La nouvelle décennie marque le grand come-back des gérants global macro qui ont marqué les années 1970 et 1980.
Avec le retour sur le devant de la scène de l’inflation, des matières premières, des taux élevés et de la volatilité, on pourrait bien revenir à l’époque qui a fait la gloire et la fortune de gérants flamboyants tels que Michael Steinhardt, George Soros, Julian Robertson, Paul Tudor Jones ou encore Louis Moore Bacon. Alors, va-t-on assister à Wall Street au retour des bretelles, des chemises à grosses rayures et des cheveux gominés de Gordon Gekko? S’il est encore trop tôt pour faire des pronostics sur l’évolution de la mode chez les traders, une chose est claire: les conditions de marché sont aujourd’hui réunies pour un grand come-back de la gestion global macro, ce style de hedge funds qui a fait les grands heures de la gestion active dans les années 1970 et 1980.
Le conflit en Ukraine ne montrant hélas aucun signe d’apaisement, l’incertitude géopolitique est actuellement à son comble. En parallèle, les économies occidentales se trouvent à un point d’inflexion majeur, avec une inflation depuis longtemps oubliée, une normalisation des politiques monétaires des banques centrales, une remise en cause massive de la globalisation et une volonté affirmée des États occidentaux d’améliorer leur indépendance énergétique. Il en résulte que les règles qui ont prévalu depuis plus de 10 ans sont totalement remises en question. De fait, si pendant plus d’une décennie les actions ont été la classe d’actifs favorisée et que la hausse régulière des marchés a laissé penser que la gestion indicielle des ETFs constituait l’arme absolue, tel n’est plus le cas désormais. Dans ce contexte, les stratégies global macro bénéficient de deux atouts essentiels: leur aptitude à traiter toutes les classes d’actifs et à tirer profit du retour de la volatilité dans les marchés. Car pour générer les performances stellaires qui ont fait leur réputation, ces gérants ont besoin de grands mouvements rapides et imprévus.
Ce qui fait leur force, c’est leur capacité à se remettre en question et à se réinventer sans cesse. Agnostiques sur la meilleure façon de gagner de l’argent pour leurs investisseurs, ils n’hésitent pas à changer de style et de tactique pour s’adapter à de nouvelles conditions. En purs traders instinctifs, ils peuvent prendre des paris directionnels sur des marchés difficiles comme les matières premières ou l’énergie, des domaines particulièrement complexes pour la plupart des acteurs, compte tenu des nombreux aspects techniques et de flux à prendre en compte. Cela leur permet d’apporter une vraie valeur ajoutée par rapport à d’autres gestionnaires qui restent enferrés dans leurs convictions. A titre d’exemple, on peut citer le légendaire Paul Tudor Jones, qui, plus de 40 ans après avoir fondé son fonds Tudor, reste capable de changer son fusil d’épaule pour répondre à un nouvel environnement, notamment en revenant, après les avoir délaissées pendant plusieurs années, sur des stratégies de type Trend Following, et qui ont peut-être connu leur meilleure performance trimestrielle de leur histoire. Que l’on appelle cela de l’intuition ou du talent, le résultat est là, comme le confirment les résultats de l’indice DJ CS HF Global Macro, qui affiche une performance de +16,2% pour l’année en cours (à fin mars), à comparer avec un (déjà respectable) +2,1% pour l’indice DJ CS HF général.
Il y a près de 40 ans que les taux d’intérêt sont orientés à la baisse. Au cours de leur carrière, les gérants obligataires actuels ont donc connu un contexte favorable, sans hausse prolongée des rendements. De fait, pendant des décennies, il leur a suffi d’acheter des emprunts à long terme pour s’assurer des gains en capital réguliers. Mais cette période de vaches grasses semble désormais révolue et la hausse rapide des taux a causé de gros dégâts dans les fonds obligataires et les caisses de pension. Ainsi, l’obligation de la Confédération suisse 4% échéance 2049 a perdu plus de 28% depuis mi-2019. Certains gérants obligataires ont donc dû dépoussiérer en urgence leur manuels académiques pour redécouvrir les notions de duration et de sensibilité. Sous la pression de leurs contraintes de gestion des actifs et des passifs (« Asset Liability Management »), les caisses de retraite commencent d’ailleurs à s’en rendre compte et à remplacer leurs investissements à revenu fixe habituels par des stratégies de type « Relative Value », qui continuent à délivrer mois après mois des performances positives, faisant fi de la volatilité des marchés et de la hausse de taux d’intérêt.
Ce contexte favorable permet à de nouveaux gérants de se faire un nom. Parmi ces nouveaux talents émergents, on peut citer David Rogers, gérant du fonds Castle Hook, qui est un peu le fils spirituel du légendaire Stan Druckenmiller. Son fonds est en hausse de plus de +38% cette année, après avoir engrangé des gains de +27% en 2021 et de +49% en 2020. Parmi les autres nouveaux gérants macro, qui ont la caractéristique commune est d’être assez «low profile», on peut retenir Al Breach, gérant de Gemsstock, qui est en hausse de +13,7% depuis le début de l’année (+10% en 2021 et +50% en 2020). De son côté, Andrew Law de Caxton a fait encore mieux avec +24% cette année (+8% en 2021 et +63% en 2020).
Comme on peut le constater, la relève est assurée et la gestion active ne manque pas d’arguments à faire valoir pour retrouver les faveurs des investisseurs. Et c’est sans doute ça le plus important: dans ces périodes d’instabilité et d’incertitude extrême, il est rassurant d’avoir un vrai pilote aux commandes, capable de gérer activement le niveau de risque et de réagir rapidement aux imprévus.