Marché, politique… et adieu Françoise

Julien Serbit, Prime Partners

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Le climat politique est un élément du «cadre général» de l’investissement et le risque de le voir se dégrader doit être pris en compte quand il s’agit d’allouer du capital.

L’incertitude actuelle induite par la situation électorale française a été sanctionnée par le marché et vient reposer la question des facteurs non financiers dans la construction et la gestion de portefeuille.

Aux premières lueurs de 2024, de nombreux stratégistes rappelaient que la moitié du monde allait passer aux urnes cette année et que cela ne serait pas un facteur à négliger pour anticiper le comportement des marchés financiers. L’élection présidentielle américaine représente toujours le point d’orgue d’un potentiel impact de la politique sur les performances boursières des prochains mois. En revanche, nul doute que bien peu d’observateurs ont vu venir la dissolution de l’assemblé nationale française ordonnée par le président Macron le 9 juin dernier.

Les épisodes d’incertitudes électorales et les conséquences potentielles des changements du cadre politique font partie de la vie des marchés financiers et les investisseurs ne peuvent les ignorer. Cependant un débat vieux comme le monde ressurgit à chaque fois qu’un évènement de ce type survient et encore plus quand il surprend les marchés: l’investisseur doit il tenter d’intégrer le risque politique dans la gestion de son portefeuille?

La question est vaste, la réponse l’est encore plus et surtout elle ne contient pas de vérité absolue. Différentes situations et risques politiques sont à distinguer au travers de quelques exemples concrets. Qu’en novembre prochain les américains élisent pour un second mandat Joe Biden ou Donald Trump, cela ne devrait pas représenter un tournant majeur pour les actions américaines. Certes, certains secteurs apprécient plus que d’autres le courant de pensée républicain ou démocrate et nul doute que certaines déclarations de campagne susciteront crainte ou espoir mais dans l’ensemble messieurs Biden et Trump sont pro business et n’effraient pas vraiment les investisseurs.

Dans un autre registre, les évolutions politiques dans des pays moins démocratiques comme la Chine ou encore la Russie ne posent pas vraiment la question d’une incertitude électorale sur la bourse…puisque de suspense il n’y a guère en général.

De nombreux gérants de produits financiers, notamment d’actions, répéteront que la politique ne les intéresse pas.

C’est donc avant tout le risque de voir arriver au pouvoir un gouvernement aux idées moins empruntes de capitalisme dans un pays historiquement favorable à ce système qui inquiète les marchés. L’exemple actuel français en est la dernière illustration. Qu’il s’agisse du programme du rassemblement national ou de certains passages de celui la nouvelle gauche unifiée il y a de quoi laisser l’investisseur perplexe et certains capitaines d’industrie songeurs. 

Faut-il dès lors ajuster tactiquement le risque des portefeuilles en réduisant l’exposition aux actions européennes et françaises tout particulièrement? A contrario prendre un pari marqué sur les résultats électoraux à venir en fonction de ses convictions? Ne rien faire du tout?

Comme énoncé plus haut, il n’y a pas de réponse universelle et qu’une secousse exogène aux marchés financiers soit politique, sanitaire ou même que la NASA annonce avoir reçu un message extraterrestre, c’est bien l’horizon temps d’un investisseur qui devrait dicter ses agissements. Plus ce dernier est long et moins des évènements externes dont l’influence sur les cours de bourse est temporaire ne comptent. 

De nombreux gérants de produits financiers, notamment d’actions, répéteront que la politique ne les intéresse pas. Ils sont rémunérés par leurs clients pour investir en tout temps dans les meilleures sociétés et non pour anticiper ou interpréter les aléas politiques. Cette solution peut paraitre simpliste mais au fond le garagiste qui vend une voiture ne se préoccupe pas de l’état de la route…

Il y a d’autres façons de voir les choses. Le climat politique est un élément du «cadre général» de l’investissement et le risque de le voir se dégrader doit être pris en compte quand il s’agit d’allouer du capital. Cependant on peut argumenter qu’une bonne diversification est un rempart suffisant contre une crise politique touchant un pays et donc s’épargner la tâche hautement incertaine de devoir anticiper les résultats sortant des bureaux de vote.

Gardons enfin à l’esprit qu’en investissement tout choc crée une opportunité et de nombreux opérateurs sauraient certainement générer des profits boursiers découlant directement de leur positionnement sur les marchés en cas d’arrivée surprise de messieurs Bardella ou Mélenchon à Matignon début juillet… nous n’en sommes pas là…

Comme le dit Machiavel, «tout n’est pas politique mais la politique s’intéresse à tout», y compris aux marchés financiers. En l’occurrence, c’est plutôt les marchés qui s’intéressent à la politique et à ses intrigues mais l’histoire démontre que cet intérêt est bien souvent temporaire et laisse en général la place au flux continu d’informations financières et d’évènements de tout ordre.

Il parait donc raisonnable de ne pas remettre en question des investissements de long terme, notamment en actions, à chaque secousse politique quand bien même elles présentent le potentiel de modifier le cadre dans lesquels les entreprises opèrent. Tant que celui-ci reste concurrentiel et respecte les mécanismes de marché sans trop d’entraves autoritaires, la bourse s’en accommode.

Il semble tout aussi raisonnable de garder un œil attentif sur l’évolution politique et les échéances électorales dans le pilotage d’une allocation d’actifs, surtout dans des périodes où les mécontentements alimentent les discours populistes et leurs raccourcis économiques aux quatre coins du monde. 

Il n’y a pas que la dissolution de l’assemblée nationale que juin 2024 retiendra mais aussi la disparition de Françoise Hardy, le 11, peut être lassée par tant de soubresauts et dont une certaine nostalgie émaillait régulièrement les textes. Parmi ses dizaines de succès, le titre «contre vents et marées» sorti en 2000 contenait les mots suivants:

Suivre ta route
Coûte que coûte
Contre vents et marées
Si nul n'échappe à ces orages
Qui balayent au passage
Les repères
Qui éteignent la lumière
Dans la nuit noire
Tôt ou tard
Va briller un espoir
Et germer ta victoire

L’investisseur de long terme peut sans doute s’en inspirer dès lors qu’il s’agit de garder fortes ses convictions quand bien même le paysage politique vient les perturber.

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