
Tous très durs envers nous?
Donald Trump a préféré brandir une pancarte de petit format, sans doute afin de mieux résister au fort vent de ce jour-là, pour dévoiler de gros chiffres qui ont déclenché une tempête. Ces chiffres, ce sont les tarifs imposés aux partenaires commerciaux des Etats-Unis, dépeint avec sévérité par le président en ce 2 avril. L’Union européenne, menacée d’un tarif de 20 pour cent «peut sembler gentille en apparence mais elle nous arnaque si souvent, c’est triste et pathétique» a-t-il alors déclaré.
Levier de négociation face à l’ascension du dollar
Les accords de Bretton Woods de 1944, qui ont formalisé le rôle du dollar américain comme devise de réserve internationale, offrent une clé de lecture sur le séisme actuel. La demande structurelle pour le billet vert aurait conduit à son appréciation et a des asymétries dans les échanges commerciaux, pénalisant la compétitivité américaine. Selon Donald Trump, la perte de capacité industrielle aurait même affaibli la défense américaine. Tout cela justifie un état d’urgence, avec comme remède le déploiement de tarifs réciproques afin de rééquilibrer les échanges globaux.
Aspect microéconomique
En tant que petite économie ouverte, la Suisse et ses entreprises ne sont pas épargnées par de telles sanctions. Non exhaustif à bien des égards, notre cadre d’analyse permet d’estimer leur impact. Notre univers de 44 sociétés suisses couvre 75% de l’indice Swiss Performance Index (SPI) et montre une exposition moyenne aux tarifs entre 5 et 6%, qui repose sur une part des ventes aux US de 25%, dont la part importée s’élève à 20%1. La capacité des entreprises à absorber ce choc est déterminante. Toutes choses étant égales par ailleurs et face à un tarif de 31%, 11% des firmes devraient augmenter leur prix entre 5 et 10%, 23% devraient l’augmenter entre 1 et 5%, tandis que 66% ne seraient pas ou peu impacté, avec une hausse de prix nécessaire inférieure à 1%. Plusieurs raisons expliquent cette faible exposition. Certains acteurs servent un marché purement domestique à l’image de Galenica alors que d’autres sont faiblement exposés aux US comme Geberit. Nestlé ou Lindt & Sprüngli produisent là où ils vendent, les habitudes alimentaires favorisant une production locale, tandis que Sika et Holcim, acteurs de la construction, produisent localement pour satisfaire aux exigences locales. A l’inverse, une minorité d’acteurs importent l’entièreté ou une grande partie de leurs ventes américaines. Ils produisent des composants médicaux, industriels ou informatiques assemblées d’une part en Suisse, pour ceux à haute valeur ajoutée, et d’autre part dans des pays à faibles coûts pour les composants aux fonctionnalités basiques ou le volume prédomine.
Le pouvoir du prix
Le pouvoir sur les prix offre un levier puissant permettant d’absorber tout ou partie des tarifs. Une augmentation de prix de 1% permet à une société dotée d’une marge de 15% et d’une base de coût égale à 85% de ses ventes, d’accroître son profit opérationnel de 7%. On décèle le pouvoir sur le prix au travers d’attributs plus ou moins tangibles. La capacité de Sika à inventer des formulations qui améliorent les propriétés du béton peut justifier un incrément de prix. La position dominante de VAT, fabricant de vannes à vide qui possède près de 75% de parts de marché dans son segment semiconducteurs, favorise la prise de prix. Geberit délivre ses produits sanitaires via des distributeurs, ce qui réduit le pouvoir de négociation de l’acheteur. Non suisse, mais illustratif, le modèle d’affaire du constructeur italien Ferrari exploite l’effet de rareté associé à une faible élasticité-prix, ce qui lui a permis d’annoncer une hausse de prix jusqu’à 10% sur ses modèles américains afin de contrer les tarifs de 25% sur les automobiles importés depuis l’UE.
Favorisée par le pouvoir du prix, une forte marge fournit un second niveau d’absorption. L’exemple d’un groupe suisse qui écoule 19 % de ses ventes aux Etats-Unis, toutes importées de Suisse et dont la marge brute s’élève à 80 %, peut absorber au niveau du profit brut la quasi-totalité d’un tarif de 31%. Outre les facteurs mentionnés, de nombreuses sociétés suisses disposent d’une chaîne de production flexible à l’image de Sulzer, qui pourrait rapatrier une partie de la production de ses pompes depuis le Mexique vers les US.
Résilience en période d’incertitude
Personne ne peut prédire avec exactitude l’impact d’une reconfiguration de l’ordre du commerce mondial. Néanmoins, tenter d’identifier les modèles d’affaires résilients capables de protéger leurs marges et la génération de cash reste sous notre contrôle.
1 Sociétés membres du SPI dont la capitalisation boursière ajustée du flottant est supérieure à CHF 2 milliards et qui ne font pas partie des secteurs financier, communication, immobilier et infrastructure. Hypothèse d’aucun tarif sur le secteur pharmaceutique.