Magie du verbe

Olivier de Berranger, La Financière de l’Echiquier (LFDE)

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Les actions US ont perdu plus de 2% sur deux jours et les taux américains à 10 ans ont franchi le seuil symbolique des 4,5%. Un record depuis octobre 2007. Que s’est-il donc passé?

Sans annoncer aucune nouvelle mesure, sans même prononcer aucune formule choc - comme le fameux «whatever it takes» de Mario Draghi - le président de la Banque centrale américaine (Fed), le 20 septembre dernier, par son discours, a provoqué une belle agitation sur les marchés financiers. Les actions américaines ont perdu plus de 2% sur deux jours - le Nasdaq plus de 3% - et les taux américains à 10 ans ont franchi le 22 septembre en séance le seuil symbolique des 4,5%. Un record depuis octobre 2007. Que s’est-il donc passé?

Le cœur de cette agitation vient des prévisions économiques émises par les membres du comité de politique monétaire. D’ici la fin de l’année, la majorité des gouverneurs anticipe une nouvelle hausse de taux directeurs 25 points de base, ce qui les porterait à 5,75% pour la borne haute. Dans le même temps, l’inflation quant à elle, reflue nettement - elle est désormais anticipée par les gouverneurs à 3,7% fin 2023 pour l’indicateur de référence de la Fed (Core PCE). Ce qui préfigure donc un taux «réel» de court terme (au sens du taux directeur ajusté de l’inflation Core PCE) de près de 2%, une situation inédite depuis 2007 là encore - de triste mémoire. Et les projections plus lointaines, au lieu d’être assouplies en raison du tour de vis supplémentaire anticipé en 2023, se voient au contraire durcies dans le même sens :  les gouverneurs révisent à la hausse de 50 points de base leurs projections de taux directeurs à horizon fin 2024 et 2025 (respectivement à 5,1% et 3,9%) quasiment sans toucher aux projections d’inflation (à 2,6% et 2,3%). Le taux réel de court terme défini ci-dessus atteindrait alors 2,5% fin 2024. Ce qui constitue un signal très restrictif pour longtemps.

Un changement de régime sur les taux réels est ainsi esquissé, favorables aux détenteurs d’obligations, mais défavorable aux actifs les plus risqués, dont les actions, qui voient leur attrait diminué.

Pourquoi une telle dureté, alors que l’inflation reflue? Dans la conférence de presse, Jerome Powell a décrit un contexte économique plus dynamique qu’anticipé. Si l’emploi se porte mieux que prévu, il est logique qu’une politique monétaire plus dure doive être appliquée pour juguler l’inflation, car une situation florissante sur l’emploi tend à créer de l’inflation.

Ce discours serait parfaitement admissible… si seulement les anticipations étaient relativement assurées. Or c’est là que le bât blesse. Car Jerome Powell a répété à l’envi - onze fois durant la conférence de presse - que les anticipations économiques produites étaient extrêmement fragiles. En particulier que le fameux «taux neutre», qui ne stimule ni ne ralentit l’économie, lui semblait aujourd’hui impossible à préciser, même s’il l’estime probablement plus élevé qu’auparavant, probablement au-delà du taux directeur de long terme anticipé par la Fed (2,5%). Un tel aveu d’incertitude, certes louable pour son honnêteté, aurait pu conduire la Fed à une attitude prudente dans la gestion des anticipations fournies au marché. Mais à l’inverse, elle a durci ses projections de taux, quelque fragiles qu’elles soient. Une attitude bien audacieuse.

Peut-être agit-elle ainsi justement pour influer sur les conditions économiques par ses simples projections. Des anticipations de resserrement monétaire accru pourraient en effet inciter les agents économiques à plus de prudence dans la consommation et l’investissement, ce qui permettrait d’atteindre l’effet recherché – moins d’inflation – par le seul biais du jeu sur les anticipations. Magie du verbe lorsqu’il est restrictif.

Une autre clé pour comprendre cette attitude vient de la fin de la conférence de presse, où J. Powell a dépeint la santé des ménages sous un jour bien meilleur qu’ils ne se décrivent eux-mêmes. Alors que, selon lui, les enquêtes de confiance montrent une grande insatisfaction, celle-ci tiendrait à surtout à l’inflation - «détestée» - davantage qu’à la situation objective des ménages, qui s’améliore notamment grâce aux salaires, en particulier chez les plus modestes. Cet élan d’optimisme paraît surprenant de la part d’une personnalité si pondérée. Mais il peut expliquer pourquoi il défend une politique monétaire qui semble particulièrement austère.

Souhaitons que son pari contre le ressenti des ménages soit juste. Si c’est le cas, les ménages et les marchés passeront sans trop d’encombre l’épreuve de la compression monétaire. Dans le cas inverse, la politique monétaire devra vite être adoucie – au risque que la Fed se voit une nouvelle fois taxée de myopie. Il faudrait alors de nouveau compter sur toute la magie du verbe, cette fois-ci accommodant, pour réparer une attitude trop rigide.

 

Rédaction achevée le 25.09.2023

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