Rappelons que, selon la LP, lorsque la faillite d’une société est prononcée, l’Office des faillites procède à l’inventaire des biens du failli et prend les mesures nécessaires pour leur conservation (art. 221 LP). L’Office constitue ainsi ce qu’on appelle «la masse active» de la faillite. Pour déterminer si un objet doit être rattaché à la masse active, la loi présume que les biens du failli sont ceux dont il a la disposition. Les objets indiqués comme étant la propriété de personnes tierces ou réclamés par des tiers sont néanmoins inclus dans la masse active; le droit allégué par le tiers fait l’objet d’une mention sur l’inventaire (art. 225 LP). Par la suite, l’administration de la faillite devra se prononcer sur le droit allégué par le tiers (art. 242 LP): elle acceptera ou non d’extraire les biens en question de la masse en faillite pour les restituer au tiers. En cas de refus de l’administration de la faillite, le tiers pourra intenter dans les 20 jours l’action en revendication.

Cette action en revendication prévue par l’article 242 LP permet alors au tiers de faire valoir un droit préférentiel afin de sortir son bien de la masse active de la faillite (et de le récupérer). L’action en revendication peut être ouverte et n’a de sens que si la masse de la faillite est en possession des biens. Pour être en possession des biens, la masse de la faillite doit avoir sur ceux-ci un pouvoir de disposer effectif et exclusif.

Ce système fonctionne facilement lorsque la revendication porte sur une chose corporelle, mobilière ou immobilière. La situation est plus complexe lorsque l’objet n’est pas saisissable ni tangible. Quid si le tiers revendique des données, par exemple des photos de famille, hébergées sur un serveur d’une société qui a fait faillite? Quid également si le tiers revendique des cryptoactifs (bitcoins, par exemple) qu’il avait placés dans un wallet exploité par une société désormais en faillite?

Le législateur a adopté un article qui permet à l’ayant droit économique
de revendiquer ses cryptoactifs dans la faillite de l’exploitant du wallet.

S’agissant des cryptoactifs, ils ne sont en général détenus que par l’exploitant du wallet et non par leur ayant droit économique. En effet, l’exploitant est chargé d’exécuter les transactions de cryptoactifs et détient les différentes clés d’accès pour le compte de l’ayant droit économique. Dans un tel cas, la loi considère que le failli a un pouvoir de disposer effectif et exclusif sur les biens; elle présume alors qu’il en est l’ayant droit économique et les cryptoactifs en question entrent dans la masse active de la faillite, sous réserve de revendication.

Or l’article 242 LP ne se prête pas à une action en revendication de cryptoactifs, car il vise des objets. En l’état actuel du droit, les cryptoactifs seraient ainsi perdus pour leur ayant droit économique. Par conséquent, le législateur a adopté un article 242a LP qui permet à l’ayant droit économique de revendiquer ses cryptoactifs dans la faillite de l’exploitant du wallet. En substance, les cryptoactifs peuvent être revendiqués lorsque le failli s’était engagé à les tenir constamment à disposition de son client et que ces cryptoactifs lui sont attribués individuellement. Cette disposition devrait ainsi éviter aux propriétaires de cryptoactifs de courir un risque lié à l’insolvabilité de leur dépositaire (l’exploitant du wallet).

Le second aspect que le législateur a souhaité traiter concerne la revendication d’informations détenues par une administration de faillite. Il faut imaginer le cas d’un hébergeur informatique qui a fait faillite; pour limiter les coûts, l’administration de la faillite a mis tous les serveurs à l’arrêt. Les clients n’ont ainsi plus accès aux données qu’ils ont stockées sur ces serveurs. Ces données peuvent être constituées de photos personnelles sans grande valeur, mais également, par exemple, de données commerciales indispensables à la poursuite de l’exploitation d’une entreprise (fichier clients, comptabilité) hébergées sur les serveurs du failli.

Le législateur a alors créé un article 242b LP pour permettre au tiers, qui atteste un droit légal ou contractuel à des données dont l’administration de la faillite a le pouvoir de disposer, d’obtenir l’accès à ces données ou leur restitution. Si l’administration de la faillite refuse l’accès ou la restitution, le tiers peut agir dans les 20 jours, comme il le ferait pour revendiquer un objet.

Cette révision marque un tournant de la revendication prévue par la LP qui, jusqu’alors, envisageait uniquement une revendication d’objets matériels. Elle répond à la dématérialisation grandissante des données et assure la sécurité juridique nécessaire dans ce contexte. En termes de technique législative, on apprécie cette manière assez suisse d’utiliser une institution existante (la revendication d’objets) et de simplement l’étendre quelque peu pour répondre à de nouveaux besoins. Ainsi, les catégories et les procédures juridiques demeurent les mêmes et sont relativement faciles à appréhender.

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