Mesurer la biodiversité pour mieux investir

Lucian Peppelenbos, Robeco

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Les investisseurs demandent un cadre clair et fondé sur des données solides pour piloter les risques et orienter leurs portefeuilles.

©Keystone

 

La perte de biodiversité s’impose comme une réalité économique. Depuis 1970, les populations d’espèces sauvages ont chuté de près de 70%, mettant en péril des services écosystémiques essentiels tels que la pollinisation, la régulation du climat ou la qualité des sols. Ces fonctions naturelles, souvent invisibles dans les modèles économiques traditionnels, représentent pourtant une infrastructure vitale pour l’économie mondiale. Le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) estime que la dégradation du capital naturel entraîne chaque année des pertes équivalentes à 10% du PIB global.

L’ampleur du défi est telle que des investissements massifs sont désormais nécessaires pour enrayer cette trajectoire. Le PNUE chiffre à 8 100 milliards de dollars les besoins de financement d’ici 2050 pour répondre simultanément à la crise climatique, à l’érosion de la biodiversité et à la dégradation des terres. Pour les investisseurs, il ne s’agit plus d’une considération périphérique, mais d’un risque stratégique – et d’un levier potentiel de performance durable.

Ce que demandent les investisseurs: de la clarté, des outils, des données

Robeco et WWF Pays-Bas ont organisé une table ronde avec cinq investisseurs institutionnels européens pour mieux comprendre leurs attentes face à la crise de la biodiversité. Deux messages ont dominé les échanges: premièrement, la matérialité des enjeux nature est aujourd’hui largement reconnue dans les cercles d’investissement. Deuxièmement, les participants ont souligné leur difficulté à évaluer concrètement l’exposition des portefeuilles aux risques liés à la nature et à transposer ces enjeux dans les marchés cotés, au-delà des actifs historiquement associés à l’environnement comme la foresterie ou l’agriculture.

Les investisseurs présents ont exprimé un besoin pressant: disposer d’un cadre structuré, fondé sur des données solides, pour mieux comprendre les risques, comparer les émetteurs et prendre des décisions éclairées à l’échelle des portefeuilles.

Quels sont les principaux défis rencontrés par votre organisation lorsqu’elle cherche à intégrer les principes de biodiversité dans son portefeuille d’investissement?


 


Le Biodiversity Traffic Light: un cadre pour guider l’allocation de capital

Pour répondre à cette demande, Robeco a développé, en partenariat avec WWF Pays-Bas, un outil opérationnel: le Biodiversity Traffic Light. Ce cadre d’analyse évalue les entreprises cotées à travers trois dimensions clés: leurs impacts directs sur les écosystèmes, la solidité de leur gouvernance environnementale et la crédibilité de leurs engagements de transition. Il repose sur les cinq grands moteurs de la perte de biodiversité identifiés par l’IPBES: changement d’usage des terres et des mers, surexploitation, pollution, espèces exotiques envahissantes et changement climatique.

L’approche croise des indicateurs quantitatifs – tels que la consommation d’eau, les émissions non-CO₂ ou l’usage de matières recyclées – avec des critères qualitatifs portant sur la stratégie, les objectifs fixés et le niveau de transparence. Elle permet de positionner les entreprises selon quatre niveaux: aligné, en cours d’alignement, partiellement aligné ou non aligné. Cette évaluation rend possible une lecture comparative sectorielle, utile tant pour la sélection d’investissements que pour le suivi des engagements actionnariaux.

Biodiversity Traffic Light


 


Une transition en marche, mais encore à structurer

Malgré l’absence d’un indicateur universel équivalent à la tonne de CO₂ pour le climat, les progrès récents sont notables. Le TNFD a publié des recommandations sectorielles qui commencent à structurer les attentes du marché. Des fournisseurs de données, souvent en collaboration avec des organisations de protection de la nature, ont enrichi leurs jeux de données. Ces avancées ont permis à Robeco d’appliquer concrètement le Biodiversity Traffic Light, notamment dans le cadre de sa stratégie Biodiversity Equities.
Dans le même temps, le renforcement du cadre réglementaire européen – avec la CSRD, la CSDDD ou la taxonomie verte – pousse les entreprises à mieux documenter leurs impacts et dépendances vis-à-vis du vivant. Ce contexte crée une dynamique favorable à l’intégration systématique des enjeux biodiversité dans les politiques d’investissement.

L’avenir de la biodiversité est aussi celui de la finance

Pour les investisseurs de long terme, la biodiversité n’est plus un enjeu accessoire. Elle devient un axe structurant de gestion des risques, de création de valeur durable et d’alignement stratégique. Alors que la transition vers une économie «nature-positive» s’accélère, la capacité à mesurer, comprendre et intégrer ces dynamiques deviendra un marqueur différenciant de résilience et de leadership. Le moment est venu de faire de la nature un critère à part entière dans les décisions d’investissement.

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