Ne pas confondre ralentissement et contraction des bénéfices

Philippe G. Müller, UBS

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L'inquiétude quant à l'évolution des bénéfices a été alimentée en partie par l’affaiblissement de certains indicateurs économiques.

© Keystone

Aux États-Unis, les investisseurs se sont habitués à une croissance foudroyante des bénéfices. En 2018, le bénéfice par action devrait ressortir en hausse de 23% et, sur les dix dernières années, il a progressé à un taux annuel composé de 12%.

Toutefois, la dynamique s'est dernièrement quelque peu étiolée et d'aucuns évoquent même une «contraction des bénéfices». Le consensus parmi les analystes, fondé sur les projections des différentes entreprises, est moins alarmant. Au premier semestre de cette année, la croissance des bénéfices s'annonce quasiment nulle, avec une contraction de 0,4% au premier trimestre et une modeste hausse de 1,8% au deuxième trimestre.

L'inquiétude quant à l'évolution des bénéfices a été alimentée en partie par l’affaiblissement de certains indicateurs économiques. Les ventes au détail, qui sont depuis longtemps un moteur de l'économie américaine, sont ressorties en baisse de 1,2% en décembre. Il s'agit de leur plus forte baisse depuis septembre 2009.

En outre, à l'échelle mondiale, les perspectives sont assez ternes. Cela fait désormais 315 jours que les statistiques économiques décevantes sont plus nombreuses que les bonnes surprises, selon l'indice Citi Economic Surprise. Cette mauvaise série est la plus longue depuis 2008. Toutefois, les investisseurs ont anticipé un ralentissement de la croissance des bénéfices et il n'y a probablement pas lieu de pécher par excès de pessimisme.

La croissance des bénéfices
n'est pas encore totalement enrayée.

Au quatrième trimestre 2018, le bénéfice par action des entreprises américaines devrait tout de même ressortir en hausse d'environ 15%, bien loin d'une contraction des bénéfices.

Environ 80% des entreprises de l'indice S&P 500 ont dévoilé leurs résultats. Près des trois quarts d'entre elles ont fait mieux que prévu, soit une proportion conforme à la moyenne de long terme. De plus, les cours ont réagi favorablement aux publications des résultats du quatrième trimestre, ce qui suggère que les investisseurs s'attendaient à pire et avaient surestimé l'ampleur de la mauvaise passe.

Le ralentissement du début d'année ne semble pas généralisé

Le trou d'air imminent reflète en partie des difficultés spécifiques à certains secteurs. Comme par exemple, un marché des smartphones qui arrive à maturité, des stocks pléthoriques dans l'industrie des semi-conducteurs et des entreprises du secteur de l'énergie qui doivent composer avec la diminution en glissement annuel des cours du pétrole.

Un affaiblissement de la croissance pour certaines entreprises de l'Internet est également observée. Toutefois, un indicateur plus vaste des perspectives bénéficiaires semble plus encourageant. A l'heure actuelle, le consensus table sur une croissance des bénéfices de l'entreprise médiane de l'indice S&P 500 de 3,5% au premier trimestre, 6% au deuxième et 10% sur l'ensemble de l'année 2019.

Les indicateurs ne laissent pas entrevoir une contraction durable des bénéfices

Les indicateurs avancés demeurent relativement porteurs. Le sondage de la Fed auprès des responsables de crédit met néanmoins en évidence un accès aux capitaux un peu moins facile mais, dans l'ensemble, les banques ne resserrent pas encore leurs conditions de crédit.

En outre, l'indice de la Fed de Chicago sur les conditions financières au niveau national montre que ces dernières restent plus souples que la moyenne. D'un autre côté, l'activité économique semble toujours en expansion. L'indice PMI composite de Markit a progressé à 54,5 points en janvier, contre 54,4 le mois précédent. Il reste supérieur au seuil des 50 points qui sépare l'expansion de la contraction. Cela conforte dans l'idée qu'une récession aux États-Unis n'est pas imminente.

Il n'est pas rare que les bénéfices marquent une pause
dans leur progression et cela ne perturbe pas toujours les marchés.

Depuis 1982, il y a eu cinq épisodes au cours desquels la croissance des bénéfices sur les douze derniers mois se situait entre -5% et 5% en l'absence de récession économique (1985, 1996, 1998, 2013 et 2016) pour ré-accélérer ensuite.

En général, les marchés d'actions ne s'en émeuvent pas, considérant que ces pauses sont temporaires. Lors des cinq épisodes susmentionnés, l'indice S&P 500 a progressé en moyenne de 15% lors des douze mois qui ont précédé la pause, puis de plus de 20% lors des douze mois qui l'ont suivie, sur fond de ré-accélération de la croissance.

Par conséquent, même si une «contraction des bénéfices» est un titre accrocheur, les investisseurs doivent faire la distinction entre une pause (sans grandes conséquences pour eux) et un plongeon des bénéfices (-20% en général) lié à une récession économique. A en juger par l'évolution des données macro et micro-économiques, une simple pause semble nettement plus probable qu'un plongeon.

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