Opportunités historiques – Weekly Note de Credit Suisse

Burkhard Varnholt, Credit Suisse

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Comme l’énergie est le moteur de notre économie et qu’une nouvelle politique industrielle favorise cette transition dans tous les pays développés, nous nous trouvons à l’aube d’une quatrième révolution industrielle.

Les crises ont toujours des conséquences inattendues. C’est ainsi que la guerre russo-ukrainienne et la crise de l’énergie en découlant feront probablement avancer la transition énergétique mondiale de cinq à dix ans. Plus encore: comme l’énergie est le moteur de notre économie et qu’une nouvelle politique industrielle favorise cette transition dans tous les pays développés, nous nous trouvons à l’aube d’une quatrième révolution industrielle. L’histoire s’accélère. Pour les investisseurs axés sur le long terme, cette évolution offre des opportunités historiques. Nous analysons celles-ci et montrons comment les exploiter au mieux.

1. Historique: la transition énergétique à l’origine d’une nouvelle révolution industrielle

Les crises sont des périodes de bouleversements qui s’accompagnent de dangers et d’opportunités. Aussi sinistre que cela puisse paraître alors que l’Ukraine lutte pour sa survie, la guerre menée par la Russie et la crise énergétique arbitraire en découlant accélèrent également des évolutions positives. Voilà plusieurs décennies que la volonté politique d’opérer une transformation rapide de l’approvisionnement en énergie n’a pas été aussi unanime et forte – et ce, dans le monde entier. Aucun pays riche ne veut subir un chantage dans ce domaine. Pour des importateurs traditionnels d’énergie tels que l’Europe et la Chine, le développement des sources renouvelables, une électrification rapide et l’amélioration de l’efficacité énergétique sont des priorités. Mais les plus grands exportateurs mondiaux de pétrole et de gaz, comme les États du Golfe et les États-Unis, veulent eux aussi faire de nécessité vertu. Les bénéfices record tirés de la production d’énergie et l’ambition de continuer à donner le ton à l’échelle internationale dans ce domaine stimulent le développement d’une politique industrielle qui vise plus que la transformation du secteur. En effet, les événements de l’année dernière, la nouvelle géopolitique et la renaissance de la politique industrielle ont permis à la transition énergétique de s’imposer dans le monde entier. Ce phénomène s’accompagne d’une quatrième révolution industrielle mondiale qui fait bien plus de gagnants que de perdants.1 Elle offre aux investisseurs des opportunités historiques, dès aujourd'hui.

L’énergie économisée est la moins chère

Ces dernières semaines, j’ai abordé la question de l’efficacité énergétique avec de nombreux experts. Étudions quelques évolutions clés:

La récente crise énergétique a réveillé temporairement l’intérêt pour des sources d’énergie fossiles comme le charbon, le pétrole et le gaz. Mais la volonté et la possibilité de se soustraire à la dépendance de ces dernières n’ont jamais été aussi fortes depuis 50 ans. La volatilité des prix de l’énergie et la crainte de subir un chantage en la matière renforcent ce consensus. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime que la demande mondiale de charbon diminuera dès 2025. Celui-ci sera remplacé à l’avenir par le gaz naturel liquéfié (GNL) en provenance des États-Unis et du Qatar, comme l’affirme également le rapport Shell LNG Outlook 2023. Malgré des bénéfices record dans le domaine de l’extraction de pétrole et de gaz, les investissements dans cette activité sont restés bien inférieurs aux niveaux prépandémiques, un phénomène imputable non seulement à la transition énergétique, mais aussi à une augmentation de 30% des coûts par baril de pétrole et de gaz produit.

Sans surprise, l’économie mise sur l’efficacité énergétique et l’électrification. L’hiver dernier, la consommation électrique de l’Europe a chuté d’environ 7% par rapport à l’année précédente. Cette baisse s’explique par la douceur des températures bien sûr, mais aussi par des investissements ciblés. En effet, les États et les entreprises ont injecté quelque 560 milliards de dollars dans des mesures promouvant l’efficacité énergétique et l’e-mobilité. Un montant record! Le chiffre d’affaires a doublé entre 2021 et 2022 rien que dans l’e-mobilité. Depuis 2020, la part des véhicules électriques dans le parc des voitures neuves est passée, selon les estimations, de 4 à 13% et devrait atteindre au moins 30% d’ici à 2030 d’après les calculs de l’AIE basés sur les objectifs politiques actuels.2

Et il y a plus: l’efficacité énergétique mondiale (rapport entre la performance économique et la consommation d’énergie à l’échelle planétaire) a augmenté de 2% l’année dernière.3 C’est une progression importante et même énorme au regard de l’économie mondiale, car c’est la plus forte jamais enregistrée depuis la dernière crise énergétique, il y a 50 ans.

Transition avancée de cinq à dix ans

L’engagement pris à Paris en 2015 de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C, qui ressemblait à une promesse faite du bout des lèvres, s’est fortement concrétisé en 2022. Des acteurs importants de la transition énergétique ont quitté les starting-blocks pour exécuter un sprint magistral avec, en tête, la Chine et l’UE, les plus grands importateurs d’énergie du monde. Rien d’étonnant donc à ce que la crise énergétique y ait considérablement stimulé les plans de développement des énergies vertes. L’AIE a alors revu à la hausse ses prévisions d’augmentation des capacités de production de ces dernières en Chine et dans l’UE, les relevant d’un tiers respectivement par rapport à l’année précédente. La transition énergétique devrait donc intervenir une dizaine d’années plus tôt. Les États-Unis, premier exportateur mondial d’énergies fossiles, ont élargi leurs plans de développement eux aussi, accélérant également cette transition de plusieurs années. L’AIE a relevé ses prévisions de plus de 25% concernant leurs capacités de production (voir graphique 1).

Les constructeurs d’installations, les monteurs et les exploitants d’énergies renouvelables sont actuellement plus sollicités que jamais. Lors d’entretiens tenus à Berlin, Hambourg et Munich, tous les entrepreneurs concernés m’ont confirmé que la demande excédentaire devrait se prolonger plusieurs années en raison de projets à long terme. Et comme tous développent leurs capacités sous haute pression, la main-d’oeuvre qualifiée leur fait défaut. Bien que les coûts des matériaux augmentent également, les acheteurs ne sont pas sensibles aux prix actuellement. En Allemagne, une nouvelle installation photovoltaïque est désormais rentable au bout de trois ans (contre plus de dix auparavant), le prix moyen de l’électricité étant de 275 euros/MWh. Rien d’étonnant donc à ce que les capacités de production du solaire aient augmenté de 35% rien que l’année dernière. Pour la première fois, les investissements dans les infrastructures solaires et éoliennes, qui ont grimpé de 357 à 490 milliards de dollars en 2022, ont dépassé ceux opérés dans la production pétrolière et gazière mondiale. D’ici à 2025, la Chine entend tirer un tiers de sa production d’électricité de sources d’énergie vertes, ce qui correspond à plus que la production totale d’électricité du Japon, la troisième plus grande économie du monde. À l’échelle du globe, la capacité de production à partir des énergies renouvelables devrait augmenter de 2400 gigawatts au cours des cinq prochaines années, ce qui représente la totalité de la production d’électricité actuelle de la Chine et dépasse de quelque 30% les objectifs d’avant-guerre grâce à diverses mesures incitatives.

La planète le sentira

Avec le remplacement généralisé des énergies fossiles par le solaire, l’éolien et l’hydroélectrique, de même qu’avec l’électrification de la mobilité au moyen des énergies vertes, les émissions de gaz à effet de serre vont chuter. Rystad Energy, une société de conseil spécialisée, estime que par exemple la diminution du nombre de moteurs à combustion induira une baisse des émissions mondiales de CO2 dans deux ans déjà. Avec de la chance et surtout avec l’aide de la décarbonation de la production d’électricité, l’objectif de 1,5°C défini par l’accord de Paris pourrait même revenir dans le domaine du possible, théoriquement parlant. Pour y parvenir, il ne suffira pas de produire de l’électricité à partir d’énergies vertes, il faudra aussi une nouvelle révolution industrielle. Est-ce possible? Pourquoi pas?

2. Moteurs du progrès: pourquoi les choses chères redeviennent bon marché

Beaucoup objectent que l’actuelle course aux ressources, dont les terres rares notamment, induit une pénurie et une spirale inflationniste. C’est possible, mais peu probable à long terme, car les marchés libres disposent d’un puissant facteur de correction: de nouvelles offres apparaissent rapidement là où il y a beaucoup d’argent à gagner. C’est pourquoi les spirales inflationnistes sont généralement de courte durée. Autre facteur de correction: les innovations, c’est-à-dire la force des meilleures idées. Voici quelques exemples pour illustrer ces deux aspects.

Domaines dans lesquels les entreprises investissent

Aux États-Unis, l’Inflation Reduction Act (IRA) a déclenché un boom des investissements dans divers domaines. Son pendant européen, le Green Deal Industrial Plan (GDIP), poursuit un objectif similaire, mais à un rythme plus lent. En effet, en tant que loi fédérale, l’IRA s’applique dans tous les États américains. Dans l’UE, en revanche, le droit fiscal relève toujours du droit national. Un catalogue uniforme de subventions au niveau européen reste donc un rêve. Le graphique 2 illustre comment l’IRA encourage les investissements dans la transition énergétique.

Les graphiques 3 et 4 illustrent la dynamique avec laquelle les entreprises posent actuellement les jalons pour l’avenir à travers leurs investissements, non seulement dans «la brique et le mortier», mais également (au moins dans la même mesure) dans l’informatique, la numérisation et l’intelligence artificielle, lesquelles représentent déjà en moyenne plus de 50% de leurs investissements dans les pays industrialisés. En d’autres termes, tandis que la transition énergétique est stimulée par de nouveaux matériels et logiciels, les contours d’une révolution industrielle se dessinent déjà. Un nouveau chapitre de l’histoire économique s’est ouvert. Le fait que les pays du monde entier l’écrivent accroît l’attrait de la transition énergétique pour les investisseurs.

Concurrence des idées dans la recherche de nouvelles solutions

Dans sa dernière édition, le MIT Technology Review classe le recyclage des batteries et l’e-mobilité parmi les dix plus grandes percées technologiques de 2023. Bien sûr, ces technologies ne sont pas nouvelles, mais ce magazine estime que leur introduction à l’échelle industrielle va déboucher sur d’importantes avancées cette année. C’est bien possible, car l’adoption de l’e-mobilité a été actée à l’Ouest comme à l’Est. Elle y est exigée et encouragée par les responsables politiques. Mais où se procurer des terres rares comme le cobalt et le lithium pour les batteries? Alors que cette inquiétude a fait exploser leurs prix en 2022, ces derniers ont pratiquement baissé d’autant cette année. Pourquoi? D’une part, la flambée des prix a débouché sur l’ouverture de nouvelles mines, par exemple en Indonésie. Mais ce qui revêt davantage d’importance encore, c’est la force de l’innovation, par exemple au niveau des nouvelles technologies et des usines de recyclage des batteries. La Chine est actuellement leader du marché mondial dans ce domaine. Une entreprise qui y est basée a récemment remporté l’adjudication d’un constructeur automobile américain pour l’équipement technologique complet de la plus grande usine de fabrication et de recyclage de batteries des États-Unis.4 Il s’agit d’un complexe de 3,5 milliards de dollars en cours de construction dans le Michigan, qui bénéficie du soutien de l’IRA. L’entreprise entend y produire bientôt au moins deux millions de voitures électriques par an, s’assurant, avec le recyclage, une baisse des coûts et une meilleure disponibilité des métaux rares, comme l’illustre le graphique 5.

3. Cinq raisons d’investir dans la transition énergétique

La transition énergétique mondiale offre aux investisseurs de grandes opportunités, dont certaines sont historiques. Voici cinq raisons pour lesquelles il est particulièrement intéressant d’investir dans ce «Supertrend» aujourd’hui.

Premièrement, des «investissements dans les start-up» aux «investissements dans des entreprises en pleine croissance». L’accélération de la transition énergétique devrait favoriser le profil risque-rendement des investissements correspondants.5 Cela équivaut à passer rapidement d’une start-up à une société en pleine croissance. Le développement des activités à grande échelle permet de dépasser les seuils de rentabilité, de diversifier les risques technologiques et, souvent, de mieux appréhender les risques stratégiques.

Deuxièmement, du «sport de haut niveau au sport de masse». La transition énergétique concerne toutes les entreprises: petites, moyennes et grandes. Les sociétés de production comme les prestataires de services doivent améliorer l’efficacité et la sécurité énergétiques. Dans le cas des fournisseurs d’énergie traditionnels, c’est l’avenir de leur modèle commercial qui est en jeu. Les entreprises informatiques vendent du «smartness», de l’intelligence artificielle ou les avantages de la numérisation dans tous les domaines. Les mesures incitatives des États modifient elles aussi la transition énergétique, la faisant passer, au sens figuré, d’un sport de haut niveau à un sport de masse. Cela élargit l’univers de placement, renforce la durabilité et intensifie la concurrence des idées.

Troisièmement: «The Winner takes it all» (le gagnant rafle la mise). Tout comme les grands groupes technologiques américains ont changé les marchés et les gens, la transition énergétique va créer de nouveaux géants mondiaux. Quiconque investit dans ces derniers pourra faire fortune. Mais en parallèle, des dinosaures disparaîtront. Seuls ceux qui diversifient judicieusement leurs placements auront l’endurance requise pour pouvoir profiter de ces opportunités historiques.

Quatrièmement: diversification à l’échelle mondiale. La géopolitique est indissociable de la renaissance de la politique industrielle. À l’avenir, de nombreuses technologies de la transition énergétique seront développées en parallèle dans des États rivaux. Une diversification des placements à l’échelle internationale sera donc incontournable, prometteuse, mais aussi difficile.

Cinquièmement: installations bénéficiant d’un soutien étatique. Où les trouve-t-on déjà? Les investisseurs ne devraient pas hésiter dans le cas des sociétés qui bénéficient de subventions de la politique industrielle destinées à la transition énergétique. Les placements devraient être rentables, car les coûts économisés par les entreprises qui investissent dans cette transition avec un soutien étatique se transformeront, au final, en dividendes pour les investisseurs.

 

1 Dans la mesure où ces supports contiennent des déclarations sur l’avenir, celles-ci ont un caractère prévisionnel et sont donc soumises à divers risques et incertitudes. Elles ne constituent pas une garantie de résultats futurs.
5 Comme les éventuelles déclarations concernant l’avenir dans le présent document ont un caractère prospectif, elles comportent divers risques et incertitudes. Elles ne constituent aucunement une garantie de performances ou de résultats futurs.

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