Le secteur financier est-il suffisamment sûr?

Mark Roe, Harvard Law School

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Les tribunaux de faillite sont dépourvus de la formation nécessaire pour concevoir un plan de relance dans tout le pays.

 

Dix ans après la crise financière mondiale, les décisionnaires du monde entier recherchent toujours des mesures préventives contre les faillites bancaires susceptibles de remettre l'économie en chute libre. Deux publications récentes – l'une du Département américain du Trésor, l'autre des économistes de la Réserve fédérale – font le point sur la situation.

Le rapport du Département américain du Trésor s'est penché sur la question de savoir s'il était opportun de remplacer le processus de régulation de la loi Dodd-Frank de 2010 pour résoudre le déficit des méga-banques – Orderly Liquidation Authority (OLA) – par un mécanisme purement judiciaire. L'étude du trésor a été entreprise selon les instructions du Président Donald Trump, en réponse à la pression de plusieurs leaders républicains du Congrès – comme le Représentant du Texas Jeb Hensarling, le directeur du Comité de services financiers de la Chambre – qui préconisent remplacer les organismes de régulation par des tribunaux.

«Dodd-Frank est un exemple de l'intervention
inadéquate des pouvoirs publics.»

En fin de compte, alors que le Trésor exaltait les vertus de la banqueroute basique pour les banques en faillite, il a rejeté les pouvoirs des organismes de régulation dans la direction des restructurations bancaires. Hensarling a exprimé sa grande déception vis à vis de la conclusion du Trésor et lui et ses collègues continuent à insister sur le fait que Dodd-Frank est un exemple de l'intervention inadéquate des pouvoirs publics qui soulève des risques de renflouements financés par les contribuables.

Mais comme l'a reconnu le Trésor, supprimer les organismes de contrôle est une proposition problématique. La restructuration des banques lors d'une crise exige de la planification, une certaine familiarité avec les points forts et les faiblesses de la banque, l'opportunité quant au moment de la banqueroute dans une économie instable et une capacité à se coordonner avec les organismes de régulation étrangers. Les tribunaux ne peuvent pas effectuer ces dernières tâches, en particulier dans les délais impartis pour une faillite bancaire – un week-end de 48 heures – sans planification préalable des organismes de régulation et sans avis immédiat, ni sans coordination internationale.

En outre, si plusieurs méga-banques coulaient simultanément, les tribunaux de faillite ne pourraient pas contrôler la crise à l'échelle de l'économie qui s'ensuivrait. Ils sont dépourvus de la formation nécessaire pour concevoir un plan de relance dans tout le pays. Ils ne sont pas en mesure de coordonner des démarches avec les organismes de régulation étrangers.

«La planification de restructuration ne se traduit pas encore
dans le prix des obligations bancaires.»

Tout ceci étant donné, éliminer la restructuration initiée par les organismes de régulation pourrait représenter à un grand pas en arrière. Ainsi le rapport du Trésor est une bonne nouvelle, en particulier parce que, sans soutien du Trésor, la Chambre des Représentants pourrait bien arrêter de réclamer des changements à l'avenir.

Pourtant la deuxième publication récente – par plusieurs économistes de la Fed – suggère qu'il reste encore beaucoup à faire. La conclusion principale de ce rapport est que la planification de restructuration ne se traduit pas encore dans le prix des obligations bancaires.

Après la crise, des études publiées entre autres par le personnel du Fonds Monétaire International ont conclu que les banques avaient besoin de beaucoup plus de capitaux propres pour absorber leurs pertes. En 2009, seulement cinq cents sur chaque dollar placé par les banques principales étaient issus des capitaux propres; le reste était la dette (dépôts, emprunts au jour le jour et prêts à long terme). Ainsi si la banque perdait six cents dans ses opérations pour chaque dollar de dette, certains créanciers risquaient de ne pas être entièrement payés. En cherchant à éviter les pertes, de nombreux créanciers vont se précipiter pour encaisser les fonds, en faisant ainsi pression sur le système bancaire entier et en déclenchant potentiellement une panique bancaire.

«Une banque en difficulté pourrait absorber
davantage de pertes et rester en activité.»

Selon l'étude du FMI, la plupart des banques pourraient survivre à la crise sans encombre si 15 cents de chaque dollar de placement provenaient de capitaux propres. Pourtant les banques détiennent toujours seulement huit ou neuf cents sur chaque dollar placé en capitaux propres, malgré l'insistance des organismes de régulation en faveur d'une augmentation et en dépit du fait que les plus grandes banques ont plaidé précisément en faveur d'une réduction de ce rapport suboptimal.

Les organismes de régulation et les banquiers ont recherché un compromis pour améliorer la sécurité. En plus des huit cents de capitaux propres qu'ils détiennent, les banques cherchent à présent à détenir huit cents de plus par dollar de dette qu'elles pourraient transformer en capitaux propres au cours d'un week-end. Dans un scénario de ce type, une banque en difficulté pourrait absorber davantage de pertes et rester en activité, ce qui limiterait la tendance des investisseurs à quitter la banque.

Mais il y a un hic: dans le cadre du plan actuel, certains créanciers sont désignés à l'avance pour absorber les pertes d'une banque en faillite une fois les capitaux propres épuisés. Les dettes de ces créanciers sont ainsi plus risquées et devraient être plus chères pour la banque par rapport à la dette qui n'est pas destinée à être transformée en capitaux propres. Pourtant les économistes de la Fed concluent que, sur le marché, cela n'est pas le cas. Pourquoi?

La première possibilité est plutôt optimiste: les marchés financiers ne pensent pas qu'il pourrait y avoir une autre crise financière pendant la durée de vie de la dette existante. Mais les marchés pensent-ils vraiment qu'il y a un risque nul d'une crise au cours de la décennie suivante? Les risques éventuels d'une guerre commerciale ou d'une crise fiscale (quand les déficits projetés d'un trillion de dollars sont atteints) sont réels, évidents et mesurés par des marchés boursiers instables.

«Les commentateurs voient toujours
des obstacles potentiels à surmonter.»

Une autre possibilité plus neutre est que les marchés n'évaluent pas les différents types de dette différemment parce qu'ils ne comprennent pas que le plan implique de frapper durement quelques créanciers et d'en garder d'autres à l'abri. Mais c'est également peu probable, parce que le plan a été bien diffusé au sein des cercles financiers et que certaines agences de notation comme Moody considèrent la dette d'absorption des pertes comme plus risquée que la dette ordinaire des banques.

La troisième explication est plus menaçante. Peut-être que les marchés financiers comprennent les plans, mais ne les trouvent pas (encore) croyables. La restructuration au jour le jour des méga-banques n'a été jamais essayée et les commentateurs voient toujours des obstacles potentiels à surmonter. Peut-être que des investisseurs bien informés supposent que, finalement, les banques et les pouvoirs publics ne traiteront pas les créanciers chargés d'absorber les pertes différemment des autres. Soit tout le monde va plonger, soit tout le monde sera renfloué.

Si c'est pour cette raison, c'est une déception, étant donné la somme de travail consacrée au développement des mécanismes de restructuration dirigés par les organismes de régulation et par les pouvoirs judiciaires.

Copyright: Project Syndicate, 2018.

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