Un petit raté pour Enel, un grand pas pour le secteur

Johnathan Owen, TwentyFour Asset Management

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Un événement qui constitue un développement positif pour le secteur des Sustainability-linked bonds en lui apportant plus de crédibilité.

©Keystone

Le rapport annuel 2023 sur le développement durable de l'énergéticien italien Enel, publié la semaine dernière, confirme que l'entreprise n’a pas atteint les objectifs de ses KPI de réduction des émissions sur un certain nombre de ses Sustainability-linked bonds (SLB). Par conséquent, le premier émetteur de SLB verra le coupon augmenter sur une dizaine d’obligations, soit la pénalité la plus importante à ce jour sur le marché des SLB.

Pour rappel, les obligations vertes sont liées à des actifs ou à des projets spécifiques, au même titre que les obligations sociales et les obligations durables. En revanche, les SLB mobilisent des capitaux à des fins générales, les performances ESG globales de l'entreprise étant liées à certains KPI. Si l'émetteur ne respecte pas ces indicateurs, le coupon de l'obligation augmente.

Le marché des obligations labellisées a connu une croissance significative au cours des cinq dernières années, sous l'effet de facteurs macroéconomiques forts, suite aux efforts de relance liés à la pandémie, et à l'intérêt accru des investisseurs pour les questions ESG à l'échelle mondiale, et en particulier en Europe. Alors que les obligations vertes ont dominé cette croissance, les SLB ont eu du mal à séduire les investisseurs, qui se montrent souvent prudents face au manque d'ambition perçu sur les KPI des émetteurs, à la difficulté d'envisager des scénarios dans lesquels le mécanisme d'augmentation du coupon serait déclenché, et au besoin de justification de leurs rendements généralement plus faibles.

Enel continue d'être une entreprise d'utilité publique, leader dans l'abandon des énergies fossiles, ce qui est manifeste dans la diminution de l'intensité de ses émissions de Scope 1.

Enel n'a pas atteint son objectif carbone pour 2023, citant une production d'électricité à base de charbon plus élevée que prévu en raison de l'invasion russe de l'Ukraine et des perturbations d'approvisionnement en gaz européen qui en découlent. Plus précisément, Enel n'a pas atteint son objectif de réduction de l'intensité des émissions de Scope 1 à 148 gCO2eq/kWh pour 2023, l'intensité réelle étant de 160 gCO2eq/kWh. Pour replacer ces chiffres dans leur contexte, les émissions de Scope 1 d'Enel en 2017 étaient de 365 gCO2eq/kWh, puis de 229 gCO2eq/kWh en 2022. Bien que la baisse en 2023 n'ait pas été à la hauteur des espérances des dirigeants, elle reste significative: une réduction de 56% sur une période de six ans et de 30% sur un an.

En conséquence, 10 obligations (5 en euros et 5 en dollars) seront impactées et verront leur coupon augmenter de 25 points de base (pb). Soit une augmentation des coûts d'intérêt d’environ 83 millions d'euros sur le reste de vie de ces obligations; un chiffre significatif mais pas suffisant pour impacter significativement la qualité du profil d’émetteur d'Enel, à notre avis.

La réaction du marché a été modérée, voire légèrement positive. Bien que largement attendue, l'augmentation du coupon n'a pas été entièrement prise en compte. Cela a conduit les spreads des SLB d'Enel à se resserrer de 5 à 10 pb mercredi dernier, surperformant leurs homologues non-SLB. En outre, il n'y a pas eu de réaction négative vis-à-vis de la réputation ESG d'Enel suite aux circonstances entourant le non-respect de ses KPI. En fin de compte, cet échec est dû à des facteurs exogènes et ne peut être attribué à un manque d'investissements dans le développement durable; Enel continue d'être une entreprise d'utilité publique, leader dans l'abandon des énergies fossiles, ce qui est manifeste dans la diminution de l'intensité de ses émissions de Scope 1.

Bien que cet événement ne bouleverse pas le secteur, nous pensons qu'il s'agit d'un développement positif et qu'il ajoute de la crédibilité à un instrument souvent critiqué. Il démontre que la procédure fonctionne lorsque le non-respect des objectifs entraîne une pénalité financière et souligne qu'il existe des scénarios crédibles dans lesquels les KPI peuvent ne pas être respectés. Nous continuons à apprécier le format SLB car il se concentre sur le profil ESG et le parcours de l'entreprise dans son ensemble plutôt que sur un seul projet vert, et surtout, la sanction pécuniaire responsabilise les dirigeants. Bien qu'il soit peu probable que cet événement déclenche une croissance rapide dans le secteur, nous pensons qu'il peut changer la mauvaise perception de nombreux investisseurs.

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