Moody’s a récemment maintenu la note de crédit de la France à Aa2, tout en abaissant néanmoins sa perspective de «stable» à «négative», ce qui met en lumière le caractère insoutenable de la trajectoire budgétaire du pays. Cet avertissement intervient dans un contexte de féroce bataille parlementaire autour de la manière de contenir le déficit, qui a explosé jusqu’à atteindre près de 6% du PIB – bien au-dessus des prévisions, y compris de celles du ministère français des Finances.
La raison de ces erreurs de prévision du ministère demeure floue. S’expliquent-elles par les bouleversements administratifs provoqués par la décision du président Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale et de convoquer des élections anticipées? Ou révèlent-elles des défaillances plus profondes dans les modèles de prévision du ministère, telles qu’une incapacité à anticiper les recettes fiscales, notamment issues de l’impôt sur les sociétés, dans un contexte de forte inflation?
Quelle qu’en soit la raison, ces erreurs risquent de mettre à mal la confiance des créanciers de la France. Source d’inquiétude supplémentaire, ni la gauche, ni le centre-droit, ni l’extrême droite ne sont parvenus à obtenir une majorité parlementaire depuis les élections du mois de juillet. Dénué de majorité claire, le gouvernement de centre-droit du Premier ministre Michel Barnier est susceptible de s’effondrer à tout moment – il suffirait que la gauche et l’extrême droite s’unissent pour voter une motion de censure.
Par ailleurs, le bloc centriste censé soutenir Barnier est en proie à des divisions internes largement alimentées par les ambitions présidentielles de figures influentes au sein de la coalition. Résultat, Barnier se trouve confronté à un nombre croissant d’amendements budgétaires et d’ultimatums émanant de ses propres rangs.
À titre d’exemple, la ministre du Tourisme Olivia Grégoire, l’ancien ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin et le député Mathieu Lefèvre – tous membres du parti Renaissance de Macron – ont publié le 19 octobre une tribune dans laquelle ils appellent le gouvernement à vendre 10% des participations de l’État dans des sociétés cotées en bourse, sans tenir compte du fait que cela n’aurait aucun impact sur la valeur réelle de la dette publique nette. Une semaine plus tôt, ces mêmes politiciens exhortaient Barnier à exclure toute augmentation des impôts, une démarche qui compromettrait les efforts de réduction du déficit, et qui pourrait entraîner de sérieuses conséquences pour la note de crédit de la France.
Ces deux dernières semaines, les députés ont déposé près de 3 500 amendements budgétaires, dont 1 200 en provenance du propre bloc de Macron, qui partage bien entendu la responsabilité de l’augmentation du déficit. Au milieu de cette tourmente politique, le chevronné Barnier adopte néanmoins une approche mesurée, assurant au Parlement qu’il ne précipitera pas le processus, et répétant être «à l’écoute».
Il n’y a encore pas si longtemps, Macron pouvait se contenter de donner des instructions à ses Premiers ministres pour faire appliquer ses mesures, sa majorité à l’Assemblée nationale veillant à leur adoption et mise en œuvre, indépendamment de l’opinion publique. C’en est fini de ce fonctionnement décisionnel imposé d’en haut. Désormais, Macron doit apaiser, négocier et composer avec diverses factions parlementaires.
Barnier s’est rapidement adapté à ce nouveau terrain politique. En laissant du temps aux débats, en évitant les controverses inutiles et en conservant une attitude calme, il a souligné l’irresponsabilité des députés absorbés par des querelles interminables, renforçant ainsi son image de leader déterminé à résoudre la crise budgétaire et à repositionner la France sur la voie d’une croissance durable. Jusqu’à présent, les citoyens français – fatigués des promesses non tenues et des divisions politiques – semblent approuver: la cote de popularité de Barnier a atteint un niveau relativement élevé de 39% ces dernières semaines, tandis que celle de Macron a chuté à un niveau historiquement bas de 25%.
À long terme, la France devra inévitablement mettre en œuvre des réformes structurelles majeures: réforme des systèmes d’éducation et de santé, réduction des lourdeurs bureaucratiques, et passage d’un système électoral majoritaire à un système de représentation proportionnelle. La priorité la plus urgente de Barnier réside toutefois dans l’obtention d’une approbation parlementaire à l’appui d’un projet de loi de finances ciblant le déficit budgétaire.
Faire adopter une telle loi ne sera pas facile dans un contexte économique marqué par l’augmentation du chômage, par des fermetures d’usines, ainsi que par le déclin de l’investissement et des dépenses de consommation. C’est la raison pour laquelle, dans un effort de démonstration de sa bonne volonté et de son ouverture à des compromis, Barnier a tendu la main à la gauche en proposant des impôts plus élevés pour les grandes entreprises et les plus fortunés, tout en adoptant une position plus à droite concernant l’immigration.
Malgré ces démarches d’ouverture, Barnier devra probablement invoquer l’article 49.3 de la Constitution française, qui permet au gouvernement de faire passer un budget sans vote de l’Assemblée nationale, sauf en cas de motion de censure. Pour déclencher une telle motion, la gauche et l’extrême droite devraient s’unir pour censurer Barnier – un scénario hautement improbable, étant donné les récentes concessions du Premier ministre auprès des deux bords politiques.
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