Quatre questions sur le Brexit

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De part et d'autre de la Manche, les réponses de Chris Bowie de TwentyFour Asset Management et d'Alan Mudie de Société Générale Private Banking. 

Dans quelle mesure les départs de Boris Johnson et de David Davis sont-ils nuisibles à la résolution de la stratégie du Royaume-Uni ?
Chris Bowie: Jusqu'à présent, ils ne sont pas importants, bien qu'ils puissent tenter d'inciter d'autres députés conservateurs d'arrière-ban eurosceptiques à voter contre le plan du gouvernement. Toutefois, il semble que les députés d'arrière-ban n'ont pas encore assez de voix pour influer sérieusement sur cette stratégie. Par conséquent, un Brexit doux reste l'option la plus probable.
Alan Mudie: Ces départs peuvent simplifier la tâche du gouvernement britannique. En effet, la ligne dure prônée par Johnson et Davis se traduisait par un dialogue de sourds. Bruxelles demandait une clarification de la position britannique sur les droits des travailleurs européens en Grande Bretagne et sur le statut de la frontière entre L’Irlande du Nord et l’Eire alors que Londres exigeait qu’on négocie d’emblée l’accès au marché européen, tout en rejetant la libre circulation des personnes et la compétence de la Cour Européenne de Justice. Theresa May s’est clairement positionnée en faveur d’un «soft Brexit» et ses dernières propositions (livre blanc du 12 juillet) fournissent enfin une base de discussion avec l’UE. Toutefois, le temps perdu depuis l’activation de l’Article 50 et le peu de temps restant avant l’expiration du délai des deux ans, fin mars 2019, font planer le risque qu’aucun accord ne soit trouvé à temps.
Quel impact cela aura-t-il sur l'investissement dans les actifs britanniques (ou même européens)? Qu'il s'agisse d'obligations ou d'actions ou encore d'alternatifs?
CB: Les actifs de crédit britanniques sont déjà les actifs de crédit les moins chers au monde, en raison de l'importante prime Brexit perceptible depuis juin 2016.  Les dernières propositions du Premier ministre Theresa May sont considérées comme un Brexit très «doux», et les actifs libellés en livres sterling se sont relativement bien comportés.  Au fil du temps, nous nous attendons à ce que la prime Brexit diminue, ce qui entraînera une nouvelle surperformance des actifs britanniques.
AM: En matière d’investissements étrangers directs, l’imminence du Brexit a fortement pesé sur l’attractivité de la Grande Bretagne – première destination au sein de l’UE depuis des décennies – aux yeux des entreprises internationales souhaitant s’implanter en Europe. S’y rajoutent les délocalisations des entreprises déjà établies, les reports de dépenses d’investissement et les départs de travailleurs immigrés pour s’établir outre-Manche. Le potentiel économique britannique en sera durablement diminué.
Concernant les actifs financiers, l’affaiblissement récent de la livre sterling se traduit par une hausse des bénéfices anticipés, le chiffre d’affaires des grandes entreprises cotées à Londres se réalisant à environ 70% en dehors des îles britanniques. De même, la hausse récente du prix du pétrole sera bénéfique aux grandes entreprises pétrolières du Footsie. Les valorisations des actions britanniques sont redevenues attractives – le ratio des bénéfices ajustés du cycle par rapport aux cours («Shiller P/E») affiche une décote de 4% par rapport à la moyenne depuis 10 ans alors que les actions de la zone euro se traitent avec une prime de 12%. Concernant les marchés de taux, l’affaiblissement récent de la livre devrait favoriser une nouvelle poussée de l’inflation et les anticipations d’une hausse des taux directeurs cette année se sont raffermies dernièrement. Les rendements réels des Gilts à 10 ans demeurent fortement négatifs (rendement de 1,275% à présent contre 2,1% d’inflation sous-jacente en mai) nous faisant craindre une nouvelle phase de tension sur le marché obligataire.
Comment réagissez-vous au niveau du portefeuille?
CB: Nous avons surpondéré les actifs britanniques depuis que la prime Brexit est disponible, en nous concentrant sur les obligations à court terme notées BBBB qui arrivent généralement à échéance avant la fin de la période de transition en décembre 2020.  De cette façon, nous bénéficions de la prime Brexit sans aucun risque économique important. En outre, la majeure partie de notre exposition concerne les grandes entreprises de premier ordre qui ont déjà des activités importantes à l'étranger et, dans de nombreux cas, moins de 25% de leurs bénéfices en provenance du Royaume-Uni. En conséquence, leur sensibilité économique au pays n'est pas toujours aussi grande que ce à quoi on pourrait s'attendre étant donné qu'ils sont domiciliés au Royaume-Uni.
AM: Fin juin, nous avons relevé notre opinion sur les actions britanniques, de Sous-pondérer à Neutre. En effet, les difficultés auxquelles fait face la Grande Bretagne nous semblent désormais assez largement reflétées dans les cours. Concernant les obligations, nous conseillons la prudence en matière de duration (maturités de 3-5 ans recommandées).
Préféreriez-vous voir un Brexit doux, comme Theresa May le recherche, ou un Brexit dur comme le veulent certains conservateurs? Pourquoi?
CB: Le marché obligataire préférerait un Brexit plus souple, préservant le libre-échange en perturbant le moins possible le statu quo. Mais nous croyons que les actifs britanniques peuvent bien performer dans l'un ou l'autre scénario, à condition que vous vous en teniez à des investissements de grande qualité, à fort taux de rotation et à des investissements de premier ordre avec des opérations importantes à l'étranger.
AM: A titre personnel, je suis convaincu de la place historique, culturelle et économique du Royaume Uni au sein de l’Europe de l’Ouest. Un «soft Brexit» me semble plus à même de maintenir une partie importante des avantages de ces liens qu’une sortie désordonnée de l’Union Européenne. Mais pour y parvenir, il va falloir démontrer un certain pragmatisme, à l’instar de la Suisse après le rejet de l’adhésion à l’Espace Economique Européen en décembre 1992.