Le tournant de 2019 ne sera peut-être pas politique mais monétaire

Didier Saint-Georges, Carmignac

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L’achat de bons du Trésor US par la Fed, décidé le 11 octobre, pourrait offrir pour les prochains mois un nouvel espace de respiration aux marchés d’actions.

©Keystone

Selon leur poste d’observation, les acteurs des marchés financiers garderont de l’année 2019 des souvenirs différents. Il est probable que pour les épargnants européens, un des faits les plus mar-quants soit la mort du marché obligataire, ou pour être moins emphatique, la disparition de tout rendement attrayant accessible aux particuliers sur cette classe d’actifs. Pour les économistes, ce sera certainement la fin de l’exception américaine, l’économie globale ayant finalement entrainé l’économie étasunienne dans son ralentissement, au fur et à mesure que les bienfaits de la ré-forme fiscale de Donald Trump s’estompaient et que l’incertitude liée aux tensions commerciales avec la Chine avaient raison de la confiance des entreprises américaines. Les amateurs d’indices retiendront que les grands marchés d’actions américains ont atteint cette année leurs plus hauts niveaux historiques. 

La performance des indices américains s’est réalisée
pour l’essentiel dans les quatre premiers mois de l’année.

Les grincheux continueront de rappeler que les indices européens n’ont quant-à-eux toujours pas retrouvé leurs niveaux de 2000 ni de 2007. Et ils feront remarquer que la performance des indices américains s’est réalisée pour l’essentiel dans les quatre premiers mois de l’année, les niveaux at-teints début octobre étant toujours les mêmes que ceux atteints fin avril. Ce qui rappellera au tra-ders quelle étonnante période ils auront traversée à partir du mois de mai. Car pendant ces six der-niers mois, les marchés n’auront cessé d’aller et venir à l’intérieur d’un intervalle d’environ 5%, soutenus par la perception d’une double police d’assurance souscrite auprès de Donald Trump et de la Fed (les deux ayant au moins en théorie la possibilité et l’engagement d’intervenir en cas de baisse trop forte des marchés) mais limités par l’incertitude politique et l’aggravation du ralentis-sement global. 

Il reste néanmoins près de trois mois avant que l’année s’achève, ce qui est largement suffisant pour ajouter aux souvenirs principaux de cette année quelques moments décisifs. On pourrait bien-sûr penser à une paix des braves entre la Chine et les Etats-Unis après deux années de guerre commerciale. Mais qui ne voit qu’il ne s’agira en réalité que d’une trêve, pas même d’un armistice, et encore moins d’un traité de paix. La Chine n’a nulle intention de faire de grande concession stra-tégique aux Etats-Unis. Un accord sur Brexit ordonné sera peut-être le grand moment du dernier trimestre. Mais une clarté éventuelle apportée sur les plans politique et institutionnel ne fera qu’ouvrir une nouvelle période d’incertitude sur les conséquences économiques effectives d’un divorce, fût-il par consentement mutuel. En revanche un moment mémorable s’est peut-être déjà produit, passé largement inaperçu, mais dont les ramifications pourraient s’avérer importantes pour les marchés financiers. 

Quel que soit le nom qu’on lui donne, la décision de la Fed constitue
de nouveau un exercice de création monétaire en dollars.

En effet, le vendredi 11 octobre dernier, la Fed a annoncé qu’elle procéderait dès maintenant à l’achat de bons du Trésor américain pour un montant initial de 60 milliards de dollars chaque mois, au moins jusqu’au second trimestre 2020. La Fed s’est empressée de préciser qu’il ne s’agissait que d’une mesure technique destinée à fluidifier le marché interbancaire, sous tension ces derniers temps. Et certes, il ne s’agira pas d’achats d’emprunts d’Etat à dix ans, pas «d’assouplissement quantitatif». Mais quel que soit le nom qu’on lui donne, cette décision, qui laisse toute latitude à la Fed pour l’aménager à l’avenir, constitue de nouveau un exercice de création monétaire en dollars, et ceci d’une ampleur considérable. Car un montant de 60 milliards par mois est du même ordre de grandeur que celui des achats d’obligations qu’effectuait la Fed aux grandes heures du «Quantita-tive Easing» en 2009, 2011 et 2012-2013. 

Par conséquent, il s’agit bien d’une réparation du problème d’insuffisance de dollars dans le sys-tème, qui a constitué depuis deux ans un obstacle majeur à la croissance économique globale, et à la performance des actifs risqués, en particulier dans un monde émergent avide de dollars. Cette première capitulation de la Fed ne suffira certainement pas à inverser le cycle économique, et en-core moins à résoudre les problèmes structurels de déséquilibres financiers qui prévalent aux Etats-Unis comme ailleurs. Mais elle pourrait offrir pour les prochains mois un nouvel espace de respiration aux marchés d’actions, au moins dans le monde émergent, si l’incertitude politique ne s’enflamme pas de nouveau dans le même temps. Elle pourrait aussi permettre de réduire pro-gressivement la survalorisation du dollar. Cette décision de la Fed du 11 octobre serait alors proba-blement reconnue plus tard comme un moment mémorable de l’année 2019.

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