Taux longs – banques centrales: 1-0

Eric Vanraes, Banque Eric Sturdza

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Chronique des taux de la banque Eric Sturdza.

 

La Fed, comme prévu

La semaine pourrait se résumer ainsi: la Fed fait ce qu’elle veut, la BCE fait ce qu’elle peut! Comme attendu, les taux Fed funds s’élèvent désormais à 1,75%-2% et la hausse de taux a été approuvée à l’unanimité. Le discours de Jerome Powell a été assez hawkish, illustré par des projections économiques révisées à la hausse.

Aussi, les dot plots nous signalent encore deux hausses de taux possibles cette année et trois autres en 2019 ce qui porterait les taux Fed funds à 2,25%-2,5% fin 2018 et 3%-3,25% fin 2019. Au-delà des bons chiffres économiques, il y a sans doute, dans l’esprit du FOMC, le souhait d’opter pour une politique monétaire un peu plus agressive afin de compenser les mesures de stimulation de l’économie de Donald Trump. Ces dernières pourraient en outre être agrémentées d’un nouveau coup de pouce fiscal à l’automne.

Toutes ces mesures ont été accompagnées
d’un discours très prudent de Mario Draghi.

En temps normal, les taux longs auraient dû réagir défavorablement: Si dans 6 mois, les Fed funds s’élèvent vraiment à 2,25%-2,5%, nous devrions avoir un 2 ans Treasury autour de 3% et des taux longs 10-30 ans entre 3,5% et 4%. Or, le marché n’est pas allé dans ce sens, preuve que nous ne vivons pas une période normale. Les taux à 10 et 30 ans se sont détendus d’une dizaine de points de base entre mercredi soir et vendredi, terminant la semaine respectivement à 2,92% et 3,04%. Une partie de cette détente, à partir de jeudi après-midi, était toutefois à mettre sur le compte de la réunion de la BCE.

La BCE en mode dovish tightening

La BCE nous a annoncé un QE réduit de 30 à 15 milliards d’achats par mois pour le quatrième trimestre puis arrêt du QE fin décembre (mais poursuite des réinvestissements). Ensuite, après deux ou trois trimestres de stand-by, relèvement des taux «dans le courant de l’été». Résultat: le Bund 10 ans passe de 0,50% à 0,38%. Cherchez l’erreur… Il faut dire que toutes ces mesures ont été accompagnées d’un discours très prudent de Mario Draghi. Les projections d’inflation ont été relevées à court terme et Francfort s’attend désormais à 1,7% pour 2018, 2019 et 2020.

En revanche, la croissance a été révisée à la baisse: 2,1% en 2018, 1,9% en 2019 et 1,7% en 2020. Ce que le marché a retenu, c’est que toutes ces mesures, tapering en fin d’année et hausse de taux d’ici un an, pourront être remises en cause à tout moment si l’inflation constatée se révèle en-deçà des projections de la banque centrale. Il semble plausible que Super Mario fera tout son possible pour léguer à son successeur le 1er novembre 2019, une politique monétaire débarrassée d’un taux de dépôt négatif (-0,4% aujourd’hui).

Jusqu’à présent, la mise en place d’un nouveau QE s’agissait
d’un outil exceptionnel à utiliser en cas d’urgence.

Il est aisé de deviner ses craintes: d’ici-là, un ralentissement économique aux Etats-Unis est probable et si jamais cela dégénère en crise forçant les banques centrales à faire volte-face pour appliquer une politique de baisses de taux, la Fed aura une boîte à outils relativement fournie (on parle d’une projection de Fed funds autour de 2,75%-3% au quatrième trimestre 2019) tandis que la BCE sera totalement démunie si les taux actuels (Refi à 0%, dépôt à -0,4%) sont encore en vigueur à ce moment-là.

Certes, la mise en place d’un nouveau QE sera toujours possible mais jusqu’à présent, il s’agissait d’un outil exceptionnel à utiliser en cas d’urgence. Cela dit, jeudi dernier, à l’occasion de la séance des questions, Mario Draghi a qualifié le QE d’instrument «normal», ce qui peut paraître choquant. Voulait-il insinuer par-là que, désormais, cette pratique est entrée dans les mœurs des banques centrales et que dans le futur, il faudra s’attendre à ce que la BCE utilise cette arme de manière conventionnelle?

Emergents: jeter le bébé avec l’eau du bain?

Avec un dollar index (DXY) à 95, au plus haut de l’année, un EUR-USD à 1,16 et une Fed plutôt hawkish, les émergents ne sont pas à la fête. Les craintes qu’inspire cette classe d’actif ont été exacerbées par des situations particulières en Argentine ou en Turquie.

En quelques semaines, les émergents (actions et obligations) sont passés de classes d’actifs préférées à marchés à éviter. Les ETF ont subi des vagues de rachats exceptionnelles et, comme souvent, peu de discrimination a été observée dans la baisse.

Ainsi, la dette émergente de haute qualité (investment grade) émise en dollars a souffert de manière injustifiée dans son ampleur et quelques opportunités d’investissement réapparaissent. Nous n’avions pas vu cela depuis la courte période qui avait suivi l’élection de Donald Trump fin novembre – début décembre 2016. Il est toujours délicat d’estimer à quel moment un marché a atteint son point bas mais nous avons la conviction qu’il est temps de reconstruire des positions dans ce marché à fort potentiel pour un risque contenu.

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