Statistiques économiques, une boussole cassée?

Olivier de Berranger, La Financière de l’Echiquier (LFDE)

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Alors qu’il est de coutume dans les pays occidentaux de brocarder l’opacité et le manque de fiabilité des statistiques économiques chinoises, la situation s’avère surprenante.

Comment le marché du travail se porte-t-il outre-Manche? Une question à laquelle il était a priori simple de répondre, jusqu’à une actualité récente. Mi-octobre en effet, l’Office for National Statistics (ONS) a annoncé repousser d’une semaine la divulgation de ses données mensuelles sur l’emploi. Les chiffres finalement publiés le 24 octobre ne semblent toutefois pas parfaitement chaînés avec les données des mois passés et pour cause : de l’aveu même de l’office britannique, ils sont issus de séries «alternatives» et qualifiés d'«expérimentaux». Alors qu’il est de coutume dans les pays occidentaux de brocarder l’opacité et le manque de fiabilité des statistiques économiques chinoises, la situation s’avère surprenante.

Pour autant, ce changement de méthodologie de la part de l’ONS paraît judicieux sur le fond. L’institut explique que la fiabilité des données issues de l’enquête historique réalisée auprès des ménages était devenue très incertaine. Et pour cause: le taux de réponse, habituellement autour de 50%, est en effet tombé à moins de 15% au cours des derniers mois, mettant largement en cause la représentativité statistique des réponses obtenues. Accablés par le décès de leur bien aimée Elizabeth II, les Britanniques auraient-ils soudain perdu toute volonté de répondre aux sollicitations de leurs gouvernants? L’hypothèse mériterait d’être considérée, si le phénomène ne s’étendait pas au-delà des frontières du Royaume-Uni.

Cette chute du taux de réponse aux enquêtes servant de base aux calculs des statistiques économiques s’observe dans d’autres pays, notamment aux Etats-Unis. Les données sur l’emploi sont également les plus touchées, avec en point d’orgue l’enquête JOLTS (Job Openings and Labor Turnover Survey), qui mesure notamment le nombre de postes à pourvoir, ainsi que les taux de licenciements et de départs volontaires. Réalisée auprès des entreprises, et attentivement scrutée depuis plusieurs trimestres, cette mesure des tensions sur le marché du travail américain a vu son taux de réponse s’effondrer de près de 70% en 2015 à 30% cet été. Un constat qui pourrait remettre en cause la pertinence des chiffres parfois surprenants publiés à l’issue de cette enquête ces derniers mois. Les esprits chagrins ne manquent d’ailleurs pas de souligner que nombre de récentes publications économiques délivrent des messages contradictoires, font l’objet de révisions mensuelles ou d’ajustements saisonniers importants, qui en brouillent ainsi la lecture.

À l’heure où le big data régit tant d’aspect de nos vies, ce «big fatras» des grands agrégats économiques des pays développés peut prêter à sourire. Certes, l’établissement des statistiques officielles d’un pays est un exercice particulièrement complexe, et il serait tentant de renvoyer ces subtilités méthodologiques à des débats abscons entre économistes désœuvrés. Toutefois, à l’heure où la plupart des banques centrales rappellent à l’envi qu’elles sont «data dependent», autrement dit, qu’elles accordent une grande importance aux publications macroéconomiques les plus récentes pour déterminer les orientations de leur politique monétaire –, le sujet est éminemment sérieux. Pour les grands argentiers du monde, baser des décisions sur des données sans être tout à fait certain de leur fiabilité revient à naviguer à l’aide d’une boussole, sans être sûr qu’elle indique bien le nord.

 

Rédaction achevée le 30.10.2023

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