Le Big Data révolutionne les prix dans la gestion d'actifs

André Bantli, BlackRock

3 minutes de lecture

Le marché est désormais mûr pour que les résultats de l’analyse des données se traduisent en produits concrets.

La demande en provenance de la clientèle privée s’articule autour de trois grandes tendances: premièrement, de nombreux investisseurs ne veulent plus compter dorénavant uniquement sur le bêta – c’est-à-dire le simple rendement du marché. Ils envisagent de plus en plus souvent des sources de rendement complémentaires. La bonne tenue des marchés boursiers depuis de nombreuses années est à l’origine de cette tendance. Deuxièmement, la demande des clients tend à vouloir s’affranchir de solutions d’investissement soit purement actives ou indicielles. Les investisseurs cherchent désormais des moyens de combler l’écart entre ces deux types de produits afin de profiter de nouvelles opportunités de rendement. Enfin, les coûts d’un produit et la clarté de son concept sont davantage mis en évidence. Cela s’explique en partie par le fait que le cadre législatif est en train de changer, notamment en raison du FIDLEG et d’autres initiatives du même type.

Ces récentes évolutions de la demande poussent le domaine de la gestion d’actifs à se remettre en question et à se renouveler. De fait, la pression croissante sur les marges et la transparence des coûts incitent les gestionnaires d’actifs à réduire les frais de la gestion active. Nous ne sommes qu’au début de ce processus, et les investisseurs se tournent d’ores et déjà vers des solutions indicielles moins chères. Les fournisseurs se rendent progressivement compte que la structure des prix doit changer.

Les récents progrès technologiques ont permis de mettre en œuvre des stratégies de portefeuille de manière beaucoup plus efficace. Notamment grâce à l’utilisation par les gestionnaires d’actifs de technologies de pointe comme l’intelligence artificielle et le «machine learning». Les outils informatiques apprennent à reconnaître les modèles et les lois dans les datas, ils en tirent des conclusions et sont ensuite capables d’évaluer de nouvelles informations. L’analyse de la quantité croissante de données accessibles au public (souvent non structurées), également connues sous le nom de «Big Data», peut faire apparaître, par exemple, des indicateurs de l’évolution future des actions, des marchés et de l’économie. Les gestionnaires de portefeuilles examinent ensuite ces propositions et décident lesquelles appliquer. A noter que les informations utilisées sont anonymisées afin d’assurer la protection des données.

L’analyse du Big Data permet d’être mieux informé et cela permet
une prise de décision plus rapide pour saisir les meilleures opportunités.

Au vu des résultats à ce jour, trois domaines du Big Data sont particulièrement intéressants. Tout d’abord, les historiques de requêtes sur les moteurs de recherche Internet comme Google, plus particulièrement, la fréquence d’apparition de certains mots-clés qui fournit des informations sur les comportements. Par exemple, des recherches plus fréquentes pour des vacances ou de nouvelles voitures peuvent indiquer une plus grande propension d’une population donnée à consommer en raison d’une amélioration du marché de l’emploi ou d’une hausse des salaires, ce qui, de fait, pourrait indiquer une reprise économique. 

Le deuxième domaine comprend les médias sociaux, y compris les forums de discussions pour des groupes d’intérêt spécifique. Les communautés sur internet dans lesquelles, par exemple, les employés échangent des informations sur leur entreprise et les évaluent – une tendance beaucoup plus répandues aux Etats-Unis qu’en Suisse. Si cela reflète une humeur de base positive, cela pourrait signifier que la structure de l’entreprise est saine. Si, par contre, les employés expriment de plus en plus de mécontentement, c’est évidemment plutôt un indice négatif. 

Troisièmement, la rédaction des rapports des conseils d’administration des entreprises sont souvent beaucoup plus informative que les conférences téléphoniques qui accompagnent habituellement la sortie de ces rapports. La fréquence avec laquelle des termes plutôt optimistes ou plutôt pessimistes sont utilisés donne souvent un meilleur aperçu de l’état d’esprit du conseil d’administration et des chiffres communiqués délibérément par l’entreprise. Des termes tels que «difficile» ou «ambitieux» sont plutôt négatifs, alors que «amélioration», «force» ou «croissance record» sont positifs.

L’analyse du Big Data permet d’être mieux informé et cela permet une prise de décision plus rapide pour saisir les meilleures opportunités. L’analyse appropriée des données souvent non-structurées en amont est aspect clé dans ce processus. Cela exige la participation non seulement des gestionnaires de portefeuille, des analystes et des autres professionnels des marchés financiers, mais également d’autres experts en informatique ou en physique et en ingénierie pour exploiter aussi bien la puissance de l’homme que celle de la machine.

On peut voir émerger des fonds actions gérés
par le «machine learning» et l’analyse du Big Data.

Par rapport aux indicateurs économiques traditionnels tels que les indices d’achat ou du climat des affaires, l’analyse du Big Data offre deux avantages principaux. Premièrement, le contexte fourni par le Big Data est plus actuel qu’avec les indicateurs économiques traditionnels. Par exemple, une multinationale spécialiste de la restauration rapide, avec plus de 14'000 points de vente aux Etats-Unis, a décidé de repenser l’emplacement de ses magasins et de revoir son menu. Pendant cette réorganisation, les modèles des experts ont observé les progrès de ces mesures. Les signaux relatifs au flux de clients dans les restaurants ont commencé à refléter une forte hausse de l’activité de consommation. Dans le même temps, les modèles macroéconomiques des experts ont identifié que l’entreprise était implantée dans des régions des Etats-Unis dont l’économie était en effervescence. Parallèlement, les algorithmes qui traquent l’appréciation des analystes «sell-side» ont commencé à repérer le début d’une tendance plus positive. Par conséquent, l’équipe d’experts a initié une position sur l’action de cette entreprise. Quelques mois plus tard, cette dernière publiait des résultats trimestriels surpassant les attentes, ce qui a dopé le cours de son action. Le modèle a permis un positionnement précoce grâce aux signaux repérés et à l’alliance de l’expertise en matière d’investissement et de la technologie.

Deuxièmement, la vision fournie par l’analyse du Big Data est plus large: les indices d’achat et autres indicateurs de comportement sont basés sur des enquêtes menées auprès de quelques centaines ou quelques milliers d’experts. En revanche, les recherches sur Google et les médias sociaux reflètent souvent ce que des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes pensent, comment elles agissent ou ce qu’elles ont l’intention de faire. Cette perspective plus complète apporte une représentation particulièrement forte et significative. La condition préalable est que les données soient préparées et analysées en conséquence.

Le marché est désormais mûr pour que ces résultats se traduisent en produits concrets qui viendraient compléter des produits axés sur l’alpha comme éléments de base pour les portefeuilles. Ainsi on peut voir émerger des fonds actions gérés par le «machine learning» et l’analyse du Big Data qui offrent des expositions aux principaux marchés boursiers et sont conçus comme des composantes de base des portefeuilles.

Par ailleurs, dans le cadre de ce nouveau modèle, les produits indiciels investissent systématiquement dans des actions individuelles afin de dépasser leurs indices de référence respectifs. En même temps, ils sont conçus pour préserver les caractéristiques clés du marché sous-jacent – par exemple, en ce qui concerne les paramètres de risque ou la répartition par pays. L’objectif est d’obtenir un rendement supplémentaire (alpha) d’environ un à deux pourcent par an avec un tracking error inférieur à deux, et à un prix extrêmement compétitif de 0,3 à maximum 0,6 pourcent, selon le fond. A cet égard, il ne s’agit pas seulement d’une révolution de produits, mais aussi d’une révolution de prix. Nous sommes convaincus que c’est dans cette direction que le domaine de la gestion d’actifs doit se développer.