Politique et inégalité des genres

Anne-Marie Slaughter & Francesca Binda

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L'indignation ne permet pas de progresser vers l'égalité, de même qu'il ne suffit pas de se présenter à une élection pour l'emporter.

© Keystone

Le nombre de femmes qui se présentent aux élections de mi-mandat aux USA atteint cette année un nombre record. Beaucoup de ces candidates sont motivées par la répulsion que leur inspirent la politique et le comportement de Donald Trump. Mais l'indignation à elle seule ne permet pas de progresser vers l'égalité en politique, de même qu'il et ne suffit pas de se présenter à une élection pour l'emporter. Une augmentation sensible du nombre de femmes au Congrès suppose de ne pas se contenter de l'augmentation du nombre de candidates à laquelle nous assistons actuellement.

Avec seulement 19,3% de femmes à la Chambre des représentants et 23% au Sénat, les USA se situent à la 103e place dans le monde en terme de participation des femmes aux institutions législatives. Pour améliorer la situation, les USA devraient prendre exemple sur les pays où la parité hommes-femmes est mieux respectée.

Avec ou sans loi, le principe
des quotas est discutable.

Au Rwanda qui se trouve en tête de liste, les femmes sont 61,3% à l'Assemblée nationale et 38,5% au Sénat. La nouvelle Constitution rwandaise adoptée en 2003 leur réserve 30% des sièges du Parlement et exige qu'elles soient au moins 30% dans les instances élues des partis politiques. Quant à la France, c'est l'un des 43 pays dont la législation impose des obligations en faveur de la parité au niveau des élections nationales et locales.

Pourtant les quotas ne sont peut-être pas indispensables. Dans 7 des 10 pays qui comptent le plus de femmes élues, des partis politiques appliquent de leur propre chef des règles destinées à augmenter la représentation des femmes dans leurs instances et le nombre de leurs candidates aux élections locales ou nationales. Plus largement, il en est de même de 100 politiques dans 53 pays.

Mais avec ou sans loi, le principe des quotas est discutable. Aux yeux de certains, ce n'est pas démocratique. Il est vrai que c'est un instrument d'une certaine brutalité. Peut-on faire mieux ?

On pourrait s'attaquer aux barrières sous-jacentes et interdépendantes que rencontrent les femmes pour mener campagne ou remplir un mandat électoral. Il s'agit notamment du système électoral (les femmes réussissent bien mieux dans les élections à la proportionnelle), des difficultés à obtenir un financement, de réseaux professionnels moins denses ou de responsabilités familiales. De ce fait, il est plus difficile pour les femmes que pour les hommes d'accepter des conditions de travail qui peuvent être particulièrement éprouvantes.

Surmonter ces barrières structurelles suppose une stratégie d'ensemble pour aider les femmes qui se présentent à un scrutin. L'argent est l'un des outils les plus puissants pour cela.

Les femmes qui veulent s'impliquer dans la vie politique
sont confrontées à des barrières sociales et culturelles difficiles à franchir.

Dans nombre de pays, le coût d'une campagne est de plus en plus prohibitif pour la plupart des candidats et candidates potentiels. Mais c'est encore plus problématique pour les femmes. Selon une enquête réalisée en 2008 par l'Union interparlementaire portant sur 292 parlementaires dans le monde, les élues considéraient que le financement constitue un obstacle plus important pour elles que pour leurs collègues masculins.  

Ce problème est particulièrement marqué aux USA, car les candidats et les partis politiques peuvent investir pratiquement autant d'argent qu'ils le souhaitent dans une élection. Les candidats les plus riches (le plus souvent des hommes) financent eux-mêmes leur campagne, tandis que quelques femmes (comme Nancy Pelosi ou Dianne Feinstein) comptent sur la fortune de leur mari. Dans l'ensemble, ce système défavorise les femmes.

Heureusement, certains pays prennent des initiatives pour face à ce problème. Ainsi, en Georgie les partis politiques qui comptent au moins 30% de candidats de chaque sexe sur leurs listes électorales reçoivent un financement supplémentaire de 30% de la part de l'Etat. Autre exemple, en Irlande un parti politique perd la moitié de son financement public lors d'une élection s'il compte moins de 30% de candidats de chaque sexe.

En outre, les femmes qui veulent s'impliquer dans la vie politique sont confrontées à des barrières sociales et culturelles très difficiles à franchir. Il s'agit en particulier de leur participation aux tâches familiales, un obstacle encore renforcé par ce qu'une partie de l'opinion publique estime être le «rôle des femmes».

Résoudre directement ces problèmes, c'est presque mission impossible. Les hommes politiques pourraient par exemple assurer davantage de tâches ménagères, ce serait une avancée vers plus d'équité et soulignerait que la famille est une priorité pour tout le monde.

De la même manière, il devrait être admis qu'une mère vienne au travail avec son bébé. En 2015, la photo d'une élue d'Argentine donnant le sein à son enfant en plein Parlement a fait le tour du monde ; elle illustrait l'engagement, les capacités et le courage des mères qui travaillent. A contrario, la mésaventure de Madeleine Henfling, une parlementaire de l'Etat de Thuringe en Allemagne, souligne les problèmes qu'elles peuvent rencontrer : le mois dernier elle s'est vue interdire l'entrée du Parlement parce qu'elle avait emmené avec elle son bébé de 6 semaines.

Il n'existe pas de solution unique
face à l'inégalité hommes-femmes en politique.

Il faut aussi adopter des mesures de soutien aux parents qui travaillent en leur donnant davantage de souplesse pour remplir leurs obligations familiales. C'est ainsi qu'au Royaume-Uni la Chambre des Communes envisage d'autoriser la délégation de vote dans le cadre du droit au congé parental des parlementaires hommes et femmes.

Ces dernières pourraient aussi bénéficier d'une formation ciblée. Ainsi, l’Académie politique des femmes, un projet récent mené par l'ONU et une organisation tunisienne de défense des droits de la femme, a offert aux candidates à un poste politique une formation sur la gouvernance locale, les missions et le rôle des conseils municipaux, et les relations avec les médias. Certaines de ces candidates vont peut-être suivre le chemin de Souad Abderrahim, la première femme à être élue maire de Tunis avec le soutien du mouvement islamiste Ennahda.  

Certains dirigeants ont fait des déclarations fortes en faveur d'une plus grande participation des femmes au gouvernement. Le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, a formé pour la première fois au Canada un cabinet comportant autant de femmes que d'hommes. Son homologue espagnol, Pedro Sanchez, est allé plus loin, avec un cabinet comportant plus de femmes que d'hommes.

Les partis, porte d'entrée dans la vie politique, disposent aussi d'un pouvoir non négligeable pour favoriser les candidatures féminines. Au Canada, lors des élections précédentes, les partis ont remboursé à leurs candidates les frais de garde d'enfants et de transport et ont aidé financièrement celles qui voulaient se présenter dans les circonscriptions où un élu ne se représentait pas. Le nouveau parti démocratique et le parti libéral ont mis en avant des candidatures féminines dans les circonscriptions qu'ils étaient susceptibles de remporter.

Au Nigeria, les deux principaux partis ont décidé de ne pas faire payer aux candidates, ou seulement partiellement, les frais d'investiture non remboursables pour les élections législatives de 2009. Au Cambodge, un parti fournit à ses candidates le matériel de base nécessaire pour faire campagne, notamment l'habillement et une bicyclette.

Il n'existe pas de solution unique face à l'inégalité hommes-femmes en politique. Mais beaucoup peut être fait, et doit être fait, pour que la voix des femmes soit entendue.

Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz

Copyright: Project Syndicate, 2018.

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