La Chine défie le pétrodollar

Alain Barbezat, BCV

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Pékin s’apprête à lancer un contrat à terme sur le pétrole libellé en yuans et convertible en or. Coup de tonnerre dans le ciel déjà tourmenté du roi dollar.

Le gouvernement chinois s’apprête à faire une annonce qui résonnera comme un coup de tonnerre dans le ciel déjà tourmenté du roi dollar. Elle va lancer un contrat à terme sur le pétrole, libellé en yuans. Le «projet petroyuan» est en cours depuis 2009, et Pékin a pris tout son temps pour se préparer au lancement. Les grandes compagnies pétrolières internationales et négociants ont été impliqués dans la création du cadre réglementaire requis.

L’usage du dollar est à ce jour quasi universel dans le négoce de pétrole. Dans les années 1970, les États-Unis et l'Arabie Saoudite ont conclu un accord qui a donné naissance au pétrodollar. Les Saoudiens acceptent de vendre leur pétrole uniquement pour des dollars, en échange de quoi, les États-Unis leur fournissent de l’aide militaire. La Chine s'efforce de renverser cet accord. En obtenant toutes les garanties requises, de nombreux pays choisiront probablement de faire des affaires en yuans plutôt qu'en dollars, à l’exemple de la Russie et de l'Iran.

Un argument fort contre le petroyuan est que le yuan lui-même n'est pas une monnaie très liquide. Les autorités chinoises sont conscientes du problème et ont déjà trouvé une solution. Les utilisateurs des contrats à terme en yuans auront la possibilité de convertir leurs yuans en or sur le HK Futures Exchange ou le Shanghai Futures Exchange.

L'or est un refuge de valeur universellement accepté

L’or n'a aucun des défauts attribués au yuan. L'or peut fonctionner comme une monnaie, c'est un refuge de valeur universellement accepté. Si l'or peut avoir ses inconvénients lorsqu'il est utilisé comme devise pour le négoce pétrolier, il présente également un avantage unique: les utilisateurs d'or sont immunisés contre les sanctions financières américaines. Personne n’a autorité suprême sur l’émission ou le contrôle de l’or. Étant donné le climat géopolitique actuel, toute devise dotée d'une capacité intrinsèque de contourner les sanctions américaines devient une candidate intéressante pour le commerce de matières premières stratégiques comme le pétrole. Ce mécanisme sert également de couverture contre la dévaluation du yuan.

Les nations frappées par les sanctions américaines, comme la Russie, l'Iran et le Venezuela, qui au passage sont assises sur les plus grosses réserves mondiales de gaz et de pétrole, seront sans doute parmi les premières à adopter le petroyuan. Les petits producteurs, tels que l'Angola et le Nigeria, vendent déjà du pétrole et du gaz à la Chine en monnaie chinoise. Les BRICS ont apporté leur soutien à l’alternative petroyuan en août 2017. Ceux-ci, ainsi que l'Organisation de Coopération de Shanghai, ou SCO, qui comprend des membres potentiels, tels que l'Iran et la Turquie, règlent de plus en plus leurs échanges bilatéraux et multilatéraux en contournant le billet vert.

Importations chinoises de pétrole brut
(En millions de tonnes - Premier semestre 2017)

Source: Nikkei, Wood Mackenzie
 
L'érosion du pétrodollar

L’attrait du nouveau contrat à terme chinois dépasse la liste des adversaires américains. L’Arabie Saoudite cherche à introduire en bourse une partie du capital (5%) de son géant, Aramco. La Chine s’est dite intéressée à en devenir le principal investisseur. Si cette vente s’effectue, les Chinois seraient en mesure de régler leurs achats de pétrole saoudien en yuans et non plus en USD. Un tel revirement de Riyad éroderait non seulement la puissance du dollar et du pétrodollar, mais aussi les bases mêmes de la relation entre les États-Unis et l'Arabie Saoudite. Si ceci paraît encore improbable, ce ne serait pourtant pas la première fois que l’Arabie Saoudite changerait son allégeance.

En acceptant de se faire payer en yuans, l’Arabie Saoudite risque de perdre la protection militaire américaine. Les Chinois ont conscience du dilemme épineux dans lequel ils mettent le pays et ont pour cela d’autres atouts dans leur manche, à savoir une autorisation d’émission de bons en yuans par l’Arabie Saoudite et la création d’un fonds d’investissement saoudo-chinois.

L’avènement du petroyuan et l’internationalisation de la monnaie chinoise sont également à mettre en regard avec l'expansion de l'initiative Belt and Road. Ce projet pharaonique est une série de corridors terrestres et maritimes reliant la Chine orientale à l’Europe en passant à travers des régions riches en pétrole et gaz en Asie centrale et au Moyen-Orient, mais aussi des régions remplies de gisements aurifères inexploités. Des pays impliqués dans ce programme, à l’instar du Pakistan, réfléchissent à remplacer le dollar dans le commerce bilatéral.

Le système de pétrodollar a été extrêmement bénéfique pour les États-Unis. Il n’est pas possible à ce stade de savoir si l'entrée de la Chine sur le marché du pétrole aura un impact significatif pour le cours du billet vert. Nous pouvons toutefois être raisonnablement certains qu’elle entraînera une baisse du volume des transactions en dollars et sera donc une nouvelle fâcheuse pour les banques américaines, qui tirent profit du volume de transactions en USD qu'elles dégagent. D'un autre côté, elle devrait améliorer la rentabilité des banques chinoises, car des bénéfices significatifs provenant des transactions pétrolières devraient commencer à leur être versés. Ce contournement du dollar serait une victoire pour la Chine, qui se place de plus en plus comme un intervenant incontournable de l’économie et la géopolitique mondiale au travers d’initiatives et d’alliances multiples, et de nombreux exportateurs de pétrole.