Surprise sur le Bund

Peter de Coensel, DPAM

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Face à des indicateurs contradictoires, mieux vaut se préparer aux surprises et à une hausse de la volatilité des taux nominaux en 2021 et au-delà.

L’événement le plus marquant de la semaine dernière a été le rallye sur le Bund allemand 10 ans qui a subi un ajustement à la baisse de 10 points de base (pb) pour s’échanger à -0,63%, donc en dehors de sa fourchette habituelle de -0,30 à -0,50 pb. Si d’un côté la quête de performance demeure, de l’autre, l’appétit pour les emprunts d’Etat véritablement sans risque, reste vif.

Depuis le début 2020, la performance d’un investisseur exclusivement exposé aux emprunts de l’Etat allemand aurait été de +3,53%. Ce résultat paraît évident pour les gérants obligataires actifs, mais le fait que la courbe des rendements allemands se situe en territoire négatif pourrait être de nature à décourager certains investisseurs. De plus, la rareté des Bunds disponibles sur le marché pourrait encore s’accentuer en 2021.

L’existence d’un marché à terme sur les taux d’intérêt allemand qui est à la fois profond et liquide pourrait être un autre facteur explicatif de la pression à la baisse qui s’exerce sur les taux allemands.  Les intervenants actifs sur ce marché sont très divers, notamment sur le plan de leurs horizons d’investissement. Par conséquent, les facteurs techniques tendent à prendre le pas sur les indicateurs économiques dont l’impact se manifeste sur le plus long terme. Ainsi, le marché peut être amené à dévier durablement de la trajectoire qu’impliquerait la normalisation attendue des taux vers un niveau moins négatif, une déviation qu’un certain nombre de participants ne sont pas en mesure de supporter suffisamment longtemps.

La question de confiance

Du point de vue de la politique monétaire, l’heure est à une attitude plutôt plus accommodante que plus restrictive. En soi, cela n’implique pas nécessairement que le Bund 10 ans ira frôler les -0,75% ou qu’il retrouvera son plus bas de -0,90% touché à la mi-mars. La BCE espère évidemment que le repositionnement des portefeuilles se fera non pas en direction du Bund, mais qu’il s’effectuera plutôt à la faveur d’emprunts à plus haut rendement. Cependant, nous en sommes arrivés à un point où la politique de la BCE pourrait rencontrer certaines difficultés.

Les investisseurs cherchent avant tout à obtenir un rendement correct ou des primes de risque suffisantes sur le crédit. Or, à l’heure actuelle, il n’est pas certain qu’ils aient suffisamment confiance pour s’exposer à des 10 ans espagnols ou portugais qui passent en territoire négatif, sachant que ces deux marchés ont clôturé la semaine dernière aux alentours de +0,15%. Au vu de cet état d’esprit des investisseurs, les taux des marchés «core» pourraient donc subir une nouvelle pression à la baisse. De plus, les investisseurs et/ou les spéculateurs risquent d’accélérer le dénouement de leurs positions à découvert.

Au vu de cet état d’esprit des investisseurs, les taux des marchés «core»
pourraient donc subir une nouvelle pression à la baisse.

La probabilité d’une modification du taux directeur par la BCE est indéniablement plus élevée. On pourrait donc assister à un changement des règles du jeu, auquel viendrait se surajouter une disruption possible des marchés induite par les élections présidentielles américaines de début novembre. Ces deux facteurs pourraient amener les acteurs les plus vulnérables à dénouer leurs positions à découvert sur le Bund. De fait, cette année aura été longue et difficile, si bien que de nombreux investisseurs souhaitent disposer d’une meilleure visibilité avant de se positionner pour une année 2021 qui s’annonce compliquée.

La vérité par les matières premières

Aux Etats-Unis, l’indice des prix à la consommation a progressé et atteint 1,6% d’une année sur l’autre. L’inflation de base s’est établie à 1,7 % pour le deuxième mois consécutif. Le choc déflationniste qui s'est produit durant le 2e trimestre 2020 a ramené l'inflation globale à un niveau proche de zéro, et ce en dépit du fait que l'inflation de base n'est jamais repassée au-dessous de 1 %. Il semble donc de plus en plus vraisemblable que la Fed parviendra à atteindre sa cible d’inflation de 2% et plus. Le swap d’inflation sur cinq ans dans cinq ans, notre indicateur préféré, a d’ailleurs terminé la semaine dernière à 2,16%. Visiblement, la communauté des investisseurs américains ne s’oppose pas à la tendance à la baisse des taux réels.

Dans ce contexte, il paraît intéressant de relever que l’indice matières premières, le S&P Goldman Sachs Commodity Index a retrouvé de sa vigueur. Or, Bloomberg le définit comme «la mesure phare [...] de l'évolution générale des prix et de l'inflation pour l’ensemble de l'économie mondiale. Les investisseurs le considèrent comme une référence fiable et accessible pour les investissements en matières premières».

La deuxième vague de la pandémie qui pourrait s’avérer plus forte que la première, risque de mettre à rude épreuve les filières d’approvisionnement et d’entamer sérieusement les capacités de production. Par conséquent, toute reprise généralisée de la demande l’année prochaine débouchera nécessairement sur une poussée inflationniste. Cette dernière s’est d’ailleurs déjà manifestée sur certaines matières premières. C’est le cas du blé qui a vu son cours bondir la semaine dernière, et qui s’est ainsi rapproché de son niveau le plus haut depuis cinq ans. Or, est-il besoin de le répéter, la progression des attentes en matière d’inflation se traduira par une baisse des rendements réels, du moins tant que les banques centrales exigeront une flexibilité suffisante pour la mise en œuvre de leurs programmes d'achats d'actifs. Tous ces éléments étaient également présents au début des années 1950 et durant les années 1970.

Des indicateurs dissonants

Les investisseurs continuent néanmoins de se détourner des obligations indexées sur l’inflation en raison de leur maigre performance en période de stress de marché. Pourtant, ils seraient bien inspirés de se recentrer sur l’attitude déterminée des banques centrales plutôt que de se préoccuper des pannes passagères de liquidité. La prochaine étape du débat concernant l’inflation américaine démarrera avec la publication de l’indice des prix à la consommation des ménages le 30 octobre prochain, un indice qui se situait à 1,6% lors de sa dernière publication.

En guise de conclusion, on peut affirmer que les taux nominaux de base sont implicitement ou explicitement contrôlés par les banques centrales. L’attitude la plus raisonnable en ce qui concerne les taux longs consisterait à ne pas exclure d’éventuelles surprises. Les indicateurs conjoncturels, et en particulier ceux qui cherchent à évaluer le potentiel de l’économie au sortir de la pandémie, montrent qu’il faut se préparer à une hausse des taux. Mais au vu de la politique des banques centrales, il apparaît que les programmes d’achats d’actifs qui visent à soutenir les plans de relance resteront la norme ces deux prochaines années. Cela signifie que les taux dictés par la politique monétaire resteront au plancher, voire baisseront encore durant les trois à cinq ans à venir. Force est donc de constater que les indicateurs conjoncturels se trouvent contredits par les politiques « tout en un » des banques centrales. Néanmoins, la pression sur les taux réels est forte. Aussi, dans un tel contexte, mieux vaut se préparer à une volatilité accrue des taux nominaux en 2021 et au-delà.

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