La technologie secouera la création de valeur dans la gestion d’actifs

Yves Hulmann

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Pour Philipp Hildebrand de BlackRock, les gérants font face au double défi de la taille critique suffisante et de l’offensive des géants de la tech.

©Keystone

L’essor de la gestion passive et l’évolution de la technologie ont été les moteurs de la croissance de la gestion d’actifs ces dernières années. Et les clients ont été les grands bénéficiaires de cette évolution, a rappelé Philipp Hildebrand, vice-président de BlackRock, qui s’exprimait jeudi dans le cadre des Journées de la prévoyance qui se tiennent jusqu’à vendredi à Montreux.

Les nouveaux outils des géants de la tech
deviendront aussi incontournables pour rester compétitifs.

Dans ce contexte, l’ex-président de la BNS ne manque pas de souligner le double défi qui se pose aux gérants d’actifs européens: d’une part, parvenir à atteindre une taille critique suffisante dans un environnement où la gestion passive joue un rôle croissant en matière d’allocation d’actifs. D’autre part, être à la hauteur sur le plan technologique pour ne pas se faire dépasser par les géants de la «tech» issus de la Silicon Valley, dont les nouveaux outils – notamment ceux issus des développements de l’intelligence artificielle et du traitement des données massives («big data») – deviendront aussi incontournables pour rester compétitifs.

L’IA bientôt aux manettes?

Pour Philipp Hildebrand, pas de doute, l’arrivée de l’intelligence artificielle (IA) et du traitement des données en masse («big data») va bouleverser la création de valeur au sein de la gestion d’actifs. «Les gens dont le travail était de lire les rapports d’activités seront remplacés par les programmes issus de l’intelligence artificielle», anticipe-t-il. Avec des outils tels que le «text mining», le travail d’analyse de rapports est déjà réalisé en partie par l’intelligence artificielle, illustre-t-il. BlackRock dispose du reste de son propre laboratoire à Palo Alto en Californie qui travaille sur de telles techniques.

Les gérants d’actifs vont-ils devenir à leur tour des entreprises technologiques ou est-ce la «big tech» qui va faire main basse sur la gestion d’actifs? Philipp Hildebrand relativise. Pour lui, la gestion d’actifs va forcément devenir une activité toujours plus technologique, faute de quoi les GAFA finiront par prendre le dessus. Toutefois, l’aspect réglementaire pourrait freiner les ambitions des acteurs de la tech dans ce domaine: «La finance est certainement l’un des domaines d’activité qui est soumis à la plus grande quantité de réglementations. Les acteurs de la tech le savent – et ils hésitent encore à s’approcher de trop près de ce secteur d’activité», observe-t-il. Pour autant, la technologie n’évolue elle-même plus dans un vide réglementaire, ce qui pourrait aussi, à terme, modifier la donne pour les acteurs de la tech.

Le but n’est pas de remplacer l’humain par des robots
mais de les faire travailler ensemble.

L’IA et le Big Data finiront-elles par remplacer le gérant lors des décisions d’investissement? Philipp Hildebrand se montre plutôt sceptique sur ce plan. Et de rapporter les propos de Larry Fink, le directeur et fondateur de BlackRock, qui a affirmé que le but n’est pas de remplacer l’humain par des robots mais de les faire travailler ensemble. D’autant plus que la question de la responsabilité restera entière – peu importe que le gérant soit une personne en chaîne et en os ou un algorithme, rappelle-t-il. «Avec les multiples outils technologiques qui seront proposés, il faudra faire des choix. La responsabilité des organes de surveillances, ou celle des chefs des investissement, ne va pas baisser mais augmenter», anticipe même Philipp Hildebrand.

ESG et gestion passive ne sont pas incompatibles

Autre grand sujet du moment abordé par l’ex-président de la BNS: la prise en compte des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans les processus d’investissement par les gérants institutionnels. A cet égard, le vice-président de BlackRock, qui est le plus grand gestionnaire passif au monde avec quelque 6’500 milliards de dollars d’actifs sous gestion, est convaincu que la croissance rapide de l’offre de produits passifs comme les ETF intégrant les critères ESG participera à l’essor des placements durables.

La finance durable est précisément un domaine où l’Europe
peut avoir une carte à jouer face aux Etats-Unis.

En outre, estime-t-il, la finance durable est précisément un domaine où l’Europe peut avoir une carte à jouer face aux Etats-Unis moins avancés sur ces questions. «Cela peut être une opportunité pour les gérants d’actifs européens, car il y a clairement une demande pour des produits ESG, venant de partout dans le monde», observe-t-il. Les Américains ne sont du reste pas indifférents aux questions climatiques: il cite l’exemple de Disney World, où les températures sont souvent insupportables, ou encore les ouragans qui frappent des régions en pleine croissance actuellement aux Etats-Unis.

Les taux négatifs ne peuvent pas être considérés isolément 

La présentation de l’ex-président de la BNS devant un parterre de gérants de caisses de pension n’aurait pas pu s’achever sans qu’on l’interroge à propos des taux négatifs. A ce sujet, Philipp Hildebrand estime qu’il faut replacer les taux négatifs dans un contexte plus large, non pas de manière isolée. Si l’on aborde la question d’ajuster les taux négatifs dans un sens ou un autre, il faut aussi réfléchir à ce que cela aurait comme impact sur la taille du bilan de la BNS et des taux de change entre le franc et les autres monnaies. «Il est nécessaire de faire une analyse tenant compte de ces équilibres multiples», estime-t-il. Les caisses de pension devraient-elles bénéficier de certaines exemptions? Avançant prudemment sur ce terrain, Philipp Hildebrand estime que le fait d’accorder un «régime spécial» à telle ou telle catégorie d’investisseur est un exercice «très délicat».

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