Trump ravive le risque géopolitique

Axel Botte, Ostrum AM

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L’élimination d’un général iranien pourrait déstabiliser le Golfe.

© Keystone

L’élimination du général iranien Qassem Suleimani sur ordre du Président américain soulève immédiatement la question de la stabilité au Proche-Orient. Des représailles iraniennes envers les intérêts américains dans la région et leurs alliés semblent inévitables. Les marchés financiers ont réagi de façon prévisible dans des volumes d’échanges peu étoffés en ce début d’année. Les intervenants ont privilégié les valeurs refuge dont l’or, les emprunts d’états sans risque et les devises sures comme le yen japonais et le franc suisse. Le 10 ans américain termine la première semaine de l’année sous 1,80% effaçant une partie du mouvement de pentification observé en décembre.

Les TIPS profitent de la hausse de 2 dollars du baril de brut. Les actions européennes ont ouvert en nette baisse vendredi avant de se redresser tout au long de la séance grâce aux valeurs de la défense et aux pétrolières au détriment des transporteurs aériens. En revanche, l’écartement des indices de crédit (CDS) est resté limité à 2pb sur le crossover (209pb). Les swap spreads et les spreads souverains en zone euro sont inchangés. Cela étant, la prime de CDS sur le souverain souadien (+10pb vendredi) traduisait immédiatement le risque de représailles persanes. Les dettes émergentes en dollars s’écartent de l’équivalent de la chute du T-note.

Le graphique de la semaine

Après l’intervention massive de la Fed autour du passage de fin d’année, il convient de s’intéresser au précédent de l’an 2000.
La crainte d’un manque de liquidités au passage à l’an 2000 avait motivé des injections allant jusqu’à 120 milliards de dollars. Ces prêts au secteur bancaire avaient amplifié la hausse du Dow Jones au 4T 1999.
Le retrait ultérieur avait à l’inverse coïncidé avec une brutale correction de l’indice phare de la bourse de New York.
La Fed ne prendra aucun risque.
Risque d’embrasement au Proche-Orient

La décision américaine d’éliminer le général Suleimani contraste avec la retenue dont avaient fait preuve les américains jusqu’alors. L’attaque de l’ambassade américaine en Irak attribuée aux iraniens a motivé une réaction des Etats-Unis, jugée disproportionnée par le camp démocrate et risquant de déstabiliser une fois encore la région du Golfe persique. L’Iran a prévu des représailles qui viseront sans doute les intérêts américains dans la région et ceux de leurs alliés, saoudiens par exemple. Cela avait déjà été le cas l’an passé avec les attaques de tankers dans le détroit d’Hormuz et des sites de production pétrolière sur le sol saoudien. Le rétablissement rapide de l’offre pétrolière avait empêché une escalade des tensions et un frein supplémentaire à la croissance mondiale via une hausse des prix de l’or noir. Le réflexe des intervenants apprenant l’élimination du général iranien est conforme aux attentes. Les investisseurs ont initialement vendu les marchés d’actions préférant la sécurité des obligations sans risque (T-note, Bund), des devises fortes comme le dollar, le yen ou le franc suisse et bien évidemment l’or dont le comportement n’est plus seulement guidé par l’encours des obligations à rendements négatifs. Le baril de pétrole se renchérit de 2 dollars sur la séance de vendredi, ce qui soutient les prix des emprunts indexés à l’inflation. Le rebond graduel des actions européennes en cours de séance ne saurait présager d’une désescalade rapide. Les dernières annonces iraniennes et américaines ne vont pas dans ce sens. Donald Trump a même promis de frapper 52 cibles iraniennes. Le Président américain, soumis au risque d’empêchement, attisera le sentiment hostile à l’Iran en cette année d’élections présidentielles.

Etats-Unis: croissance de 2%Ta au 4T19 malgré la récession industrielle

Compte tenu de l’actualité internationale et des volumes réduits sur les marchés, les données conjoncturelles ont naturellement passées au second plan. L’ISM manufacturier dépeint une activité industrielle en contraction aux Etats-Unis pour un cinquième mois consécutif. Les difficultés du secteur n’empêchent pas d’envisager une croissance supérieure à 2% en termes annualisés au dernier trimestre de 2019. La décélération de la consommation est modeste et l’investissement logement poursuit son redressement dans un contexte de taux à long terme bas. Le refinancement hypothécaire permet ainsi d’alléger la charge d’intérêt sur les crédits personnels et les cartes de crédit. Le solde extérieur s’est amélioré.

Cela peut sembler paradoxal mais la variabilité des marchés financiers, de la croissance économique et de l’inflation s’avère extrêmement faible au regard du bruit politique et des incertitudes maintes fois évoqués au cours des dernières années. Le consensus, certes souvent pris en défaut, table sur une inertie remarquable des variables économiques en 2020.

La Fed assure le passage de fin d’année

L’action de la Fed s’est intensifiée au passage de fin d’année. Les minutes du FOMC de décembre sont venues conforter les anticipations d’une poursuite des prêts sur le marché interbancaire. Autour de la fin d’année, la Réserve Fédérale a tué dans l’oeuf toute tension éventuelle sur le marché du repo en procédant à de larges injections de liquidité jusqu’à constater le rétablissement d’une situation de réserves bancaires surabondantes. Le risque économique sous-jacent correspond au financement du déficit fédéral abyssal qui pèse sur les taux longs… et force déjà la Fed à agiter le risque d’une reprise du QE en 2020 pour pallier l’absence de demande des Banques Centrales étrangères pour les Treasuries. Les péripéties iraniennes ont réactivé la recherche de sécurité mais la tendance du marché reste selon nous à la pentification.

En zone euro, le Bund a effacé une fin d’année pendant laquelle l’absence des banques centrales nationales avait permis une remontée vers -0,16%. L’emprunt allemand cote de nouveau autour de -0,30%. Les spreads souverains ne montrent aucune tendance. Janvier est habituellement un mois chargé en termes de syndications et la plupart des intervenants pense que l’Irlande ouvrira le bal. La ratification de l’accord du Brexit et les recettes fiscales bien meilleures qu’attendu ont réduit le spread irlandais à 32pb comblant l’écart avec le couple franco-belge. Le BTP italien reste plus volatile. Les élections régionales, la révocation possible des concessions d’Atlantia voulue par Luigi DiMaio ou le nouveau référendum constitutionnel donneront à Matteo Salvini l’occasion de relancer les batailles partisanes. L’emprunt syndiqué italien devrait être lancé en fin de mois. L’Espagne et le Portugal apparaissent peu risqués, d’autant que les discussions avancent en vue de la constitution d’un gouvernement en Espagne.

Sur le marché du crédit, le ralentissement de l’activité primaire et les achats du CSPP ont fortement soutenu les spreads en décembre (93pb). La reprise des émissions en début d’année engendrera une hausse des primes, qui restera néanmoins limitée par la présence de la BCE sur le marché primaire. Le crédit devrait être surpondéré dans les achats nets en 2020. Le reverse-yankees constitueront encore une part significative des émissions en ce début d’année. Dans les premiers échanges, les cycliques industrielles surperformaient les financières subordonnées. Sur le high yield, l’année s’est terminée en fanfare avec une accélération des flux recherchant des rendements plus élevés dans un contexte de taux de défaut réduits en Europe. La dégradation probable des défauts aux Etats-Unis contraste avec les projections de taux de défaut d’1% en Europe. Enfin sur les actions, il est trop tôt pour écarter une correction compte tenu des évènements au Proche-Orient. Les pétrolières et la défense menaient la cote européenne au détriment des cycliques.

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