Un marché de «claims» émerge des AT1 de Credit Suisse

Emmanuel Garessus

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Certains hedge funds investissent sur un marché de «claims» dont les caractéristiques évoquent celles d’options OTC, selon un teneur de marché.

© Keystone

La chute de Credit Suisse n’a pas fini de faire des vagues, tant juridiques que politiques et financières. L’incertitude reste par exemple considérable sur le sort des investisseurs qui, le 17 mars, détenaient des obligations AT1 ou des actions.

Depuis l’annulation des obligations AT1 de Credit Suisse, le marché global des AT1 s’est normalisé. Le rendement s’est élevé à 14%, selon l’indice ICE BofA, cité par zonebourse.

L’effacement des obligations AT1 Credit Suisse a par ailleurs conduit à l’émergence d’un nouveau marché, très étroit et très particulier, mais qui ne manque pas d’intérêt. Il s’agit de celui des «claims» sur les obligations AT1 de Credit Suisse, selon Mike Conway CEO de Valcourt, un teneur de marché obligataire basé à Genève. «Nous n’avions pas de transaction ouverte le 19 mars 2023 sur Credit Suisse», précise d’emblée ce dernier. Il n’a donc pas été confronté au problème de règlement des transactions effectuées avant le week-end signifiant la reprise par UBS et l’annulation des AT1. Les codes ISIN des AT1 de Credit Suisse ont effectivement été supprimés peu après ce triste week-end de mars. «Valcourt a pu négocier des AT1 de Credit Suisse sur une base dite de «claims», révèle-t-il à Allnews. Avec l’effacement du code ISIN du titre, celui-ci n’existe plus et il n’y a pas d’opérations de livraison contre paiement chez un dépositaire. Valcourt a alors décidé d’utiliser une forme de contrats de gré à gré. Ces «claims» sont caractérisés par un paiement immédiat au détenteur de ces titres CS au 19 mars 2023 et tout paiement potentiel ultérieur sera versé au nouvel acquéreur. Ces contrats présentent donc certaines caractéristiques d’options puisqu’elles donnent droit à d’éventuels cash-flows futurs.

La valeur de ces «claims» est très fortement inférieure à la valeur nominale des AT1 et ce marché est «étroit et réservé à des spécialistes», selon notre interlocuteur.  Valcourt déclare avoir l’expertise dans le traitement de ces papiers dans lesquels l’ISIN a été supprimé. L’opération sur une base de «claims» nécessite l’apport d’une garantie, en l’occurrence l’utilisation de documents de la «Loan Market Association» définissant un contrat établi sur base bilatérale.  

Ces contrats présentent donc certaines caractéristiques d’options puisqu’elles donnent droit à d’éventuels cash-flows futurs.

Les «claims» ne sont pas des dettes. «Aujourd’hui, un point d’interrogation existe sur la valeur de ces obligations AT1 qui n’existent plus», remarque Mike Conway. Des clients sont prêts à vendre le fait qu’ils étaient bien détenteurs de ces AT1 le 19 mars, explique-t-il. En face, des acheteurs sont prêts à payer un montant aujourd’hui pour potentiellement récupérer des cash-flows dans le futur». Il ne s’agit pas forcément d’une transaction non accomplie du fait de l’annulation des AT1. Un investisseur sur base de claims doit prouver qu’il était bien le propriétaire des AT1 Credit Suisse le 19 mars. «Nous demandons un relevé à la banque du vendredi 17 mars et une lettre garantissant que le claim n’a pas été vendu à quelqu’un d’autre. Il n’est naturellement pas autorisé de vendre deux fois un titre à deux personnes différentes», précise Mike Conway.

Sur cette base, certains acheteurs, généralement des hedge funds, sont d’accord d’acheter ces claims en disant que tout paiement potentiel futur sera acquis par l’acheteur. En vertu du résultat des jugements attendus, il n’est d’ailleurs pas clair de définir leur impact sur ces claims. Les acteurs de ce marché de professionnels ne sont pas nécessairement en conflit juridique lié à la chute de Credit Suisse. Ce marché des «claims» comprend «relativement peu d’acteurs», selon Valcourt. L’échange se fait d’ailleurs non pas sur le marché officiel mais de gré à gré (OTC).

Interrogé par Allnews, un porte-parole de la Finma indique que «les marchés OTC ne sont pas spécialement surveillés par la FINMA». Il ajoute que la Finma «surveille certaines infrastructures des marchés financiers réglementées par la loi, comme les plates-formes de négociation et les systèmes de négociation organisés». Parmi les acteurs des marchés, il est reconnu qu’en principe, le négoce OTC, qui ne constitue pas un «marché» en soi, est connu de la surveillance. Certains aspects du négoce OTC sont également soumis à des réglementations et à une surveillance (certains produits, acteurs et comportement sur le marché). Mais la Finma ne s'exprime pas sur les différents marchés partiels ou segments de négoce OTC. Egalement interrogé par Allnews, Credit Suisse ne tient pas à commenter ces nouveaux titres.

Il n’y a ni montant minimum, ni maximum à ces transactions sur les claims. «Nous avons traité quelques millions en valeur nominale», dit Mike Conway. Les prix sont «nets». Ils sont vendus à un prix légèrement supérieur à celui auquel ils ont été acquis. Et ceux-ci son restés relativement stables cet été, ajoute-t-il.

«Aujourd’hui, un point d’interrogation existe sur la valeur de ces obligations AT1 qui n’existent plus».

Mike Conway n’a pas de commentaire spécifique sur le problème juridique lié au règlement des transactions et/ou à la fin du code ISIN du fait qu’il n’avait pas de transaction en cours sur ces titres CS.

L’annulation du code ISIN est un événement qui s’est déjà produit dans l’histoire. Valcourt a déjà lui-même connu un tel cas de figure et traité sur base de «claims». Il s’agissait de la nationalisation de la SNS Bank aux Pays-Bas en 2013. L’ISIN avait été supprimé après la nationalisation de cette banque par le gouvernement néerlandais. Et récemment ce gouvernement a été amené à payer un dédommagement, dix ans après cette crise qui s’était traduite par la suppression des obligations subordonnées de cette banque. A l’époque aussi, on avait assisté à des échanges de «claims» à condition que l’on pouvait prouver la détention des obligations au moment de la suppression de l’ISIN.

Dans le cas des obligations AT1 de Credit Suisse, le flou juridique existe puisque certains acteurs, comme la Finma, selon son communiqué, estiment que le prospectus des AT1 de Credit Suisse permettait l’amortissement à 0. D’autres s’opposent au fait que les actionnaires ont reçu un paiement au contraire des détenteurs d’obligations. Une autre problématique se présente où les transactions obligataires, se réglant normalement en T+2, et les livraisons n’ayant pu être effectuées en date valeur, qu’est-ce qui prime, le market practice (pratiques du marché)  qui voit les transactions se régler au-delà de T+2 ou des règles générales de droit internes appliquées par extension aux transactions financières?

Le marché des AT1 de Credit Suisse représentait 18 milliards de francs, alors que celui des «claims» est modeste. «Seuls quelques millions se sont échangés», selon Mike Conway. Ce dernier s’attend à une augmentation des transactions, en raison de nombreuses questions que lui posent les investisseurs.

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