Ménage à trois

Valérie Plagnol, Vision & Perspectives

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Plus que jamais en position de force au sortir de la première phase de la crise de la COVID-19, Angela Merkel pourra-t-elle en colmater les fissures.

Elle n’est pas la seule, mais Angela Merkel a été exemplaire à bien des égards. Sa gestion de la crise et de la pandémie du COVID-19 en Allemagne force l’admiration. Discours précis et transparent, sang-froid, coordination, moyens sanitaires et financiers importants et adaptés, et par-dessus tout, une société civile au rendez-vous et à l’initiative. Que demander de plus? La Chancelière sort grandie de l’épreuve, et l’Allemagne moins atteinte que nombre de ses voisins. Moins de 8000 décès à ce jour, le pays n’a pas échappé à la récession, mais elle est deux fois moins sévère que chez ses voisins les plus proches. Sortie du déconfinement, elle affiche pour le moment un taux de reproduction du virus - l’indicateur de la pandémie le plus suivi dans le pays - encore inférieur à 1. L’Allemagne s’est même payé le luxe de reprendre sa compétition de football (bien qu’à huis clos).

En France, la crise a mis
en lumière d’anciens travers.

L’Allemagne sort de la crise plus forte et plus puissante que jamais. Le Brexit met sur la touche un Royaume-Uni encore en confinement, et désormais impuissant à peser face à l’ascension de la puissance continentale. De quoi donner de l’urticaire au Foreign Office. De l’autre côté du Rhin, la France d’Emmanuel Macron émerge difficilement d’une crise qui l’a fragilisée. Le nombre de victimes, le strict confinement de 55 jours (une coïncidence de durée qui rappelle d’autres temps), le sentiment d’une gestion chaotique – au moins au début de la crise – laissent le Président aux portes de ses réformes, et face à un déficit et à une dette publique tels qu’il a perdu les faibles marges de manœuvre dont il disposait à son avènement. L’héritage était lourd, les difficultés et les oppositions se sont accumulées à l’intérieur comme à l’extérieur. En France, la crise a mis en lumière d’anciens travers. Les appels à un renforcement de l’Union, de son budget et même à la mutualisation des dettes, sont restés lettre morte. Au Sud, l’Italie est encore plus meurtrie, mais la faiblesse du pays contraste avec la fermeté de son Président du Conseil. Giuseppe Conte, à la tête d’une coalition minoritaire, a su faire taire ses adversaires et prévaloir ses arguments auprès de ses partenaires européens1. Au point de susciter l’attention bienveillante de son partenaire du nord?

Car tout n’est pas au beau fixe pour Madame Merkel, loin de là, et elle fort à faire. D’abord, parce que le temps risque de lui manquer. Partante en 2021, elle ne semble pas avoir trouvé de successeur. Son récent regain de popularité pourrait faire de l’ombre à bien des candidats. De plus, l’émergence –impensable il y a quelques années – d’une extrême droite de plus en plus affirmée et conquérante électoralement est une tache sur son «règne» et montre la fracture croissante entre l’Allemagne prospère et celle qui se sent laissée pour compte. La Chancelière se trouve aussi embarrassée par la décision récente de la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe. En demandant des comptes à la Banque Centrale Européenne, la plus haute juridiction du pays, porteuse de sa propre vision de l’Union, se fait également le porte-parole d’une partie de l’opinion eurosceptique et peu encline à se montrer solidaire. Bref Angela Merkel doit composer avec une Allemagne qui craint de perdre sa souveraineté2, son épargne et sa prospérité.

En Italie aussi, les blessures
sont à vif.

Peut-être est-ce dans cette inquiétude commune face à la montée des euroscepticismes, qu’Angela Merkel pourrait trouver des raisons de se rapprocher de Giuseppe Conte. Car en Italie aussi, les blessures sont à vif et le ressentiment gagne à l’encontre d’une «Europe du Nord», jugée méprisante et qui, une fois de plus a abandonné le pays à ses maux. L’Italie du Nord est un partenaire industriel important. Cela se complique aussi par la crainte de voir la botte se transformer en «Cheval de Troie» de la Chine au sein de l’Europe. Car le gouvernement Conte a hérité de la précédente coalition d’un accord commercial qui fait du pays une étape sur la Route de la Soie chinoise, une tête de pont dans la zone euro. Et le gouvernement chinois s’est empressé d’apporter, à grand renfort de publicité, son aide à une population qui s’était sentie mise au ban de l’Union.

Le «couple» franco-allemand, se transformera-t-il en «ménage à trois»? Angela Merkel y aurait tout intérêt, comme elle pourrait bien être aujourd’hui la seule à disposer de l’autorité suffisante pour recimenter l’Union à partir de ce socle.

 

1 Voir notre article «Ne tirez pas sur l’ambulance»
2 Retrouvez l’article de Hélène Miard-Delacroix, «Peurs allemandes, peurs en Allemagne», paru dans le Rapport Schuman 2020 sur l’Europe (p52, disponible en version numérique), ed Marie B/collection Lignes de repères

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