A retenir
- D’après nos prévisions, les droits de douane pourraient avoir un impact négatif sur la croissance économique de 0,2 à 0,3% et provoquer une hausse de l'inflation d'environ 0,3%, tant dans les pays ayant mis en place ces droits de douane que dans les pays concernés par ceux-ci.
- Il est essentiel de prendre en compte l'ampleur et le calendrier de ces mesures pour comprendre leurs impacts. Ces droits de douane concerneront probablement des secteurs et des produits spécifiques.
- La Chine est susceptible de mettre en place des mesures de soutien fiscal pour délocaliser les chaînes de production vers d’autres pays asiatiques et l'Amérique latine, réduisant la part de ses exportations aux Etats-Unis, atténuant ainsi les effets des droits de douane. En revanche, l'Europe ne dispose pas de cette marge de manœuvre mais pourrait accélérer les réformes et les investissements.
L'environnement politique aux États-Unis est devenu très incertain, ce qui rend les prévisions macroéconomiques difficiles. Mais les décrets, les annonces de l’administration Trump et les changements des relations commerciales bilatérales suggèrent que le président Trump a l'intention de mettre en application ses annonces: contrôle de l'immigration, droits de douane et réductions d'impôts. Le retrait des États-Unis de l'accord de l'OCDE sur l'imposition des sociétés n’était pas prévu et pourrait avoir de lourdes conséquences: la concurrence fiscale réduira la compétitivité et la base d'imposition dans de nombreuses économies avancées.
Impacts attendus sur l'économie américaine et mondiale
Dans l'ensemble, nous pensons que les politiques de D. Trump réduiront la croissance d'environ 0,2% pour la ramener à environ 2% en 2025 et à moins de 2% en 2026, et provoqueront une hausse de l'inflation à environ 2,5% en 2025 (ce qui est similaire aux prévisions actuelles de la Fed). La déréglementation et les réductions d'impôts stimuleront l’économie à court terme, mais risquent aussi de maintenir les rendements à un niveau élevé, compte tenu de l’importante dette publique, et de limiter les dépenses privées. La révocation d'une partie de l’Inflation Reduction Act (loi sur la réduction de l’inflation) de J. Biden pèsera également sur les investissements.
Le contexte incertain complique également la politique monétaire de la Fed. Dans ce contexte, nous nous attendons à ce que la Fed maintienne ses taux à court terme et à ce que les investisseurs tablent sur des taux plus élevés pendant une période plus longue.
Les conséquences globales des droits de douane sont plus difficiles à discerner, car D. Trump peut adopter une approche tactique avec de nombreux pays. La principale préoccupation de D. Trump étant l’importance des déficits commerciaux bilatéraux, il est difficile d’envisager leurs réductions sans droits de douane (ou sans restriction budgétaire aux États-Unis). En outre, les pays ayant d'importants excédents commerciaux avec les États-Unis (l'Allemagne, la Chine, le Canada, le Mexique, par exemple) ne sont peut-être pas en position de réduire ces excédents en abaissant les droits de douane sur les exportations américaines et en s'engageant à acheter davantage aux États-Unis, du moins pas à court terme.
Impacts sur l'Europe
Avec un excédent commercial de plus de 200 milliards de dollars avec les États-Unis, l'UE se prépare à être impactée par les droits de douane américains. Les États-Unis sont la première destination des exportations de l'UE: avec plus de 500 milliards d'euros (20% des exportations), ils représentent un marché plus important que la Chine. Même des droits de douane relativement faibles, de l'ordre de 10%, auraient un impact considérable, l'Allemagne, l'Irlande et l'Italie étant les plus exposées, tandis que la France et l'Espagne le sont moins. Nous estimons que la croissance pourrait baisser d'environ 0,25% pour atteindre 0,8% en 2025, ce qui pourrait impacter la reprise de la croissance potentielle cette année. Il est difficile d'évaluer la réaction de l'UE car, même si les fonctionnaires de l'UE ont dressé une liste de contre-mesures, le consensus entre les dirigeants politiques peut prendre du temps. Certains ont appelé l'UE à faire preuve de retenue. L'UE a la compétence juridique pour répondre, y compris par des droits de douane, ce qu'elle a fait en 2018 lorsque la première administration Trump a augmenté les droits de douane sur le fer et l'aluminium en provenance d'Europe. Mais avec des droits de douane proposés étonnamment élevés sur des partenaires proches (Canada et Mexique), l'UE pourrait réfléchir à la manière de limiter le risque d'une guerre commerciale plus large. Certains dirigeants européens voudront négocier pour tenter de répondre aux exigences du président Trump, mais l'issue de ces négociations est très incertaine. Bien que l'UE puisse accepter d'acheter davantage de gaz naturel liquéfié (GNL) et d'équipements de défense aux États-Unis (ce qui est en ligne avec la demande de D. Trump d'augmenter la contribution de l’UE à l'OTAN), cela ne ferait que réduire l'important excédent commercial bilatéral de l'Europe à moyen terme. Au-delà du défi immédiat, l'UE (comme la Chine) cherchera à étendre ses accords commerciaux bilatéraux et régionaux (tels que le récent accord du Mercosur) afin de réduire sa dépendance vis-à-vis des États-Unis.
Impacts sur la Chine
Après le 4 février, les droits de douane américains de 10% sur les importations en provenance de Chine restent en vigueur. Bien que nous n'ayons pas anticipé un droit de douane de 60% sur toutes les importations ou le changement de statut de la Chine en tant que pays ayant des relations commerciales normales permanentes (PNTR) avec les Etats-Unis, une approche protectionniste graduelle et progressive se met en place. À ce jour, la réponse de la Chine est limitée et ciblée, ce qui laisse une marge de manœuvre pour la poursuite des négociations, d'autant plus que le rapport sur la politique commerciale «America First», qui comprend une enquête commerciale plus approfondie, est attendu pour le début du mois d'avril. À partir du 10 février, la Chine appliquera des droits de douane de 10% sur le pétrole brut, les machines agricoles, les gros véhicules et les camionnettes, et de 15% sur le charbon et le gaz naturel. En outre, la Chine a ouvert une enquête antitrust contre Google. Un droit de douane général supplémentaire de 40% imposé par les États-Unis pourrait réduire la croissance de la Chine de 1,2% sur la période allant de 2025 à 2028, en supposant que les autorités n'apportent pas de soutien fiscal significatif. Toutefois, nous pensons que la mise en œuvre des droits de douane américains sur une période de 4 ans s'accompagnera de mesures de relance budgétaire supplémentaires afin d'atténuer l'impact négatif. Des ajustements et des réévaluations seront nécessaires au fur et à mesure de l'évolution de la situation, afin de s'assurer que les impacts sur les marchés nationaux et internationaux sont surveillés de près. Avec l'adoption de politiques budgétaires expansionnistes visant principalement à stabiliser la demande intérieure et à contrer les effets négatifs des politiques américaines, nous prévoyons une croissance du PIB de 4,1% en 2025.
La politique étrangère de Donald Trump
La politique étrangère de D. Trump sera influencée par divers facteurs, notamment l’intention d'utiliser les droits de douane pour atteindre des objectifs politiques, la volonté de réindustrialisation et l'intérêt d'affaiblir les concurrents, tout en gardant l’image d’un artisan de la paix. Le programme politique de Trump se heurtera à des contraintes nationales et internationales. La convergence de ces dynamiques sous-jacentes conduira probablement à une détérioration des relations entre les États-Unis et la Chine, dominées par un découplage économique dans des secteurs clés. Toutefois, les relations comporteront également des aspects positifs, les deux parties s'efforçant de partir sur de bonnes bases. Les négociations entre la Russie et l'Ukraine commenceront au premier semestre, même si l'obtention d'un cessez-le-feu sera difficile, les États-Unis étant susceptibles d'exercer une pression économique supplémentaire sur la Russie. Les relations entre les États-Unis et l'Union européenne resteront instables, les dirigeants européens devant faire face à un mélange d'intimidation et de coopération. En outre, les relations avec les pays d'Amérique latine et le Canada devraient être tendues, les États-Unis cherchant à étendre leur influence.
Malgré une volatilité importante, de nouveaux pays tireront leur épingle du jeu grâce aux efforts de diversification au niveau mondial.
Trump II: quels impacts sur les marchés?
Depuis l'investiture de D. Trump, les investisseurs ont légèrement revu à la baisse le «Trump trade» (c'est-à-dire le secteur technologique, le dollar américain, les crypto-monnaies) tout en conservant un sentiment positif. L'attention des investisseurs se concentre désormais sur les annonces commerciales, car les marchés n'ont pas encore pleinement évalué la combinaison potentielle des politiques de D. Trump. Nous nous attendons à ce que la volatilité persiste en cas de nouvelles annonces sur les tarifs douaniers. Toutefois, si D. Trump adopte une approche tactique au lieu de s'engager dans une guerre commerciale acharnée, nous pensons que les marchés d'actions resteront résilients. En ce qui concerne les marchés obligataires, l'inflation et les attentes concernant les actions de la Fed continueront d'être les principaux moteurs. La Fed étant actuellement en mode pause, les annonces de droits de douane et les données économiques à venir seront cruciales pour déterminer les prochaines décisions de la Fed.
Dans l'ensemble, les marchés devraient être portés par le contexte économique positif au cours du premier semestre, mais l'incertitude est accrue. Vers la fin de l'année, l'impact des droits de douane sur la croissance économique et l'inflation pourrait entraîner des révisions des bénéfices, ce qui pourrait conduire les investisseurs à prendre moins de risque.
Les risques secondaires, tels qu'une véritable guerre commerciale, des tensions géopolitiques accrues, des pressions inflationnistes croissantes et une nouvelle guerre des prix du pétrole, semblent peu pris en compte. Du côté positif, un cessez-le-feu dans la guerre entre la Russie et l'Ukraine n'est pas non plus intégré dans les cours et pourrait impacter positivement les actifs européens.
Obligations - la volatilité devrait rester élevée
Les investisseurs obligataires tentent toujours d'évaluer si les politiques de D. Trump impacteront les perspectives de croissance et d'inflation, ainsi que les réponses des banques centrales. Les investisseurs resteront concentrés sur les publications économiques actuelles, l'indice des prix à la consommation (IPC) inférieur aux attentes ayant récemment entraîné une baisse des rendements. Ceux-ci ont continué à baisser jusqu'à 4,5% après l'investiture, tandis que la volatilité sur 30 jours a également diminué. Avec de nouvelles menaces de droits de douane, les rendements pourraient à nouveau avoisiner 4,8% d'ici la fin du premier trimestre, avant de redescendre à mesure que la croissance ralentit.
En l'absence d'une véritable guerre commerciale, les marchés devraient rester résilients au cours du premier semestre de l'année, favorisant une exposition aux actifs à risque avec quelques couvertures en place.
Actions - les rotations au sein du marché américain devraient se poursuivre
Alors que le gouvernement américain met en œuvre les politiques tarifaires prévues, un clivage clair se dessine entre les gagnants et les perdants du marché. Alors que certains secteurs devraient en bénéficier, d'autres pourraient être confrontés à des défis importants.
Les réductions d'impôts devraient profiter aux entreprises fortement implantées aux États-Unis, en particulier les entreprises américaines de petite et moyenne capitalisation et les sociétés financières, ainsi qu'aux entreprises non américaines en mesure de produire aux États-Unis. En revanche, les droits de douane sont susceptibles d'affecter les producteurs non américains, en particulier ceux des pays présentant des déficits commerciaux importants. Les secteurs dépendant des exportations de biens, tels que l'automobile, sont davantage exposés, tandis que les secteurs des services, tels que les logiciels, les médias et les télécommunications, devraient être moins impactés.
En Europe, comme une grande partie des ventes d'actions européennes se fait hors Europe, elles sont moins exposées à un ralentissement économique au sein de l’UE. En ce qui concerne les ventes mondiales, seulement 6% environ des ventes sont exposées à des droits de douane, de sorte que le marché devrait rester résilient dans l'ensemble. Un assouplissement des réglementations est susceptible de stimuler l'activité des entreprises, ce qui soutiendra davantage le marché des actions.
Dans l'ensemble, tous les feux sont au vert pour les sociétés financières américaines: elles bénéficient de la déréglementation, du fait qu’elles soient américaines et devraient profiter de la persistance de rendements obligataires élevés si l'inflation reste faible ou si un déficit budgétaire important persiste. Les secteurs des matières premières et de la technologie pourraient également bénéficier d'un allègement de la réglementation.
L'intelligence artificielle (IA) restera un thème clé du marché, comme en témoigne l'annonce du «Projet Stargate». Toutefois, l'émergence du nouveau modèle chinois DeepSeek remet en question le marché de l'IA, symbole de la particularité du marché américain. Son efficacité en termes de coûts laisse présager un déplacement des investissements des grands fournisseurs de services cloud (hyperscalers) vers les entreprises adoptant ces technologies (adopteurs), les logiciels étant susceptibles d'en bénéficier. Cela plaide également en faveur d'un élargissement de la participation au marché haussier. Au-delà des contraintes géopolitiques, l'intensification de la concurrence et les modèles d'intelligence artificielle générique open source devraient améliorer la productivité mondiale à long terme et rester un facteur de soutien pour les actions.
Les secteurs de la finance, des logiciels, des médias et des télécommunications devraient continuer à se montrer résilients, car ils sont moins exposés aux droits de douane
Marchés émergents: l’aversion au risqueliée aux marches actions et de devises devrait persister à court terme
L'incertitude entourant les droits de douane pèsera sur la perception des risques dans les marchés émergents, en particulier sur les actions et les devises. En ce qui concerne les actions, notre position est devenue neutre avant l'investiture de Trump. Les principaux risques concernent l'évolution de la situation en Chine, en Russie et en Iran, qui pèse actuellement sur les actions des pays émergents, mais qui pourrait également présenter un potentiel de hausse important si les tensions géopolitiques s'apaisent. L'Inde, qui continue de presenter des perspectives à long terme, est menacée par les valorisations élevées actuelles, tandis que le Mexique et la Corée du Sud semblent bien positionnés pour une reprise une fois que les tensions tarifaires se seront apaisées. En ce qui concerne la Chine, nous privilégions les marchés nationaux des actions A, qui pourraient bénéficier de mesures de relance budgétaire visant à soutenir la demande intérieure. La dépréciation du renminbi fait partie des possibles mesures de la Chine pour compenser les hausses tarifaires. En ce qui concerne les obligations des marches émergents, nous privilégions la dette en devise forte, en particulier dans le segment du haut rendement où les niveaux de rendement sont plus attrayants.