Les objectifs de neutralité carbone révolutionnent les investissements

Stéphane Monier, Lombard Odier

5 minutes de lecture

Les principales économies ont renforcé leurs engagements en faveur de la décarbonisation lors d’un sommet virtuel sur le climat.

Points clés
  • L’absence de normes communes et de publication de données complique l’investissement durable. Notre expertise en matière de carbone nous permet d’évaluer l’alignement d’un portefeuille sur les objectifs de l’accord de Paris
  • Investir dans des technologies déjà durables n’est pas suffisant : nous devons nous concentrer sur les entreprises les plus performantes en matière de transition vers des modèles d’affaires neutres en carbone
  • La transition vers une économie neutre en carbone offre des opportunités sans précédent pour les investisseurs.

Lors de la conférence virtuelle sur le climat organisée par les Etats-Unis la semaine dernière, les plus grands pollueurs de la planète se sont engagés à réduire encore davantage leurs émissions de gaz à effet de serre en vue de parvenir à une économie à zéro émission nette de carbone. Ce changement de modèle économique mondial entraîne la révolution la plus rapide de l’histoire de l’investissement, synonyme d’opportunités pour les rendements des portefeuilles.

«Nous devons redoubler d’efforts», créer une économie durable et «surmonter la crise existentielle de notre époque», a déclaré le président américain Joe Biden dans son discours d’ouverture. L’une de ses premières mesures a été de réintégrer l’accord de Paris et de fixer un objectif de neutralité carbone d’ici à 2050 pour le pays. Lors de la conférence de la semaine dernière, les Etats-Unis se sont effectivement engagés à réduire leurs émissions de dioxyde de carbone (CO2) de 50% à 52% d’ici à 2030, sur la base des niveaux de 2005.

D’autres pays ont aussi revu leurs objectifs à la hausse. Le Premier ministre japonais, Yoshihide Suga, a déclaré lors du sommet que son pays réduira ses émissions de 46% d’ici à 2030,par rapport aux niveaux de 2013, et le Canada a porté son objectif de réduction de 40% à 45% d’ici à 2030, par rapport aux niveaux de 2005.

Les nouveaux engagements requièrent
un net renforcement du soutien politique.

Les émissions de carbone américaines sont en baisse depuis 2007, grâce au passage du charbon au gaz naturel et aux mesures prises par certains Etats, comme la Californie. En outre, certaines entreprises ont poussé les forces du marché et fait de tels progrès que les options les plus propres sont désormais aussi les plus économiques.

Toutefois, les nouveaux engagements requièrent un net renforcement du soutien politique. L’administration Biden s’est déjà engagée à favoriser la production de l’électricité neutre en carbone en augmentant l’utilisation de sources renouvelables telles que l’énergie éolienne et solaire d’ici à 2035. Le mois dernier, le gouvernement américain a dévoilé un programme visant à consacrer 2’250 milliards de dollars à la rénovation des infrastructures, dont un tiers vise directement l’investissement lié au climat.

Le sommet virtuel de deux jours a réuni le président chinois Xi Jinping, de même que les chefs d’État de l’Inde, de l’Allemagne et de la Russie. La Chine a exprimé des doutes quant aux engagements américains, car les Etats-Unis avaient fait des promesses dans le cadre du protocole de Kyoto qu’ils n’ont pas pu tenir sans la ratification du Sénat. La Chine est le plus grand émetteur de CO2 au monde. Elle est responsable de plus d’un quart des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Le pays vise la neutralité carbone d’ici à 2060 et a annoncé qu’il réduira progressivement sa consommation de charbon à partir de 2026.

Dernière chance, nouvelles chances

Bill Gates a expliqué l’urgence de la neutralité carbone en faisant une analogie avec une baignoire qui se remplit et finit par déborder. Les émissions nettes doivent cesser – et pas seulement être réduites – car le moindre filet d’eau qui s’échappe du robinet sera catastrophique. La semaine dernière, une étude de Swiss Re est arrivée à la conclusion que si aucune mesure n’est prise, les températures mondiales pourraient augmenter de plus de 3 degrés Celsius et l’économie mondiale pourrait enregistrer une contraction de 18% au cours des 30 prochaines années.

Les changements de comportement sont déjà en cours.
Les changements réglementaires et législatifs sont plus lents.

Ces objectifs politiques présentent un aspect positif important. Ils sont réalisables d’un point de vue technologique et économique, bien que le temps soit compté. Nous avons déjà réchauffé notre environnement de 1,2° C. L’accord de Paris cherche à limiter le réchauffement à 2°C au maximum, et veut diriger les efforts vers un réchauffement à 1,5°C maximum. Au rythme actuel des émissions mondiales annuelles de 52 milliards de tonnes, nous dépasserions cet objectif dans moins de dix ans. Pour l’atteindre en 2050, nous devons diviser par deux les émissions tous les dix ans.

Le défi est considérable. Les émissions de carbone issues de la production d’énergie, de la production industrielle, des transports et de l’agriculture affectent chaque aspect de nos vies. Même les émissions de CO2 dues au courrier électronique sont quantifiables. Avec une moyenne de 1,652 grammes de CO2 par jour, les 121 e-mails d’un employé de bureau équivalent à un trajet de 13,4 kilomètres aux niveaux d’émissions des voitures neuves de 2019 dans l’Union européenne.

Quantifier l’aptitude à atteindre la neutralité carbone

Bien que l’objectif soit clair, comprendre à quoi pourrait ressembler une économie neutre en carbone et comment nous pourrions investir dans une telle économie est plus complexe. Les approches simplistes qui cherchent uniquement à transférer le capital à des industries à moindre intensité carbone ont dominé le marché. Cependant, de telles stratégies ne tiennent pas compte du fait que pour atteindre la neutralité carbone, nous devons trouver des solutions dans tous les secteurs de l’économie. En effet, les secteurs à fortes émissions, où la transition est plus difficile, sont les plus importants en termes de changement climatique. Cela soulève la question de la manière dont nous comparons la durabilité de l’investissement dans une société dans les secteurs à fortes émissions, comme l’acier, et l’investissement dans une société qui est déjà faiblement émettrice, mais qui a aussi une moindre importance par rapport à la transition à venir.

Pour y répondre, nous avons développé une expertise en matière de carbone qui cherche à comprendre la forme spécifique de la transition dans chaque secteur, région et industrie. Nous avons cherché à définir les technologies et changements de comportement qui peuvent transformer plus de 160 industries, exposant potentiellement les entreprises à de nouveaux risques, de même que de nouvelles opportunités de croissance liées à la transition vers une économie à zéro émission nette. Grâce à cette analyse, nous avons évalué l’alignement de plus de 20’000 entreprises sur la transition à venir, en mesurant leur empreinte carbone, et si celle-ci diminue suffisamment rapidement. Pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris, les émissions de chaque entreprise doivent suivre le cheminement de transition pour leurs industries respectives.

Ces approches nous permettent d’identifier les entreprises les mieux placées pour tirer parti des opportunités d’investissement de la transition, mais aussi d’identifier les risques spécifiques ou systémiques pour les entreprises qui ne prennent pas de mesures. Il s’agit d’un aspect essentiel pour identifier les opportunités d’investissement. De surcroît, une évaluation du risque financier doit prendre en compte plus que la seule empreinte carbone d’une entreprise et intégrer les coûts spécifiques, les changements au niveau du marché et de l’environnement qui résultent de la transition.

Si l’on se contente d’investir dans des technologies déjà durables, l’objectif d’une économie décarbonée fixé dans les engagements politiques ne sera pas atteint au cours des trois prochaines décennies. Il est erroné de chercher à éviter les secteurs fortement émetteurs aujourd’hui, mais qui resteront essentiels dans une économie décarbonée. Nos économies continueront à dépendre de l’énergie, des denrées alimentaires et des infrastructures qu’ils fournissent. Au lieu de les exclure de leurs portefeuilles, les investisseurs devraient se concentrer sur les fournisseurs de solutions et les entreprises les plus performantes qui sont en train de changer et peuvent devenir un élément durable d’un avenir neutre en carbone.

Tenir les objectifs climatiques

La question cruciale n’est donc pas de savoir si une industrie est actuellement polluante, mais plutôt si elle est en mesure d’opérer une transition vers un avenir propre, et si une entreprise est sur la voie d’une décarbonisation crédible et viable.

Les marchés financiers deviendront de plus en plus les moteurs du changement et ils commencent déjà à pénaliser les acteurs qui ne disposent pas de plan d’action. Les changements de comportement sont déjà en cours. Les changements réglementaires et législatifs sont plus lents, et ne suffiront pas, à eux seuls, à obtenir les résultats dont nous avons besoin, mais peuvent catalyser et accélérer les transitions. Les investisseurs aussi peuvent accélérer la transition en encourageant les entreprises à fixer des objectifs plus ambitieux, et en exigeant une mise en œuvre plus rapide.

Les analystes s’attendent à ce que les véhicules électriques
représentent 35% du marché d’ici 2030.

Le changement ne sera probablement pas linéaire, car les évolutions technologiques rendent des parties de certaines industries superflues, tout en en favorisant d’autres. Cela signifie que les industries connaîtront des changements rapides. En l’espace d’une décennie, tous les grands constructeurs automobiles, par exemple, ont revu leur modèle d’affaires, car les objectifs plus stricts en matière d’émissions de CO2 les obligent à adopter des technologies alternatives neutres en carbone, comme les véhicules électriques à batterie. BMW et Volkswagen, par exemple, prévoient que la moitié de leur flotte fonctionnera avec des batteries d’ici 2030, tandis que Volvo se prépare à être entièrement électrique d’ici là.

Dans l’ensemble, les analystes s’attendent à ce que les véhicules électriques représentent 35% du marché d’ici 2030, grâce à des ventes meilleures que prévu et au projet de loi américain sur les infrastructures. L’administration Biden prévoit de multiplier par cinq son réseau de bornes de recharge dans le cadre de son programme de dépenses d’infrastructures sur huit ans.

Les portefeuilles d’investissement devront refléter simultanément toutes ces évolutions et ambitions tout en se montrant résilients aux chocs qui se produisent sur des périodes relativement courtes, en tirant parti de placements dans des opportunités sur les marchés publics et privés.

La première étape consiste à évaluer la «Value-at-Risk» d’un portefeuille du point de vue des risques et opportunités liés au climat. Notre objectif est d’aligner les portefeuilles sur la transition vers des économies neutres en carbone et de profiter ainsi de cette révolution. Cela exige une approche qui repère les progrès accomplis en prêtant attention aux solutions techniques et scientifiques qui sous-tendent les évolutions. Les investisseurs peuvent alors choisir des solutions qui placent les capitaux dans les entreprises les mieux placées pour effectuer cette transition.

A mesure que la transition avance, les approches d’investissement tenant compte de ces changements révolutionnaires devraient permettre d’obtenir des rendements ajustés au risque supérieurs.

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