Trois bulles financières en trois ans

Olivier Rigot, EMC Gestion de Fortune

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Dans cette période empreinte d’incertitude, il serait bien de favoriser l’investissement en actions dans des sociétés dites «value».

La banque centrale américaine (la Fed) aura réussi l’exploit de générer trois bulles financières ces trois dernières années, en partie sous la pression politique. Nous rappellerons que la crise financière de 2008 avait conduit les banques centrales à instaurer des politiques monétaires dites non conventionnelles consistant à racheter de la dette étatique afin de maintenir les taux d’intérêt aussi bas que possible et relancer les économies. Il n’a toujours pas été démontré si cette approche a eu les effets escomptés sur la dynamique économique dans un contexte où la courroie de transmission des mécanismes du crédit par les banques traditionnelles a été freinée par des exigences réglementaires contraignantes. Au cours de ces dix dernières années, les instituts d’émission ont mené plusieurs programmes de rachat d’actifs, la Banque centrale européenne (BCE) s’y étant ralliée tardivement alors que la Banque nationale suisse s’est focalisée sur une politique de gestion des taux de change, particulièrement contre l’euro.

La première des trois bulles financières qui nous intéresse s’est développée dans le sillage de la mise en œuvre des programmes de rachats d’obligations de 2015-2016 qui a conduit à un gonflement des catégories d’investissement traditionnelles en 2017: actions, obligations et immobiliers. Cette année-là, un nouvel actif financier s’est introduit dans la danse: les cryptomonnaies, issues de la technologie du blockchain qui ont rapidement attiré de nombreux spéculateurs à la recherche de gains rapides sur des marchés non régulés. A cette époque, il ne se passait pas une semaine sans qu’une nouvelle monnaie numérique n’apparaisse. Il faut rappeler, à ce stade, qu’une bulle financière résulte toujours d’un excès d’offre monétaire qui ne trouve pas de débouché dans l’économie réelle, à savoir la demande monétaire, soit le crédit pour financer des projets d’investissement destinés à l’innovation ou à la création de valeur ajoutée et d’emplois. Cet argent reste finalement dans la sphère financière. En 2017, les cryptomonnaies sont devenues une véritable mania, accompagnées de l’invention de jetons numériques (ICO) pour financer des projets qui se sont souvent révélés être des fiascos. Comme toute bulle financière, celle-ci s’est terminée dans un bain de sang lorsque la Fed a essayé de reprendre la main et a tenté de normaliser sa politique monétaire en remontant progressivement ses taux d’intérêt directeurs. Malgré la prudence des autorités monétaires américaines, conscientes des risques qu’elles prenaient, la volatilité sur les marchés financiers a fortement augmenté en 2018, dégonflant dans un premier temps la bulle des cryptomonnaies avant d’influer sur le cours des actifs financiers traditionnels dont les actions. Les bourses finiront l’année 2018 fortement dans le rouge.

La crise du COVID a conduit les Etats et les banques centrales à utiliser
des outils encore jamais déployés avec une telle rapidité et une telle ampleur.

Au début de l’année 2019, face au risque d’un repli généralisé de l’activité économique, les banques centrales, celle de Chine en tête, tourneront casaque et relâcheront les rênes monétaires en injectant de nouvelles liquidités dans le système financier. Ce sera le début de la seconde bulle financière. A une année des élections américaines, le président Donald Trump, dont l’indicateur économique préféré est l’évolution de Wall Street, ne cessera de mettre la pression sur la Fed, se moquant éperdument de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance de cette institution inscrite dans la constitution. L’histoire ne révélera certainement jamais si les gouverneurs de la plus puissante institution financière de la planète auront été influencés dans leurs décisions de politique monétaire mais il est indéniable qu’ils ont subi une forte pression à travers, entre autres, des tweets rageurs du président dont ce dernier a le secret. Alors que l’économie américaine connaissait un niveau de quasi plein emploi, la Fed a abaissé à plusieurs reprises les taux d’intérêt directeurs, mettant encore plus d’huile sur le feu. La hausse des bourses en fin d’année 2019 et au début de cette année a été accompagnée de signes de dérapages spéculatifs, dans un contexte de valorisations déjà très élevées.

La crise du COVID a conduit les Etats et les banques centrales du monde entier à utiliser des outils, certes classiques, mais encore jamais déployés avec une telle rapidité et une telle ampleur. Aux Etats-Unis, la masse monétaire a littéralement explosé. Depuis le début de l’année, la masse monétaire M 1 (pièces et billets en circulation + les dépôts en comptes courants) a bondi de 41% alors que la masse monétaire M 2 (M1 + les livrets d’épargne et les crédits à court terme) a jailli de 23%. Avec des taux à zéro, ce déferlement de liquidités est en train d’alimenter une troisième bulle financière dans le marché des actions qui ne semble guère ralentir malgré des multiples de valorisation des actions qui atteignent des niveaux stratosphériques. On peut imaginer que la face cachée de cette politique monétaire ultra expansionniste consiste à soutenir les actifs financiers mobiliers et immobiliers le plus haut possible afin de maintenir un sentiment de richesse élevé chez les investisseurs, leur donner confiance en espérant qu’à un moment donné il se produise un effet de ruissellement vers l’économie réelle: la consommation et l’investissement. Dans un monde qui peine à créer de la valeur ajoutée, générer de la richesse de manière artificielle est une méthode que semblent avoir choisie nos autorités monétaires depuis des années afin de tenter de sauver les fonds de pension et nos retraites, entre autres.

L’injection de liquidités par les banques centrales associée aux plans
de relance gouvernementaux ont produit un effet d’entonnoir en bourse.

La théorie économique classique enseigne que l’un des rôles assignés à la banque centrale consiste à accompagner la croissance économique d’un pays par une création monétaire adéquate et en rapport avec l’évolution du PIB ou du PNB, qui demeurent les indicateurs mesurant au mieux la performance d’une économie. Tel n’a pas été le cas aux Etats-Unis ces douze dernières années. Depuis le 1er janvier 2008 jusqu’à ce jour, nous constatons que la hausse du PNB aura été de 33%, celle de M 1 de 278% et celle de M 2 de 144%. Il y a eu durant cette période clairement un excès de création monétaire, sans aucun rapport avec les besoins de l’économie. Ce surplus de liquidités aura largement contribué à gonfler les trois bulles financières évoquées dans cette réflexion. L’injection de liquidités par les banques centrales associée aux plans de relance gouvernementaux ont produit un effet d’entonnoir en bourse. La pandémie du COVID a contribué à canaliser les flux financiers vers un nombre réduit de titres et de secteurs qui recèlent encore un certain potentiel de croissance dans un monde où l’économie mondiale mettra des années pour retrouver sa dynamique historique. La technologie aura été le grand secteur gagnant de la crise du COVID alors que la liste des secteurs confrontés à des difficultés conjoncturelles ou à des mutations structurelles ne cesse de s’allonger. Nous pensons aux secteurs liés aux énergies fossiles, aux compagnies aériennes, à l’aéronautique, aux chaînes de magasins traditionnels, aux agences de voyage, aux croisiéristes, à l’hôtellerie et aux banques, par exemple. Dans l’industrie du luxe, seuls quelques grands acteurs aux reins solides semblent tirer leur épingle du jeu. Cette concentration des flux financiers, associée à des taux d’intérêt durablement bas, ont provoqué une explosion des multiples de valorisation des titres et secteurs encore en vogue auprès des investisseurs, exposant le cours de ces actions à un risque de correction marqué à la moindre déception lors de la publication de résultats ne correspondant pas aux attentes.

Dans ce contexte, il s’agit pour l’investisseur de faire preuve de discernement en évitant de surpayer des sociétés dont les multiples de valorisation intègrent dans les cours de bourse le meilleur de tous les mondes alors que la croissance économique mondiale mettra certainement des années pour retrouver son rythme de croisière que nous estimons se situer à environ 3,5% par an. Nous recommandons, dans cette période empreinte d’incertitude, de favoriser l’investissement en actions dans des sociétés dites «value» qui sont capables de générer des flux de liquidités réguliers et qui sont à même de payer des dividendes généreux en comparaison des obligations. Dans un monde intégrant de plus en plus la notion de responsabilité et de durabilité, nous accordons une grande attention aux sociétés qui respectent et implémentent ces critères dont le respect des normes environnementales mais aussi qui font preuve d’initiatives en matière de responsabilité sociétale et de bonne gouvernance de manière générale. L’univers de titres sur lesquels nous travaillons incorpore les critères dits ESG et EMC Gestion de Fortune SA est désormais signataire de la charte «Principles for Responsible Investments (PRI)» édictée sous l’égide des Nations-Unies. Nous suggérons également de panacher les portefeuilles avec des obligations structurées de type «reverse-convertibles» qui offrent un couple risque/rendement intéressant. L’or physique trouve également sa place dans les portefeuilles afin de protéger l’investisseur du risque de démonétisation de la valeur de la monnaie, soit son pouvoir d’achat, par une création monétaire excessive, largement évoquée dans cette pièce de réflexion.

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