Pas de violence, c’est les vacances

Philippe Szokolóczy-Syllaba

4 minutes de lecture

Chronique apaisée des temps d'été. Enfin, apaisée, c'est beaucoup dire...

En août, ce n’est pas la peine de balancer du lourd ! D’abord le lectorat est habituellement réduit à sa portion congrue, pause estivale oblige. Ensuite, les abonnés restants n’ont généralement pas envie qu’on les traumatise avec des nouvelles atroces. Donc, exit la politique et l’économie, du moins jusqu’au prochain édito, et place aux extravagantes aventures de votre serviteur en villégiature et aux quelques observations (iconoclastes, pour ne pas changer, rassurez-vous) qu’il n’aura pas manqué de récolter au cours de ses pérégrinations.

Embarquement à Cointrin, vol pour Malaga, seulement 45 minutes de retard et sentiment de soulagement car, une fois n’est pas coutume, je n’ai pas eu l’impression de faire partie d’un convoyage de bestiaux. Vol agréable jusqu’à l’arrivée de David, steward de son état, à qui j’ai le malheur de demander lors du passage de la carriole de rafraichissements s’il n’avait pas un fruit ou un encas bio ou sans gluten, bref autre chose que la mangeaille proposée au menu dont la liste des additifs, conservateurs, émulsifiants et autres produits dérivés de l’industrie chimique compose 80% des ingrédients que ses fabricants sont légalement obligés de mentionner sur l’emballage (et on ne parle même pas du reste). Mal m’en a pris! David, peut-être nourri dès sa plus tendre enfance au Nutella et au Coca, me toise d’un air pédant, lève les yeux au ciel avec une expression affligée, style «mais qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre» et me lâche, dégouté : «nous ne pouvons pas faire plaisir à tout le monde Monsieur, surtout pas pour des requêtes spéciales».

L’espace d’un instant, je visualise David virevoltant au milieu des hippos de Fantasia. J’évacue rapidement l’image et lui répond: «ne vous emballez pas, je n’ai aucune intention de vous faire de requête spéciale, je souhaitais juste savoir si vous serviez aussi de la vraie nourriture». Nouveau regard mortifié, doublé d’une incompréhension aussi sincère que profonde. Comme si j’avais demandé un Rivella au barman de la Voile Rouge à Saint Tropez ou une verveine à un concert des Sex Pistols.

Les bonnes manières ne sont-elles
pas le béaba en matière de service?

Loin de moi l’idée qu’il faille être muni d’un diplôme en nutrition pour devenir serveur aérien, mais être doté de quelques notions élémentaires en la matière ne saurait faire de mal. Surtout que ce n’est pas sorcier et que la malbouffe est quand même vaguement un sujet d’actualité. Je veux bien croire que des impératifs d’ordre économique en lien avec la rentabilité de la compagnie, que la mainmise de l’agro-alimentaire industriel sur les lignes aériennes, que les règles d’hygiène en matière de conservation de produits frais, etc, etc…fassent qu’il soit difficile de faire autrement. Mais par contre, les bonnes manières, notamment celles qui consistent à ne pas donner aux passagers le sentiment que leurs demandes frisent l’inconcevable, ne sont-elles pas le béaba en matière de service?

A peine remis de mes émotions, arrive la poubelle. Que dis-je, malheureux, les poubelles, car notre transporteur aérien pratique le tri sélectif. Dans un premier temps ma femme félicite l’intendant au débarrassage pour cette heureuse initiative écologique. Puis, observant que les deux sacs présentés contiennent l’un comme l’autre autant de plastique que de papier et de restes de nourriture, lance «mais vous ne triez pas vraiment». Ce à quoi l’intendant lui répond «mais on n’a pas le temps Madame». Chapeau, Easyjette, mais ne trie pas vraiment (à relire deux fois pour saisir la subtile quintessence de cette formule dont je ne suis fondamentalement pas mécontent).

Si Easyjette n’a pas le temps de trier, elle en trouve sans difficulté pour nous gaver de cochonneries, pour nous rétorquer de façon insolente et pour faire semblant d’être écologique. Mais quant à en prendre pour former ses employés, pourrait mieux faire……Pourtant il ne serait pas compliqué de les envoyer aux instructifs et ludiques workshops «zero plastic» de Future Camps sous la houlette de la pimpante Gabrielle Kull à Zürich, présidente de STOPPP (Stop Plastic Pollution Switzerland)

Je ne désespère pas de me voir
offrir une pomme bio lors d’un futur voyage.

Dommage, car au-delà de ce type de couacs qui peuvent arriver même aux meilleures compagnies d’aviation, on adore nos aéronefs orange et on est ravis de les avoir au départ de Genève. Je ne dis pas cela pour m’éviter de devenir persona non grata après ces quelques lignes, bien que j’avoue que j’en serais considérablement contrit vu mon usage immodéré de la chose, mais je ne désespère pas de me voir offrir une pomme bio lors d’un futur voyage. Et si ce devait être le cas, je ne manquerai pas d’en faire mention dans un de mes prochains éditos. A toutes fins utiles, je prie tout responsable d’Easyjette qui lirait mes propos de noter que je ne demande pas la lune (le ciel, c’est déjà bien quand on prend l’avion) et n’ai donc pas formulé le vœu de me faire servir un verre de vin nature (à ne pas confondre avec bio), ce qui me ravirait bien sûr encore davantage, car il faut en toutes choses savoir raison garder.

Heureusement l’incident fût vite oublié. Une fois assis derrière une paella enchanteresse avec un verre d’Albarino de Fredi Torres, ancien DJ suisso-galicien devenu vigneron, la vie reprend. On peut la composer à son gré en variant les plaisirs sur des accords de tortilla, jamon iberico, puntillitas, gambones, sardines grillées accompagnés des merveilles de fraicheur que sont les vins nature d’Ismael Gozalo et plus rien ne peut gâcher votre journée. Ne pas oublier de faire un saut chez Francis dans son estaminet du marché aux poissons de La Linea, après y avoir déniché une ventresca de thon. Il sert le meilleur café d’Espagne vous accueille avec le sourire de ceux qui prennent la vie du bon côté et salue d’une franche accolade et d’un coup de klaxon-trompette les habitués ou ceux dont la bobine lui plaît. Après une semaine de ce régime andalou et quelques kilos en plus, il est par contre impératif de passer au régime marocain. N’en déplaise aux pontifes des solutions minceur proposées à grand renfort de pub par Elle magazine ou aux adeptes de crèmes amincissantes vantées par des nymphes callipyges sur papier glacé, je ne connais pas de manière plus efficace pour perdre ses kilos superflus que le régime marocain.

Le régime marocain: s'en mettre plein la panse...

Le mode d’emploi est simple et peu contraignant. Prendre le petit déjeuner dans une des ruelles nonchalantes de Tarifa, petite ville fortifiée ayant conservé tout le charme de son passé mauresque et embarquer sur le ferry pour Tanger. Se plonger dans l’atmosphère épicée et colorée de cette ville frontière en allant d’entrée de jeu chez Hassan et son incontournable restaurant Populaire Saveur de Poisson pour s’en mettre plein la panse avec du requin, de la sole, du jus de figue, des fruits secs au miel, etc… Surtout ne pas se priver. Enchainer sur un empiffrage en règle de tous les délices de la cuisine marocaine, tagine d’agneau aux pruneaux, couscous royal, méchoui, cornes de gazelle, thé à la menthe bien sucré. Le secret: couronner la ripaille par une douzaine d'huitres d’Oualidia, ville côtière où tout le Maroc se rue pour les déguster. Effet garanti, pendant les trois jours qui suivent vous n’aurez plus envie de toucher à quoi que ce soit. Hormis le désagrément de devoir se lever plusieurs fois la nuit pour accompagner le processus de purge, vous verrez que le résultat est spectaculaire. En moins de temps qu’avec n’importe quel autre régime, vous aurez perdu tout votre excédent de poids.

Note: Il est recommandé d’emporter un bon bouquin avec soi et de s’assurer du confort d’un Riad idoine pour dulcifier le régime dans sa phase éliminatoire, comme le Riad Dar el Malaika, qui signifie Demeure des Anges, un havre de paix dans un ancien palais de caïd des mille et une nuits, digne de Schéhérazade, rêvé par Angelo et sa sœur, artistes multifacettes qui ont passé 18 ans à ciseler ce bijou, entre folie baroque et sublimation d’un savoir-faire artisanal marocain à son summum.