La stabilité financière contraint la Fed

Yves Bonzon, Julius Baer

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Un positionnement prudent est justifié alors que le cycle de resserrement approche de son terme.

©Keystone

Si l’on regarde la situation dans son ensemble, il convient de rappeler que l’économie mondiale a été frappée par quatre chocs d’offre massifs au cours de cette décennie:

  1. des perturbations de la chaîne d’approvisionnement liées à la pandémie, qui ont faussé les schémas de l’offre et de la demande au niveau mondial;
  2. un choc durable sur le marché du travail, c’est-à-dire une réduction permanente de la main-d’oeuvre liée au vieillissement de la population et au départ massif à la retraite de la génération des baby-boomers;
  3. l’invasion de l’Ukraine par la Russie, emblématique d’un regain de tensions géopolitiques dans le contexte d’un monde multipolaire, renforçant les ambitions de relocalisation des industries stratégiques pour garantir la sécurité de l’approvisionnement;
  4. les efforts orchestrés au niveau mondial pour décarboniser l’économie, qui s’avéreront inflationnistes à court terme mais désinflationnistes à long terme.

Alors que les perturbations de la chaîne d’approvisionnement se sont avérées temporaires et sont désormais entièrement résolues, les trois derniers chocs sont de nature permanente. Confrontées à un niveau d’offre structurellement plus faible associé à une volatilité accrue, les principales banques centrales occidentales n’auront d’autre choix que d’accepter une inflation structurellement plus élevée, atteignant en moyenne 3% au lieu des 2% prévus. En outre, alors que les banques centrales occidentales devaient auparavant trouver un équilibre entre l’inflation et l’activité économique, elles sont désormais confrontées à un trilemme, la stabilité financière agissant de plus en plus comme une contrainte sur l’action politique au fur et à mesure que le cycle de resserrement se maintient. Ni la Fed ni la Banque centrale européenne ne peuvent se permettre un effondrement du crédit dans le contexte actuel de fort endettement.

Etant donné la valeur exponentielle des actifs financiers par rapport au PIB mondial, les variations des prix des actifs ont toujours un impact disproportionné sur l’économie réelle.

De manière plus générale, nous sommes de plus en plus convaincus que bon nombre des tendances qui nous ont amenés à déclarer l’avènement d’une nouvelle ère de capitalisme d’Etat au début de l’année 2020 sont toujours d’actualité. Surtout, nous continuons de penser que c’est la queue qui remue le chien, c’est-à-dire qu’étant donné la valeur exponentielle des actifs financiers par rapport au produit intérieur brut mondial, les variations des prix des actifs ont toujours un impact disproportionné sur l’économie réelle. De graves perturbations du système financier modifieraient invariablement et fondamentalement les fonctions de réaction des politiques. Pour l’instant, les banquiers centraux seraient bien avisés de prendre du recul afin de minimiser le risque d’avoir à mener à nouveau la bataille contre la déflation de la dernière décennie en cas de nouvelles faillites bancaires.

Dans cette optique, nous sommes en train d’ajuster nos portefeuilles pour refléter une position plus prudente à l’aube du deuxième trimestre de cette année. En ce qui concerne les titres à revenu fixe, nous grimpons l’échelle de qualité en vendant notre exposition aux titres à haut rendement – due principalement à la période prolongée de répression financière jusqu’à la fin de 2021 et à la recherche désespérée de rendement qui l’a caractérisée – et en réduisant notre exposition à notre panier diversifié de stratégies obligataires sans contraintes. Le coût du capital s’étant réinitialisé dans le système, des rendements attrayants sont désormais disponibles sans prendre autant de risque de crédit. A cette fin, les produits sont réaffectés à des obligations d’entreprises de bonne qualité et à des bons du Trésor américain.

En ce qui concerne les actions, nous supprimons notre allocation stratégique aux sociétés d’investissement immobilier cotées aux Etats-Unis et en Europe, car elles sont structurellement orientées vers des segments moins attrayants des marchés immobiliers sous-jacents. Nous remplaçons ces positions par des allocations aux actions nationales dans les profils monétaires respectifs. En outre, nous avons vendu une position en fonds spéculatif, réduisant ainsi notre exposition globale aux investissements alternatifs. Nous continuons d’utiliser la stratégie de l’haltère, mélangeant des valeurs de croissance séculaires avec des valeurs défensives de qualité, ce qui a aidé notre performance relative dernièrement, car le marché a également réalisé que tout ce qui a des bilans faibles et donc un service de la dette tendu sera soumis à une pression croissante à mesure que les taux d’intérêt resteront à leurs niveaux actuels.

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