Les pénuries et la volatilité pavent la voie de la normalisation

Stéphane Monier, Lombard Odier

4 minutes de lecture

Les fondamentaux économiques restent robustes et la reprise est soutenue par les dépenses des gouvernements et des consommateurs

Points clés
  • Le faible niveau des stocks et des pénuries de main-d'œuvre interrompent les chaînes d'approvisionnement et compromettent la dynamique de la croissance
  • Les banques centrales s’attendent à ce que les pressions inflationnistes demeurent provisoires et la politique monétaire devrait conserver une trajectoire prévisible
  • Les perturbations actuelles ne semblent pas structurelles. Au fur et à mesure que l'activité se normalise, la croissance devrait revenir à son potentiel à long terme.

Les pénuries en matière de transport maritime, d'énergie et de main-d'œuvre menacent le rythme de la reprise mondiale, car la reprise de la demande se heurte à un faible niveau des stocks et à des goulets d'étranglement. Ce choc économique sans précédent suivi de l’un des plus forts rebonds de l'histoire a pour conséquence que nous n’avons pas de référence pour tracer la voie de la normalisation. Néanmoins, nous pensons que les actuelles perturbations de l’offre seront transitoires, quand bien même elles continueront à créer de la volatilité à court terme sur les marchés.

La vigueur qui sous-tend la reprise économique incite les banques centrales à poursuivre leurs programmes de réduction des achats d'actifs, qui devraient être suivis par des hausses des taux d'intérêt. Malgré les défis que doit relever la logistique mondiale, les flux commerciaux se rétablissent et la vague de contaminations dues au variant delta semble avoir atteint son pic. Cela souligne la solidité des fondamentaux cycliques mondiaux, soutenus par les engagements des Etats-Unis, de la Chine et de l'Europe en matière de dépenses budgétaires supplémentaires (cf. graphique 1).

Il existe toutefois de nombreux exemples de pénuries et de pressions inflationnistes. Le prix des conteneurs maritimes a été multiplié par sept depuis le début de la crise et les retards de livraison ne sont pas sans conséquence sur les ventes. La semaine dernière, le géant du prêt-à-porter H&M a observé un recul de ses ventes du fait que l'offre ne répondait pas à la demande.

En Europe, le prix du gaz naturel a atteint des niveaux record alors que les stocks sont inférieurs de 11% à leur moyenne sur cinq ans avant la période hivernale de l'hémisphère nord. La Russie et la Norvège, qui comptabilisent plus de la moitié de l’approvisionnement en gaz déjà faible de l'Europe, ont subi des interruptions et des ralentissements. Cela a obligé le continent à faire des offres pour le gaz naturel afin de concurrencer les acheteurs en provenance du Japon et de la Chine, où les stocks sont également bas.

En septembre, l'indice chinois des directeurs d'achat a révélé une contraction pour la première fois depuis février 2020. Seize des 31 provinces du pays ont imposé un rationnement de l'électricité, et l'activité manufacturière a ralenti, les pénuries d'énergie et les contaminations locales au variant delta ayant mis la production sur pause. En outre, la Chine, qui est déjà le plus grand importateur de gaz au monde, est en train de passer du charbon au gaz en prévision des Jeux olympiques d'hiver qui auront lieu en février 2022.

En pleine tempête

Sur les marchés pétroliers, le Brent a ouvert cette semaine à près de 80 USD le baril, soit son plus haut niveau depuis trois ans. Contrairement au gaz, il est plus facile d’augmenter l'offre de pétrole, car l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) dispose des capacités disponibles lui permettant d’augmenter l'offre en fonction de la demande. Cependant, sur le marché du gaz, où le schiste reste le producteur marginal, les augmentations de production sont limitées par l’engagement des entreprises à restituer le capital aux actionnaires.

Les pénuries d'énergie sont particulièrement sévères au Royaume-Uni, qui possède peu de stocks de gaz et moins de gazoducs physiques que le reste de l'Europe, tout en dépendant de l'électricité de ses voisins. Les livraisons d’essence ont commencé à se tarir suite à une pénurie de chauffeurs routiers, et non à une pénurie de carburant, en raison de modifications des obligations fiscales des chauffeurs indépendants, d’un retard dans l'examen des permis et d’un manque de chauffeurs européens dû au Brexit. En avril, l'Association britannique des transporteurs routiers (RHA) a averti qu'«une véritable tempête se levait sur le front de la logistique.» Le gouvernement britannique octroie 5’000 visas de travail supplémentaires de trois mois aux chauffeurs en provenance de l'UE et envisage de mobiliser 150 militaires. Toutefois, ces mesures ne permettront pas de combler le déficit de 70’000 conducteurs enregistré cette année.

Risque de ralentissement?

La question clé est de savoir si les prix élevés de l'énergie peuvent provoquer un ralentissement de la croissance. Il existe deux scénarios selon lesquels cela serait envisageable.

Selon le premier scénario, confrontés à la hausse des prix de l'énergie, les ménages réduiraient leurs dépenses globales, ralentissant ainsi l'activité économique. Du fait que les Etats-Unis connaissent un nombre record d'offres d'emploi et un taux de chômage de 5,2%, cela semble peu probable. En outre, si un recul des dépenses est possible dans certains milieux, les consommateurs disposent aujourd'hui de niveaux d'épargne inégalés. Certains ménages vont indubitablement souffrir, mais globalement, il y a plus qu'assez de liquidités pour faire face à cette situation, et ainsi maintenir des niveaux élevés de dépenses.

Selon le second scénario, les banques centrales, inquiétées par le rebond des prix dans certains secteurs, décideraient de faire marche arrière et de durcir leur politique. Nous ne pensons pas que cela se produira, pas même en Europe où les prix de l'énergie atteignent des sommets.

Les banquiers centraux comptent sur le caractère transitoire de ces pressions inflationnistes et s’attendent à ce que l'inflation et la croissance économique renoueront avec leurs moyennes à long terme à mesure que les chaînes d'approvisionnement et les stocks se normaliseront. Cela placerait la politique monétaire sur une voie prévisible et bien signalisée.

La Fed est prête à diminuer ses dépenses d'urgence en réduisant ses achats d'actifs mensuels, probablement dès la fin de cette année ou le début de l'année prochaine. La banque centrale américaine a clairement indiqué qu'elle surveillait le marché du travail au sens large pour y déceler les signes indiquant que l'économie a renoué avec le plein emploi, même si elle se demande à quoi va désormais ressembler cet indicateur, étant donné l'inadéquation entre les opportunités d'emploi et le chômage. «Je n'avais jamais vu de tels problèmes d'approvisionnement, ni une économie combinant une importante pénurie de main-d'œuvre avec un grand nombre de chômeurs», a déclaré le président de la Fed, Jerome Powell, après une rencontre avec des entreprises. L'économie en mutation «sera très différente de celle qui l’a précédée».

Potentiel à long terme

Pour l'instant, les perturbations ne paraissent pas structurelles. Les Etats-Unis ont connu une pénurie de bois d'œuvre au moment du rebond de leur économie et en mai, les prix ont doublé par rapport au début de l'année. Cela n'a pas refroidi le marché immobilier et, à mesure que les stocks se reconstituent, les prix du bois se normalisent (cf. graphique 2).

Les chaînes d'approvisionnement s’appliquent encore à résoudre leurs goulots d'étranglement et, tant qu'elles n’en seront pas venues à bout, les réserves de nombreux biens et produits de base resteront faibles. Dans l'intervalle, nous observerons également un peu d’inflation, y compris au niveau des salaires, à mesure que les effets mécaniques et de base du rebond économique se feront sentir. Dans l'ensemble, nous pensons que l'inflation sera transitoire avant de se stabiliser à sa moyenne de long terme.

L'inflation ne devrait pas persister, pour autant qu’elle ne s’infiltre pas dans tous les secteurs de l'économie et ne soit pas soutenue par des niveaux de crédit excessifs. Jusqu'à présent, les banques commerciales ont fait preuve de discipline en matière de prêts, et les ménages ont montré un appétit limité pour l'emprunt. Nous restons attentifs aux signes indiquant des changements plus profonds dans les économies développées.

Tandis que les investisseurs sont confrontés à une volatilité à court terme, les économies devraient s’avérer résilientes, ce qui leur permettrait de faire face à un éventuel ralentissement de la croissance, alors que les banques centrales se préparent à réduire leurs achats d’actifs et à entamer un nouveau cycle de hausse des taux. Par conséquent, la croissance devrait revenir à des niveaux plus normaux, conformes à son potentiel à long terme. Nous recommandons donc de rester investi dans les actifs risqués.

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