Les progrès de la révolution numérique en Amérique latine

Anthony Corrigan, Vontobel Asset Management

3 minutes de lecture

L’Amérique latine a pris un retard considérable par rapport à la plupart des régions du monde en matière d’accès aux services bancaires et financiers.

Les chiffres de la Banque mondiale indiquent que 120 millions de personnes de cette région (26% de la population âgée de 15 ans et plus) ne disposent d’aucun accès bancaire, de sorte qu’elles ne possèdent pas de compte auprès d’un établissement financier ou d’un prestataire de services financiers mobiles. Si l’on ajoute à cela le pourcentage de la population ne disposant que d’un accès bancaire trop restreint, il n’est pas surprenant qu’un nombre important de transactions continuent d’être effectuées en espèces. Un article de Forbes1 publié en 2022 estimait à cet égard que cela représentait jusqu’à 58% des achats dans les points de vente.

Une analyse plus détaillée des chiffres révèle toutefois qu’un large éventail de disparités existe entre les différents pays de la région. Comptant près de 128 millions d’habitants, le Mexique est ainsi à la traîne en matière d’accès aux services bancaires (même si nous reconnaissons que les données ne sont plus de toute première fraîcheur pour le Mexique et que l’écart avec les autres pays d’Amérique latine s’est peut-être quelque peu comblé). Si le problème ne se pose pas sous une forme aussi aiguë au Brésil, qui constitue le plus grand pays de la région avec une population de 215 millions d’habitants, une marge de progression importante existe encore par rapport aux grandes économies développées que sont les États-Unis, la France ou l’Allemagne.

Problème et opportunité

Ce type de situation pose de graves problèmes d’ordre socio-économique et constitue un obstacle majeur pour la réalisation des objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies, lesquels visent notamment à garantir à tous l’égalité des droits aux ressources économiques, y compris aux services financiers (objectif 1: «Pas de pauvreté»). Les problèmes liés à l’accès insuffisant d’une grande partie de la population aux services financiers sont effectivement multiples et étendus: des millions de personnes ne disposent ainsi d’aucun accès au crédit à la consommation (cartes de crédit, prêts personnels), ne disposent d’aucune épargne ou n’ont effectué aucuns investissements à l’approche de la retraite, ne peuvent pas accéder à des biens et à des services en ligne, ne peuvent pas sécuriser leurs transactions ou conduisent sans assurance automobile ou avec une assurance automobile inadéquate. Dans le même temps, le recouvrement des impôts se trouve particulièrement impacté.

S’il semble évident que la solution à ce problème réside dans les banques de la région, nous constatons néanmoins que, dans des pays comme le Brésil, les banques ont traditionnellement fait le choix de se concentrer sur les couches les plus aisées de la société. 

S’il semble évident que la solution à ce problème réside dans les banques de la région, nous constatons néanmoins que, dans des pays comme le Brésil, les banques ont traditionnellement fait le choix de se concentrer sur les couches les plus aisées de la société. Dans le même temps, la croissance du secteur de la fintech observée en Amérique latine pourrait bien servir de catalyseur majeur pour combler le fossé qui existe entre la région et le reste du monde. Si la baisse de la part de la population ne disposant d’aucun accès bancaire (consommateurs, prêteurs et commerçants locaux) devrait faire de nombreux gagnants, nous estimons toutefois qu’un groupe particulier de sociétés pourrait tirer un bénéfice substantiel de cette tendance.

L’essor du e-commerce

Compte tenu du volume encore important de transactions effectuées en espèces, il n’est pas surprenant que le taux de pénétration du e-commerce enregistré en Amérique latine soit inférieur à celui qui prévaut dans le reste du monde. Selon les estimations du Goldman Sachs eCommerce Handbook, le taux de pénétration du commerce en ligne dans la région était d’environ 19% en 2022, soit une valeur inférieure à la moyenne mondiale (hors Chine) d’environ 25%.

Au début de l’année 2020, la pandémie a toutefois contraint de nombreuses personnes de la région à passer en ligne. Un article de Latin America Reports estime à cet égard que, en Amérique latine, 13 millions de personnes ont effectué leur toute première transaction en ligne au début de la pandémie. Ce changement de mentalité observé chez de nombreux habitants de la région devrait désormais permettre à la pénétration du e-commerce d’enregistrer une solide croissance annuelle en Amérique latine.

Le gagnant raflera-t-il tout?

Pas exactement, mais force est de constater que le marché latino-américain du e-commerce est assez concentré, avec trois des principaux acteurs qui détenaient à eux seuls une part de marché estimée à 42% en 2022. Au Brésil, qui se taille la part du lion sur le marché du commerce électronique de la région (près de 41%, selon l’étude de Goldman Sachs ), la domination qu’exercent ces leaders du marché est encore plus significative, puisque leur part de marché est estimée à 59%. Pour la concurrence, il ne sera pas facile de parvenir à ce niveau d’hégémonie et les entreprises qui souhaiteraient damer le pion aux opérateurs historiques devront investir des sommes considérables pour tenter de prendre pied sur le marché.

Ces sociétés occupent toutefois une position unique pour offrir des facilités de crédit à court terme à leurs clients et faire ainsi sortir davantage de personnes de la catégorie des personnes ne disposant d’aucun accès bancaire, car, contrairement aux banques, elles ne se concentrent pas sur les composantes les plus aisées de la société. Les importantes parts de marché qu’elles contrôlent et l’accès unique dont elles disposent aux données des clients leur permettent en outre de procéder de manière judicieuse lorsqu’il s’agit de placer des facilités de crédit, ce qui revêt naturellement une importance de tout premier ordre sur le plan du rendement. En augmentant le volume des facilités de crédit qu’elles accordent, elles intègrent également davantage les clients dans leurs écosystèmes, ce qui est tout à fait essentiel pour fidéliser cette nouvelle clientèle et peut, par là même, leur permettre de poursuivre leur croissance tout en accroissant leur rentabilité opérationnelle.

En Amérique latine, outre le e-commerce, d’autres secteurs peuvent également tirer profit de la réduction du nombre de personnes ne disposant d’aucun accès bancaire en proposant d’importants services financiers ainsi que des produits de protection. Prenons, par exemple, le cas des compagnies d’assurance. Si la totalité de la population brésilienne est, certes, couverte par le système de santé public, les statistiques font toutefois apparaître le fait que moins d’un quart des Brésiliens ont accès à des services de soins de santé privés, dont les installations sont généralement plus sophistiquées et qui, bien sûr, présentent des temps d’attente plus courts, ce qui peut revêtir un caractère vital lorsque l’on est confronté à des affections mortelles telles que le cancer. La plupart des grandes compagnies d’assurance de la région proposent souvent une vaste gamme de produits de protection (tels que des produits d’épargne, d’assurance-vie et d’assurance automobile) et proposent aussi des crédits à la consommation ainsi que des prêts pour étudier. Ces entreprises peuvent bénéficier d’une croissance d’autant plus solide que les consommateurs sont de plus en plus nombreux à sortir de la catégorie des personnes ne disposant d’aucun accès bancaire et qu’ils sont plus disposés à explorer les différents types de produits financiers et de protection qui leur sont proposés, ainsi que les diverses options qui leur sont offertes pour acheter ces produits.

A lire aussi...