Vers un marché obligataire baissier?

Peter de Coensel, DPAM

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La période actuelle est périlleuse et difficile pour les investisseurs, mais leur pire ennemi est l’inflation.

©Keystone

Il n’existe pas de définition généralement admise de ce qu’est un marché obligataire baissier. Pour un certain nombre de commentateurs, il ne se manifeste que lorsque les obligations à long terme (échéances supérieures à 20 ans) perdent plus de 10% et les obligations à moyen terme (échéances comprises entre 5 et 10 ans) baissent de 5%. C’est précisément le cas des bons du Trésor américain à long terme puisqu’ils ont reculé de 14,13% au premier trimestre 2021. En revanche, l’ajustement à la baisse de leurs homologues à moyen terme n’a été que de 3,15%, alors que les emprunts d’entreprise de même échéance reculaient de 4,23%.

En Europe, l’évolution a été similaire pour les emprunts des principaux Etats de l’UEM tels que l’Allemagne et la France, où le 30 ans a reculé de 11% (mais de 4,5% seulement pour les BTP italiens). Par conséquent, les investisseurs qui auraient limité leur exposition aux emprunts à long terme américains ou d’Etats du cœur de l’Europe sont effectivement entrés dans une phase de marché baissier. Ce n’est pas le cas de ceux qui auraient tablé sur les échéances moyennes qui constituent, de fait, la plus grande partie des portefeuilles obligataires. 

Rester sélectifs

Nous traversons actuellement une phase de liquidation des positions obligataires qui entraîne une pentification de la courbe des rendements. Or les périodes de ce type comptent parmi les plus dangereuses et les plus difficiles à affronter. Elles sont périlleuses dans le sens où la nervosité des investisseurs amène ces derniers à ne plus opérer de distinction entre les différents segments du marché obligataire. Or, certains d’entre eux résistent bien et permettent même de créer de la valeur alors que d’autres se trouvent happés dans la spirale baissière. 

Pour retrouver des performances aussi mauvaises que celles
du premier trimestre 2021, il faudrait retourner 40 ans en arrière.

Les périodes de ventes massives de titres à long terme (obligations à 30 ans par exemple) sont pénibles à court terme. Cependant, dès que les taux se stabilisent et que la dynamique redevient positive (baisse des taux), ce segment du marché obligataire retrouve toute sa capacité à doper les performances.  

Ce que disent les indices

Mais examinons plus avant l’hypothèse d’un marché baissier et comparons les évolutions d’indices élargis tels que les Bloomberg Barclays Aggregate Total Return US et Euro. Le premier affiche une capitalisation boursière de l’ordre de 25’000 milliards de dollars, alors celle du second s’élève à 13’200 milliards d’euros et représente des titres de créance souverains, quasi souverains, et d’agences gouvernementales, ainsi que des créances d’entreprises de qualité investissable (IG). Au premier trimestre 2021, le recul de l'indice américain a été de 3,37% (en dollars) et celui de son homologue pour la zone euro de 1,9%. Pour trouver une baisse trimestrielle encore plus marquée, il faudrait remonter au troisième trimestre 1981 qui affichait alors un recul de 4,07%.

Lancé en 1976, l’indice Aggregate américain a enregistré ses plus mauvais résultats trimestriels en 1980, avec des reculs de -8,71% au premier trimestre et – 6,56% au troisième trimestre. C’est durant cette période que le 30 ans américain a connu sa plus forte chute et perdu près de 21%. Pour les titres du Trésor américain à 5 ans, la perte maximale a été proche de 9%. Les obligations à long terme ont subi une correction de même ampleur durant le marché baissier de 1969-70. En revanche, elle a été moins marquée pour les échéances moyennes.

Quoiqu’il en soit, pour retrouver des performances aussi mauvaises que celles du premier trimestre 2021, il faudrait retourner 40 ans en arrière. On peut donc affirmer que le marché américain est bel et bien entré dans une phase baissière. En ce qui concerne l’Europe, l’Euro Aggregate a reculé de 1,90% au premier trimestre 2021, alors que depuis son lancement en 1998, il n’a connu que 5 trimestres affichant une performance négative supérieure à 2% (-4,35% au deuxième trimestre 2015).

Les emprunts d’Etat doivent leur étonnante perte de valeur à une inflation
mesurée par un IPC qui a progressé en moyenne de 4,8% sur 40 ans.

A l’heure actuelle, le US Aggregate affiche un rendement de 1,56% pour une duration de 7,7 ans, tandis que pour l’Euro Aggregate, ces chiffres sont de respectivement 0,04% et 6,5 ans. Tout bien considéré, les dégâts ont donc pu être limités, du moins jusqu’à présent. Et comme le montre l’histoire, les baisses de rendement sont temporaires et s’effacent avec le temps. En outre, si, à leur exposition de base, les investisseurs ajoutent des obligations indexées sur l’inflation, des emprunts de qualité (IG) ou à haut rendement ainsi que de la dette gouvernementale émergente, leurs performances s’améliorent nettement. 

Inflation: rester vigilant

Le pire ennemi de l’obligataire sur le long terme est plutôt la perte de pouvoir d’achat occasionnée par l’inflation. Si l’on examine les rendements réels ou corrigés de l’inflation des emprunts d’Etats américains à 5 et 30 ans, leurs résultats sont plutôt décevants. En termes réels, le 5 ans a perdu 40% et le 30 ans 60% sur la période qui va du début des années 40 à 1981, soit sur 40 ans. 

Au début des années 40, la Fed a mis en place un contrôle de la courbe et elle a plafonné les taux à 2,5% pour les échéances comprises entre 10 et 30 ans, politique qui a été abandonnée en 1951. Mais c’est en 1969-1970 que les Etats-Unis ont connu leur premier marché véritablement baissier. Puis les taux à long terme ont connu un pic et sont passés juste au-dessus de 15% en 1981. Cependant, c’est à une inflation mesurée par un indice des prix à la consommation (IPC) qui a progressé en moyenne de 4,8% sur 40 ans que les emprunts d’Etat doivent leur étonnante perte de valeur. 

A l’heure actuelle, l’IPC américain progresse de 1,7% en glissement annuel. Il devrait évoluer de manière très volatile au deuxième trimestre et pourrait passer à 2,5, voire 3,5% pour revenir dans une fourchette située entre 2,00 et 2,50% au second semestre. Tel est du moins ce qui est attendu par le consensus. Or, vus sous l’angle de la «moyenne», 2 ou 3% ne semblent pas tellement éloignés de 4,8%. Par conséquent, les investisseurs obligataires devront rester très vigilants ces deux à trois prochaines années. 

Il est tout à fait évident que la coopération entre autorités monétaires et budgétaires a donné le coup d’envoi à un nouveau régime de marché. Si entre 1941 et 1951, la Fed s’est contentée de plafonner les taux, malgré une inflation devenue très forte après 1945, aujourd’hui elle a adopté le ciblage d’inflation moyenne, une mesure qui n’a encore jamais été testée en pratique. 

Les taux des contrats à terme à cinq ans dans cinq ans pour les bons du Trésor américain sont passés au-dessus de 2,5%. Il s’agit d’un niveau très intéressant pour investir, du moins pour autant que la Fed parvienne à maintenir sa cible d’inflation à 2%. En revanche, il en irait tout autrement si l’inflation moyenne venait à déraper pour se situer à 3% ou, scénario pire encore, qu’elle aille jusqu’à 4%.... Les marchés financiers entreraient alors dans une phase baissière tout à fait inédite et qui affecterait toutes les classes d’actifs.

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