La Bourse, un allié pour Aston Martin?

Econopolis

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Avec son entrée en Bourse, Aston Martin suit l’exemple de Ferrari, mais on peut cependant se demander si la comparaison est totalement justifiée.

Depuis 1964, Aston Martin est le fournisseur favori des voitures de James Bond. Il est naturellement difficile d’imaginer meilleure publicité pour une marque de voitures de luxe. Pourtant, pendant de nombreuses années, cela ne s’est pas traduit dans les ventes. Ainsi l’entreprise a-t-elle fait faillite à sept reprises au cours de sa longue histoire. Mais après six années consécutives de pertes, la tendance s’est totalement inversée en 2017. Les six premiers mois de 2018 paraissant tout aussi excellents, c’est avec une grande sérénité que Aston Martin fera son entrée sur les tables de cotation. Après celle de Volvo (entre-temps différée), passons au crible l’introduction en Bourse du constructeur automobile britannique.

Si les ventes de voitures ralentissent ou, pire, stagnent dans le «segment médian», le marché de niche des voitures de luxe à 200’000 euros ou plus est en plein boom. Les analystes pronostiquent même une croissance annuelle de plus de 10% pour les cinq prochaines années. Cette croissance se concentre surtout en Asie et en Russie. Le nombre de millionnaires y explose et pour ces nouveaux riches, une voiture de luxe est un must-have.

En 2017, Aston Martin a enregistré une croissance de chiffre d’affaires
de quelque 40,6%, alors que Ferrari a dû se contenter de 10%.

Après six exercices consécutifs clôturés dans le rouge – dont une perte avant impôts de plus de 180 millions de livres en 2016 –, Aston Martin (de son nom complet Aston Martin Lagonda) a enregistré un bénéfice d’environ 87 millions de livres en 2017. L’entreprise a fièrement étalé son bénéfice et son chiffre d’affaires records dans les médias. Les ventes ont encore progressé de 8% et le bénéfice opérationnel brut de 14% au cours du premier semestre 2018. Aston Martin réalise environ un quart de son chiffre d’affaires au Royaume-Uni. L’EMEA (Europe, Moyen-Orient et Afrique), APAC (Asie du Sud-Est) et les Amériques prennent également à leur compte environ un quart du chiffre d’affaires chacun.

Avalanche de bonnes nouvelles

Chez Aston Martin, les excellentes nouvelles se multiplient ces derniers temps. Après avoir sorti une édition limitée d’une réplique (à personnaliser soi-même) de la voiture utilisée par James Bond dans Goldfinger, l’entreprise a annoncé que la Rapide Eélectrique se trouvait dans sa dernière phase de développement et serait lancée l’an prochain. Elle embarquerait une batterie à rechargement extrêmement rapide et atteindrait une autonomie de 320 km. Mais seuls 155 exemplaires en seront vendus dans le monde. Aston Martin considère le modèle surtout comme un «laboratoire de recherche» pour les futurs modèles électriques qu’elle vendra sous la marque Lagonda (relancée pour l’occasion).

En 2017, Aston Martin a enregistré une croissance de chiffre d’affaires de quelque 40,6%, alors que Ferrari a dû se contenter de 10%. Chez Rolls-Royce, le chiffre d’affaires a baissé de 5,8%, en partie en raison du fait que la nouvelle Phantom n’a pas encore été lancée. Le nombre d’Aston Martin vendues en 2017 a également progressé de 38,3% par rapport à l’année précédente. Pour les années à venir, les analystes tablent sur une croissance à deux chiffres du chiffre d’affaires, avec une accélération en 2020 à la suite du lancement d’un SUV.

Ferrari

Pour leur entrée en Bourse, les Britanniques ont puisé leur inspiration chez leurs collègues-concurrents italiens de Ferrari. Ferrari a fait son entrée en Bourse il y a deux ans et l’action a presque triplé de valeur depuis. Le cheval cabré vaut désormais 21,4 milliards d’euros.

Pour les investisseurs, Ferrari et Aston Martin sont moins des constructeurs automobiles que des producteurs de biens de luxe. Pour accoler une valeur à Aston Martin, ils ne vont donc uniquement comparer l’entreprise à des constructeurs automobiles comme Ferrari, BMW et Daimler, mais aussi à des fabricants de produits de luxe totalement différents, comme Hermès, LVMH, Richemont et Prada. Cela n’a rien d’étonnant, car les marques de luxe peuvent vendre leurs produits au prix fort grâce à leur pouvoir de tarification élevée(et enregistrer des marges bénéficiaires à l’avenant). Quand on veut vendre à des prix élevés, la meilleure tactique consiste naturellement à s’arranger pour que la demande dépasse l’offre. Aston Martin a donc créé une liste d’attente pour les acheteurs intéressés.

Pour sa croissance à venir, l’entreprise compte non seulement sur la demande des nouveaux riches dans les pays émergents, mais aussi sur le lancement de voitures de luxe électriques et d’un tout premier SUV. De la croissance sans porter préjudice à l’exclusivité : telle semble être la devise d’Aston Martin. À moyen terme, l’entreprise vise un doublement de sa production annuelle, de 7’000 à 14’000 véhicules.

La valeur résiduelle d’une Ferrari
est nettement plus élevée que celle d’une Aston Martin.

Aston Martin investit lourdement dans sa «communauté». Le constructeur propose par exemple des essais exclusifs de nouveaux modèles aux endroits les plus exotiques, des formules VIP lors des Grands-Prix de Formule 1 et des événements lifestyle. Des opérations de rebranding d’un yacht, d’appartements et même d’un sous-marin soutiennent également l’image exclusive de la marque.

Avec son entrée en Bourse, Aston Martin suit l’exemple de Ferrari, mais on peut cependant se demander si la comparaison est totalement justifiée. Ainsi les marges bénéficiaires d’Aston Martin sont-elles quelque peu biaisées par le fait que l’entreprise inscrit la majeure partie de ses frais de développement à l’actif de son bilan, alors que Ferrari en enregistre une partie immédiatement au compte de résultats. En outre, Aston Martin a davantage besoin d’investir que Ferrari. Les Italiens conservent d’importantes capacités de réserves dans leurs usines, alors que les Britanniques doivent encore financer une nouvelle unité de production au pays de Galles. Les deux constructeurs de voitures de luxe se distinguent également en termes de valeur résiduelle et de liste d’attente. La valeur résiduelle d’une Ferrari est nettement plus élevée que celle d’une Aston Martin. Et les listes d’attente sont beaucoup plus longues chez Ferrari que chez son concurrent anglais.

Ferrari organisait d’ailleurs sa journée des investisseurs le 18 septembre et son directeur financier Antonio Picca Piccon a pu revenir sur les excellents résultats de ces derniers mois. Louis Camilleri, le successeur du CEO Sergio Marchionne, brutalement décédé en août dernier, a confirmé les projets particulièrement ambitieux de l’entreprise. Ainsi Ferrari entend-il doubler son bénéfice d’ici 2022. D’ici là, les hybrides doivent représenter environ 60% des modèles du groupe. En revanche, il n’a pas pipé mots de voitures entièrement électriques. Bien que Camilleri se soit littéralement dit choqué par la présence des mots Ferrari et SUV dans la même phrase, il n’en a pas moins annoncé le lancement de la Purosangue, un authentique Sports Utility Vehicle… Il est vrai qu’Enzo Ferrari avait pour devise: «La meilleure voiture est celle qui doit encore être fabriquée»!

 

Le récente accélération de la croissance sur le marché de voitures de luxe est imputable au lancement de nombreux SUV dans ce segment.
Croissance du marché des véhicules de luxe.
La dernière accélération de la croissance est principalement portée par le segment des SUV de luxe.
Source: Ferrari
 
Au prix fort

Les propriétaires d’Aston Martin rêvent d’une entrée en Bourse qui valorise l’entreprise à 5,5 milliards d’euros. Les capitaux récoltés lors de l’IPO devront d’une part servir au financement de l’extension des capacités de production, et d’autre part offrir une porte de sortie lucrative aux actionnaires existants. Les deux plus grands actionnaires sont les groupes d’investissements koweïtien Investment Dar et italien Investindustrial, qui détiennent 37,5% du capital depuis 2012. Ils mettraient sur le marché environ 25% de leurs actions, et pourraient ainsi voir leur mise initiale multipliée par 10. Le troisième actionnaire, Daimler, détient une participation de 4,9% qu’il souhaiterait conserver.

Aston Martin est cependant stationnée sous un arbre dans lequel a pris place un pigeon d’assez mauvaise humeur. Ce pigeon répond au nom de Brexit. Andy Palmer, l’actuel CEO d’Aston Martin, s’est d’ailleurs immiscé dans les débats. Dans une longue interview accordée au «Mail on Sunday», il a mis en garde contre les risques d’un Brexit non négocié. Il suit ainsi son collègue-concurrent de Jaguar Land Rover, Ralf Speth, qui a lancé dans la presse qu’un Brexit «dur» menacerait des milliers d’emplois dans le secteur automobile britannique. Très concrètement, un tel scénario coûterait un gros milliard d’euros par an à sa propre entreprise.

Il subsiste des marges de croissance dans le segment de luxe.

Un Brexit dur bouleverserait le modèle d’affaires de Aston Martin. Le V12 (Ford) et le V8 AMG (Mercedes-Benz) qui équipent ses modèles sont en effet entièrement produits en Allemagne. Des problèmes pourraient également se poser du côté des exportations puisqu’Aston Martin vend environ trois quarts de ces voitures en dehors du Royaume-Uni. Non, on n’attend pas le 29 mars avec impatience chez Aston Martin.

Tout van bien?

L’entrée en Bourse d’Aston Martin touche de nombreux aspects. Globalement, les marchés automobiles européen et américain se rapprochent de leur sommet, alors que le marché chinois ralentit. Mais il subsiste des marges de croissance dans le segment de luxe. L’assemblage et la vente de voitures constituent une activité complexe. Warren Buffett a récemment exprimé sa vision du secteur comme suit: «La concurrence est terrible, le “first-mover” ne jouit d’aucun avantage, et bonnes et mauvaises années se succèdent.» Il faut toutefois nuancer cette petite phrase, car Warren Buffett est aussi un actionnaire important de BYD, un consultant chinois de voitures électriques. Bien qu’une valorisation (trop) élevée ne doive pas nécessairement hypothéquer le succès d’une entrée en Bourse, la grande question reste de savoir si Aston Martin ne vise pas trop haut.

Anectodes: le fabricant de voitures de sport britannique Lotus, propriété du groupe chinois Geely (voir lien) depuis 2017, veut fournir la prochaine voiture de James Bond et ainsi rouler sur les plates-bandes d’Aston Martin. La perte de cet outil marketing unique ternirait le blason d’Aston Martin.

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