Le crédit à la loupe

Salima Barragan

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Les marchés crédit tiennent bon car le Bund allemand ne couvre pas l’inflation, estime Pierre Verlé de Carmignac.

L’index des obligations Investment Grade perd en qualité, mais les spreads de crédit diminuent également. En cause: la répression financière qui est passée par là. Les rendements du Bund allemand ne couvrent même pas l’inflation et les investisseurs n’ont pas d’autres alternatives de placements sans risques. Eclairage avec Pierre Verlé, responsable du crédit chez Carmignac.

La poche BBB compte pour la moitié de la dette IG alors qu’il y a 13 ans, elle n’en représentait qu’un cinquième. L’œil de l’expert observera que pour près d’un quart du la dette BBB les ratios de crédit correspondent à du BB. «On voit clairement les conséquences de la répression financière qui se traduit sur le marché par des taux sans risques négatifs en Europe et en Suisse», explique Pierre Verlé. Les investisseurs ont été forcés de quitter progressivement leur zone de confort. Tandis que les émetteurs AA ou A ont profité des taux bas pour augmenter leur niveau de dette via des rachats d’actions propres ou des activités du fusions-acquisitions, toutes financées par des nouvelles émissions d’obligations. D’où une migration des entreprises très bien notées vers le BBB. «Les agences de notation ont été particulièrement conciliantes avec le crédit IG, en leur accordant le bénéfice du doute sur les synergies et plans de réductions de coûts, ce qui résulte en un nombre important d’émetteurs notés IG avec des ratios de crédit HY. Parallèlement les politiques monétaires compriment les marges de crédit à des niveaux très bas», commente Pierre Verlé.

«La dispersion augmentera car il y a
des craintes d’accidents de crédit.»
CYCLE «LIQUIDITY DRIVEN»

Le spread de l’indice crossover (le marché HY européen), malgré un léger écartement dû la menace du coronavirus, est à une moyenne historiquement basse. Mais c’est connu, les moyennes cachent toujours des disparités. Or depuis quelques années, les fortes dispersions sont en augmentation à cause de l’aversion au risque idiosyncratique des investisseurs. «Dans un cycle normal classique «greed driven», les craintes de défaut et l’aversion au risque se traduisent par des sorties de capitaux du marché crédit ce qui conduit à un écartement des spreads», constate Pierre Verlé. Mais dans le cycle actuel, c’est moins la cupidité que la répression financière qui a forcé les investisseurs à abandonner les actifs sûrs pour s’accrocher à la dette d’entreprise. Le spécialiste n’a pas observé les sorties de flux qu’on aurait pu attendre dans un cycle normal et qui auraient poussé des spreads vers le haut. Cela crée des disparités grandissantes entre ce que le marché considère comme peu risqué et les situations auxquelles les investisseurs classiques ne veulent pas être exposés.

Ce marché hyper segmenté est idéal pour les bonds pickers. «La dispersion augmentera car il y a des craintes d’accidents de crédit. Le taux de défaut actuel de près de 2% sur le HY (plus important encore si on prend en compte les sociétés non-notées) n’est pas aussi bas qu’on l’imaginerait en voyant les niveaux de marchés», explique-t-il. Les vagues de défaut de crédit d’entreprises surendettées s’accroîtront, «mais au lieu de sorties de capitaux, nous avons une bifurcation avec davantage de dispersion et dans les prochaines années le marché du crédit nécessitera une bonne compréhension des fondamentaux», poursuit-il. Cela contraste avec l’année précédente, où gagner de l’argent sur le marché de crédit était facile comme l’ont prouvé les bonnes performances des indices.

RISQUE DE FALLEN ANGEL

Certaines entreprises du segment IG ont profité des taux d’intérêt au plancher pour émettre de la dette. «Beaucoup d’émetteurs AA ont choisi de s’endetter davantage pour réduire leur coût du capital en rachetant leurs propres actions. Le coût total pondéré du capital diminue, mais l’effet de levier augmente», explique Pierre Verlé. Ces sociétés, dont la signature se dégrade, deviendront plus vulnérables lors d’une hausse des taux ou d’un évènement exogène. «On a vu des émetteurs importants passer en obligations spéculatives lorsqu’ils ont été confrontés à de mauvaises nouvelles spécifiques. Dans un retournement de cycle de crédit, on peut s’attendre à ce qu’un cinquième des entreprises les moins bien notées du marché IG deviennent des anges déchus», conclut-il.

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